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Gouvernance et pouvoir d’Etat : leurs caractéristiques au Mali

L’ISLAM MALIEN

LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉTAT AU MALI, SA PERTE DE LEGITIMITE, ET LEGITIMATION DES ORGANISATIONS MUSULMANES

B. La perte de légitimité de l’Etat au profit des forces religieuses

1. Gouvernance et pouvoir d’Etat : leurs caractéristiques au Mali

L’administration malienne pourrait se caractériser par : la corruption en son sommet ; son inefficacité ; son fonctionnement opaque et très éloigné du citoyen. Le pouvoir d’Etat, quant à lui, se caractériserait par son manque d’autorité ; sa perte de souveraineté ; la fragilité de ses institutions ; et un président qui semble cumuler tous les pouvoirs, dont celui des nominations qui lui assurent des fidélités. À ces facteurs, qui ont pesé sur une perception positive de l’État par les Maliens, il convient d’ajouter une absence de propositions politiques alternatives émanant des partis de l’opposition.

a. La corruption, une institution au Mali

Alexis Roy (2010) impute le caractère prévaricateur et clientéliste du système politique malien, à deux principaux facteurs : la libéralisation économique démarrée dans les années 1980, et la libéralisation politique après 1991, qui, selon lui, ont accentué la corruption.

« La corruption au Mali est systémique et pernicieuse » (Banque mondiale). Si le slogan de la lutte contre la corruption, brandie par les régimes politiques successifs, n’a jamais pu être mis en œuvre, ou quand il a semblé l’être n’a produit aucun résultat, c’est qu’en réalité, au Mali, le salaire officiel des travailleurs ne leur permet pas, en général, de vivre décemment. Dans le cadre de la lutte anti-corruption, le président Amadou Toumani Touré a mis en place le bureau du vérificateur général, composé d’un vérificateur général ; d’un vérificateur ; d’un auditeur interne ; et d’un vérificateur assistant. Pour exemple, le rapport du bureau du vérificateur général de 2006 a ainsi fait état, d’un manque de cent-trois milliards de francs CFA (157 251 908 €) dans les caisses du trésor public.

Les rapports de vérification devaient jouer un rôle important dans la gestion publique, et constituer un élément clé du processus global mis en place pour assurer la transparence et

l’imputabilité, en vue de lutter contre la mauvaise gestion, la délinquance économique et financière, et accroitre la performance des structures publiques auditées. Tout au long de la présidence d’ATT, des constatations relatives aux cas de fraude dénoncées aux procureurs de la République, en charge des pôles économiques et financiers, par le Vérificateur général, n’ont donné lieu à aucunes poursuites ou sanctions des auteurs. Ainsi, même décriée, dans les faits, la corruption semble être socialement acceptée, car considérée comme le seul moyen de s’en sortir. En ce sens, elle pourrait donc être considérée comme un moyen de redistribution, lorsqu’ elle s’exerce au profit des plus démunis.

Cédric Touquet (2006) nous éclaire sur la conception que se font les Maliens de la notion de corruption, et les nuances avec le vol. Il explique qu’entre corruption et vol, les jugements moraux sont plus durs sur le second, c’est-à-dire l’appropriation d’un bien par quelqu’un en dehors d’une relation sociale de confiance. À l’inverse, le registre de l’acceptable, du légitime (le détournement), s’oppose en tous points aux règles normatives de l’Etat bureaucratique. Le détournement de biens publics n’apparait donc pas comme un dysfonctionnement, mais il correspond aux règles du jeu propres à un espace public politique.

b. Les difficultés des structures publiques maliennes

« Les quelques cadres maliens formés désertent la Fonction publique, ou la pillent. Le pays est donc incapable, seul, d’utiliser les techniques administratives et scientifiques nécessaires pour le tirer du sous-développement » (Francis Leborgne, 2006)60. La désertion de cadres, une gestion inopportune des structures publiques, combinées au manque de crédits d’entretien des installations construites, mettent ces dernières très vite hors d’usage, et le rendement effectif des montants investis ne résulte pas d’une croissance. La plupart des entreprises publiques maliennes ont longtemps nagé dans cette situation d’inefficacité, de laquelle, les institutions économiques internationales ont estimé qu’elles étaient incapables de s’en extirper sans une intervention extérieure. La perte de légitimité de l’État est donc, en partie, la conséquence d’un certain nombre de choix, notamment économiques exogènes. Les orientations politico-économiques nationales se trouvent être déterminées par les organisations internationales,

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« qui dictent les programmes susceptibles d’être financés » (D. Jonckers, 2011), et qui, par ailleurs, se soucient peu ou pas des réalités économiques locales.

