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Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

L’ISLAM MALIEN

LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉTAT AU MALI, SA PERTE DE LEGITIMITE, ET LEGITIMATION DES ORGANISATIONS MUSULMANES

B. Le président IBK ‘’entre rupture et continuité’’

Depuis le renversement de la dictature en 1991, le paysage politique malien souffre d’une absence de renouvellement de personnel politique, restée quasi intacte. Tout au long de la campagne électorale, l’actuel président IBK s’est attelé à incarner la rupture. Si son élection répondait à des besoins de changement exprimés par les Maliens, elle n’a pas favorisé l’alternance de la classe politique. Ce qui, en revanche, a pu être constaté, c’est une forme d’équilibre entre continuité et renouveau dans le mode de gouvernance. Une partie des femmes et hommes politiques qui ont composé le gouvernement d’IBK, sont ceux qui ont auparavant gouverné le Mali. Soumeylou Boubèye Maiga, Sada Samaké, Cheickné Diawara, Moustapha Dicko, Berthé Aissata Bengaly, Bouaré Fily Sissoko, Ousmane Sy, réapparus en tant que membres du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, sont autant de noms anciens du paysage politique malien.

Ancien Premier ministre du président Alpha Oumar Konaré (1994-2000) et ancien président de l’Assemblée nationale sous la présidence d’Amadou Toumani Touré (2002-2007), IBK, qui avait pourtant axé sa campagne sur le thème du ‘’changement’’ n’incarne pas vraiment la

rupture avec l’ancien régime. Le slogan du changement avec l’ancien régime dont il s’est servi, est un vœu également exprimé par les Maliens, du fait que le président Amadou Toumani Touré est considéré, par de nombreux d’entre eux, et par une partie de la classe politique et religieuse, comme responsable de tout ce que le Mali a connu en termes de crise, à partir de 2012. Son mode de gouvernance, sa gestion du Nord-Mali (passiveté vis-à-vis d’une insécurité grandissante), ses liens, supposés ou réels avec des personnes concernées par les prises d’otages occidentaux ont jeté le discrédit sur son régime. La réapparition d’anciens membres de ce régime dans le gouvernement d’IBK, combinée à la politique menée par le président malien après deux années au pouvoir, pourraient être considérées comme la continuité de ce qui auparavant n’a pas fonctionné, à savoir la perpétuation de vieilles pratiques de clientélisme, de corruption, de carence de vision politique structurée, de querelles intestines (en dix-huit mois de présidence d’IBK, trois premiers ministres se sont succédés, Oumar Tatam Ly (5 septembre 2013 – 9 Avril 2014), Moussa Mara (9 Avril 2014 – 9 janvier 2015), Modibo Kéita (depuis janvier 2015).

1. Le caractère opportuniste da la vie politique malienne

Sous le président ATT, la politique du consensus – désignée par la « neutralisation des partis politiques, par la distribution de prébendes, et les liens clientélistes tissés entre le pouvoir et les dirigeants des principales formations politiques » (Virginie Boudais, Grégory Chauzal, 2006) – semble être toujours d’actualité, sous la présidence d’IBK. A l’issue des élections législatives de 2013, le parti du président IBK, le Rassemblement pour le Mali (RPM), a remporté seulement 66 sièges. Ne disposant pas, à lui seul, de la majorité des 147 sièges du parlement, et compte tenu du caractère opportuniste des alliances électorales, le parti présidentiel est toutefois parvenu à constituer une alliance qui a permis la formation d’une majorité présidentielle composée de 115 parlementaires. Les élections n’ont d’ailleurs permis qu’un renouvellement limité du personnel politique au sein du parlement malien.

L’anthropologue malien Birama Diakon (2013) impute le refus d’alternance de la classe politique malienne à un sentiment de crainte, et estime qu’il faudrait que ceux qui ont gouverné le Mali pendant deux décennies se disent : « 20 ans, ça suffit, on se retire. Mais ils savent que s’ils perdent leurs postes au gouvernement, ils risquent d’aller en prison. C’est pour cela que nous assistons aujourd’hui à la formation d’une coalition de tous ceux qui veulent sauver leur tête […] ».

Un des partis pris de cette thèse est de considérer qu’Ibrahim Boubacar Kéita n’avait pas de programme intégral pour le Mali. Celui présenté durant la campagne était d’ailleurs assez flou, contrairement au programme du challenger Soumaïla Cissé. Le slogan de la restauration de l’autorité et de la souveraineté de l’Etat, qu’il avait fait sien, ne résultait d’aucune planification étayée. En février 2015, la popularité recueillie par IBK, à l’issu de l’élection présidentielle, s’est très vite érodé sur le plan national, les attentes de changement tant exprimés par les Maliens, jusque-là, tardant à se concrétiser.

2. Les surfacturations dans l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires, une preuve de la persistance de pratiques de corruption et de clientélisme

Dans le contexte de la crise sécuritaire, les impératifs de dotation des forces armées maliennes engagées dans les opérations de reconquête du territoire, ont servi de contexte au ministère malien de la défense, pour instaurer une politique d’équipement. Ainsi, le gouvernement malien a effectué en 2014 des acquisitions d’un montant total de quatre-vingt-huit milliards de francs CFA (134 351 145 €), dont dix-neuf milliards de francs CFA (29 000 633 €) pour l’acquisition d’un avion destiné au président de la République, et soixante-neuf milliards de francs CFA (105 343 511 €) pour des équipements et matériels destinés aux forces armées.