Eu égard à la situation économique du pays, le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM) impulsés par des motivations purement économiques, et partant de l’idée que « le marché est supposé résoudre tous les problèmes » (Francis Leborgne, 2006), ont imposé à l’État malien, la privatisation de ses entreprises publiques. « Sous couvert de bonne gouvernance, de développement durable ou de lutte contre la pauvreté, on prône la privatisation qui, certes, favorise la croissance (4,5 % en 2009), mais aussi son corollaire, l’augmentation de la paupérisation de la majorité de la population » (J. Ziegler, 2005 ; A. Traoré, 1999).

Sous la bannière d’ajustement structurel, le processus de privatisations a contraint l’État à se désengager de nombreux secteurs économiques, pour y laisser se développer l’initiative privée, et faire ainsi du marché le moteur de la régulation sociale et du secteur privé, le moteur du développement. Les secteurs vitaux de l’économie nationale (eau, électricité, transports ferroviaires, télécommunications, huilerie, compagnie cotonnière...) ont ainsi été privatisés et « bradés » (Aminata Traoré, 2001). Cette forme de coopération, pour certains observateurs, « s’inscrit dans la continuité de la mission civilisatrice de l’impérialisme colonial » (J-P. Olivier de Sardan, 1997).

Cette démarche a contribué à réduire énormément le rôle de l’État dans la gestion des entreprises publiques, affaiblissant, en conséquence, considérablement son emprise sur l’économie nationale. Au départ, les programmes d’ajustements structurels présentaient les privatisations comme étant des processus de nature administrative et ponctuels, dont le but essentiel consistait à l’amélioration de la situation économique et financière des États concernés. Par la suite, le concept de privatisation, au Mali, est apparu en tant que programme politique, et comme la principale politique économique étatique. La transition massive, du tout public vers le tout privé, ne correspondait généralement pas à un vœu exprimé par les populations. Loin d’être une démarche voulue et choisie, correspondant aux objectifs de l’État, elles ont plutôt été les conditions liées aux ajustements structurels imposées par les Institutions de Bretton Woods (IBM). Avec des résultats le plus souvent décevants, nous estimons que la privatisation en tant que stratégie de développement économique a été un échec cinglant. Nous nous en expliquons dans les lignes qui suivent.

Si certains pays, dans d’autres continents, ont pu connaitre des succès dans la mise en œuvre de processus de privatisation, au Mali, ils n’ont pas été à la hauteur des résultats escomptés. Depuis plusieurs années, le Mali dépend de plus en plus des apports extérieurs, sans pour autant pouvoir entreprendre une capitalisation interne. Cette dépendance concerne aussi bien les investissements que les consommations. Deux-tiers des Maliens sont affectés par la pauvreté, dont un-tiers vit dans l’extrême pauvreté. Cette nouvelle logique du marché (libéralisation économique) s’est révélée être un facteur important d’exclusion sociale, et d’aggravation des conditions des couches les plus vulnérables. Face à ces conditions de vie très difficile, l’État, censé incarner le dernier rempart vers lequel se tourner, apparait totalement impuissant à résoudre les préoccupations des plus nécessiteux.

Amorcées dans le but de redynamiser des secteurs en difficulté, les conséquences des privatisations ont entraîné des conséquences négatives, et ont souvent été très contraignantes pour les populations :

- elles n’ont pas favorisé la concurrence, n’ont donc pas participé au développement économique et social, dans le sens où les privatisations ont, le plus souvent, simplement conduit au transfert d’un monopole d’Etat en un monopole privé, exercé par des entreprises simplement intéressées par le profit. Dans le cas du transport ferroviaire que nous détaillerons, loin d’avoir favorisé l’amélioration des services, la privatisation de ce secteur a plutôt cautionné leur réduction draconienne, avec des conséquences immédiates pour de nombreux Maliens ;

- elles ont engendré des hausses de prix considérables pour des consommateurs, dont le pouvoir d’achat était limité au départ ;

- elles sont aussi responsables d’un grand nombre de licenciements, aggravant, subséquemment, la paupérisation d’une importante partie de la population.

Le mécanisme des privatisations est totalement méconnu de la grande partie des Maliens, lesquels rejettent entièrement les désastres qui en ont découlé sur les élites politiques et sur l’État. Avant d’analyser le processus d’ajustement structurel, à travers des cas concrets, et de faire apparaitre ses conséquences sur la perte de crédibilité de l’Etat, il nous a semblé important de nous intéresser, d’abord, à l’évolution de la situation économique malienne ayant donné lieu aux logiques de privatisations. Le but de notre étude est de démontrer

clairement que le programme d’ajustement structurel a affaiblit l’Etat malien dans certaines de ses fonctions, notamment les plus essentielles. Un dépérissement qui a rapidement été récupéré par les mouvements religieux qui, dans ces domaines laissés pour compte, jouent le rôle de l’Etat.

c. L’économie malienne sous le régime socialiste de Modibo Kéita (1960-1968)

Dès l’indépendance, en 1960, le rapprochement du Mali avec le bloc soviétique s’est traduit par de nombreux départs d’universitaires et autres intellectuels vers l’URSS et la Chine. Sous le régime socialiste du président Modibo Kéita, la mainmise gouvernementale sur l’activité économique était totale. Le président ayant opté pour une économie dirigée, dont l’Etat était le principal acteur dans tous les secteurs stratégiques de l’économie nationale. Tout entrepreneuriat individuel était par ailleurs interdit. L’économie malienne, à cette époque, était essentiellement basée sur l’agriculture, qui employait 95% de la population active. La situation économique s’est considérablement dégradée à partir de 1962 : « Le pays était confronté à une pénurie de toutes les denrées de première nécessité [...] La production nationale était insuffisante [...] Les tentatives de relance économique (révision du plan, réforme des sociétés et entreprises d’État, accords monétaires franco-maliens) se sont soldées par un échec » (Bintou Sanankoua, 1990).

Le socialisme s’est avéré être un instrument incapable d’œuvrer au développement économique du pays. D’une part, dans la conjoncture de la guerre froide, la politique économique du Mali avait provoqué la réaction des pays occidentaux contre l’option socialiste du président Modibo Kéita. D’autre part, l’aide accordée au Mali, par ses partenaires socialistes (l’URSS et la Chine), n’était que très limitée.

d. L’économie malienne sous le régime militaire de Moussa Traoré (1968-1991)

Le coup d’État militaire de 1968 renverse le régime socialiste aussi bien que ses aspirations économiques. La nouvelle politique met fin à la structure de l'économie à orientation étatique. Elle favorise l’apparition du capitalisme, et scinde la scène économique malienne en trois franges : les secteurs étatique ; privé ; et mixte. Ainsi, dès la chute du régime socialiste,

pendant les années 1970, le pays s’est doté d’un nouveau statut général des fonctionnaires61

, d’un nouveau statut de la magistrature62, d’une nouvelle organisation administrative du territoire63, et d’un cadre normalisé de création et d’organisation des services publics64.

Ces nouvelles dispositions économiques se sont heurtées à quelques difficultés, notamment un contexte international difficile (le choc pétrolier des années 1970), un ralentissement économique, des plans d’investissement inefficaces, auxquels il convient d’ajouter un nouveau ‘’mal’’ qui est apparu dans le paysage politico-économique malien, le détournement de fonds publics (la structure économique sous le régime socialiste de Modibo Kéita ne favorisait pas le détournement de fonds publics). Au début des années 1970, le Mali est également frappé par une grande sécheresse qui a fortement affecté le secteur agricole, le cœur de son économie, donnant ainsi lieu à d’importantes vagues d’émigrations.

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Ordonnance n° 77-71/CMLN du 26 décembre 1977 portant statut général des fonctionnaires de la République du Mali. Ce texte modifié à plusieurs reprises a été abrogé et remplacé en 2002 par la loi n° 02-053 du 16 décembre 2002 portant statut général des fonctionnaires.

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Loi n° 79-10/AN-RM du 29 novembre 1979 portant statut de la magistrature. Aujourd’hui le statut de la magistrature fait l’objet de la loi n° 02-054 du 16 décembre 2002.

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Ordonnance n° 77-44/CMLN du 12 juillet 1977 portant réorganisation territoriale et administrative de la République du Mali.

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Ordonnance n° 79-9/CMLN du 19 janvier 1979 portant principes fondamentaux de la création, de l’organisation, de la gestion et du contrôle des services publics. Ce texte a été abrogé et remplacé par la loi n° 94-009 du 22 mars 1994.

Dans la région de Kayes, les départs se sont majoritairement exercés vers l’Europe (la France) ; vers l’Afrique (la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Congo-Brazzaville, l’Angola…) ; et vers les Etats-Unis également. Les populations nomades du Nord-Mali, notamment les Touaregs, semblent avoir autant été affectées que les agriculteurs sédentaires du sud du pays. Elles ont, pour leur part, été poussées à se réfugier au Moyen-Orient et au Maghreb, majoritairement en Lybie et en Algérie.

L’association de ces différents éléments a eu d’importantes répercussions sur l’économie nationale. Les entreprises publiques maliennes, dans les années 1980, à travers des pertes progressives de performance, sont apparues très défaillantes. Leur taux d’endettement s’est fortement accru, poussant ainsi l’État à les renflouer, par le bais d’exonérations fiscales, de subventions, et de dotations en capital. Cette stratégie a eu pour conséquence le creusement de l’endettement public. Les agences internationales de développement et de coopération, telles que la Banque mondiale et le FMI, se sont montrés disposées à aider le Mali, ainsi affecté, à redresser son économie. En retour, le pays devait s’engager à mettre en œuvre des programmes intensifs de libéralisation économique.