Les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces armées maliennes d’équipements militaires, signés par le ministre de la défense et des anciens combattants, nous ont démontrés que la corruption, difficile à enrayer, est un phénomène institutionnalisé au Mali. Si les élites politiques peuvent se succéder, le système de gouvernance, lui, reste inchangé. Pendant que le Mali, au lendemain de l’élection présidentielle, s’achemine lentement vers la sortie de crise, les Maliens, ‘’agacés’’ par l’inopportunité de l’achat d’un nouvel avion présidentiel, ont vu dans cet acte une dépense de prestige qui n’était guère indispensable dans une situation économique catastrophique. C’est dans ce cadre qu’une mission du Fonds Monétaire International (FMI), s’est rendue au Mali du 12 au 25 septembre 2013, dans le but de faire toute la lumière sur l’achat du nouvel avion présidentiel, et sur le contrat d’équipements militaires passé par le ministère malien de la

défense. Cette situation a poussé le Fonds monétaire international (FMI) à geler ses crédits pour le compte de l’Etat malien.

Le rapport du bureau du vérificateur général décrit des transactions illégales exécutées par l’Etat : « Le ministère de la défense et des anciens combattants et le ministère de l’économie et des finances ont irrégulièrement passé, exécuté et réglé les deux contrats d’acquisition et de fourniture ». Il met en évidence une surfacturation de vingt-neuf milliards de francs CFA (44 274 809 €), dans le cadre du contrat de fournitures militaires de soixante-neuf milliards de francs CFA (105 343 511 €), passé de gré à gré, en 2013, entre le gouvernement malien et l’entreprise Guo-Star. Dans cette affaire, une entreprise privée, une SARL (Société à Responsabilité Limitée), s’est vue attribuée, « sans avoir même demandé », un contrat de soixante-neuf milliards de francs CFA exonéré de tous droits d’enregistrement. Elle a également reçu une garantie de l’acheteur – Etat – sans laquelle la banque n’aurait jamais financé une telle opération au profit de cette société. D’où l’interrogation du bureau du vérificateur : « peut-on indiquer le moindre risque qu’a pris cette entreprise dans le cadre de ce contrat, pour bénéficier in fine d’une marge bénéficiaire de plus de vingt-cinq milliards de francs CFA » ?

Par la suite, tout au long de la présidence d’IBK, le problème de la corruption s’est visiblement considérablement empiré, dans la mesure il a atteint des proportions inédites. Le dernier rapport du vérificateur général, portant sur les années 2013 – 2014, a été remis au président malien le 6 mai 2015. En citant des exemples très précis, le rapport dénonce un manque pour les caisses de l’Etat s’élevant à cent-cinquante-trois milliards de francs CFA (environ 234 millions d’euros), qu’il impute à la corruption et à la mauvaise gestion. Les détournements passeraient ainsi par une surfacturation excessive des dépenses des administrations publiques ; le non versement au Trésor public des ressources collectées.

Conclusion

Nos analyses nous ont permis de voir comment se sont instaurés les divers rapports, généralement d’intérêts communs, qui lient le domaine religieux à la sphère politique. Dans la configuration actuelle, nous estimons que les aspirations des élites musulmanes, si elles sont généralement incontestablement politiques, n’impliquent cependant pas la conquête du pouvoir.

En organisant l’institutionnalisation du domaine religieux malien, nous avons pu constater qu’il s’agissait pour le régime militaire du général Moussa Traoré de mettre l’accent sur le caractère islamique du Mali, afin d’attirer aisément les investissements des Etats arabes dans le pays. En s’appuyant sur le wahhabisme malien pour établir des liens économiques avec le Qatar, le Koweït et surtout l’Arabie Saoudite, la démarche stratégique du régime militaire l’a contraint à octroyer la direction de l’islam malien au cercle minoritaire wahhabite (par la création de l’AMUPI), partenaire idéologique des donateurs arabes. Ce positionnement religieux du politique au Mali a évolué dans le temps, et a fini par octroyer à l’islam malien – à travers le dépérissement de l’Etat, et des initiatives socio-économiques d’origine wahhabite – une place importante dans le domaine social, et une grande influence dans la sphère politique. Ce constat explique pourquoi aujourd’hui au Mali, le leadership religieux, et l’influence socio-politique des principales doctrines religieuses ne sont guère déterminés par leur importance (en termes de nombre d’adeptes), mais par leur capacité à agir sur les foules. Nous avons pu remarquer que les différents segments de l’islam malien adoptent des positionnements politiques divergents, et se livrent une bataille perpétuelle sur la question de l’autorité religieuse. En revanche, sur la question de l’islamisation/réislamisation de la société, leurs idées convergent parfois dans la finalité recherchée (l’exemple du Code de la famille et des personnes), mais s’opposent dans la méthode (l’occupation djihadiste du Nord-Mali, cautionnée par les wahhabites, dénoncée par les malékites), ce que l’étude suivante se propose d’étayer.