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L’islam dans l’empire Songhay

L’HISTORIQUE DE LA PRATIQUE DE L’ISLAM AU MALI

C. L’islam dans l’empire Songhay

Figure 8 : L’empire Songhay

L’empire Songhay était un État musulman qui a été dirigé par les dynasties Sonni et Askia. Il s’est constitué autour d’une puissance à la fois religieuse, commerciale mais aussi militaire. L’islam était au cœur de la gestion de cet empire.

1. L’empire Songhay sous la dynastie des Sonni

Au XIe siècle, Gao était une importante et très riche place commerciale. En 1325, l’empereur du Mali, Kankou Moussa, s’empare de ce territoire qui est alors devenu un royaume vassal de l’empire du Mali. Par cette même occasion, sont également faits prisonniers les princes songhays, Ali Kolen et son frère Souleiman Nar. Après la mort de Kankou Moussa, les

princes songhays parviennent à s’enfuir. Ali Kolen est alors proclamé roi de Gao et prend le titre de Sonni (1464-1493). Il a ainsi fondé la dynastie des Sonni. Malgré une attaque du Mali, les Songhays résistent victorieusement et conservent leur indépendance. Plus tard, c’est à leur tour d’attaquer le Mali. Sonni Ali, surnommé Ali Ber, c’est-à-dire Ali le grand, n’était guère un roi religieux, et excellait plutôt dans la magie. D’ailleurs, il a longuement persécuté les oulémas et savants de l’islam, qu’il soupçonnait de complicité avec les nomades sahariens, auxquels il était opposé.

En 1468 il saccage Tombouctou, en 1473 il s’empare de Djenné, puis de Macina ou les peuhls sont décimés. Mais les mossis du Yatenga, dont il avait ravagé quelques temps auparavant le territoire, se livrent à leur tour à un raid sur Oualata qui est détruit. Ils sont alors pourchassés par Sonni Ali qui lance une expédition vers les falaises du Bandiagara jusqu’au Gourma. C’est de retour de ce dernier pays qu’il meurt noyé en 1493.

2. L’empire Songhay sous la dynastie des Askia

A la mort de Sonni Ali Ber, en raison de son faible penchant pour l’islam, il est remplacé non pas par son fils, mais par un de ses lieutenants sarakolé, Mamadou Touré originaire du Fouta Toro et gouverneur de Hombori. Ce dernier règnera sous l’appellation de l’Askia Mohamed (1493-1528). Contrairement à Ali Ber qui persécutait les savants musulmans, Askia Mohamed, en bon musulman, gouverne avec ces derniers qu’il associe à chaque prise de décision majeure. Dès le commencement de son règne, il effectue un grand pèlerinage à la Mecque en 1496, escorté par cinq cents cavaliers et un millier de fantassins. Il a emporté trois cents milles pièces d’or, dont la majeure partie a été distribuée en aumône, et revient chargé par le calife d'Égypte de le représenter dans toute l'Afrique.

Ce pèlerinage constitue un repère historique dans l’islamisation du Soudan Occidental. Ainsi que le souligne Djibril Tamsir Niane (1975), « son accession au trône est une rupture dans la tradition, aussi chercha-t-il la base de son pouvoir dans l’islam. Son pèlerinage est significatif à cet égard. Au Caire il se fait décerner le titre de calife du Soudan ; il prend conseil auprès des docteurs du Caire et, une fois de retour à Gao, il commence la guerre sainte contre les païens mossis. Partout, il nomme juges et imams, ouvre des écoles, et un bon tiers de ses revenus sera consacré pour payer ce personnel ».

A son retour de la Mecque, il va également entamer une série de guerres saintes, notamment au Yatenga, forçant les populations mossies à se convertir à l’islam. L’Askia Mohamed, après avoir solidement organisé un vaste empire, a favorisé le commerce et l’enseignement coranique. Il a œuvré à faire de Tombouctou une grande cité musulmane, reconnue dans l’ensemble du Soudan Occidental et au-delà des frontières soudanaises.

3. Le rôle de Tombouctou dans le rayonnement islamique soudanais

La ville de Tombouctou, fondée au début du XIIe siècle, est un point principal d’arrivée des caravanes transsahariennes. Au déclin du Mali, la ville est occupée par les Touaregs. En 1468, elle passe sous la domination songhay, sous le règne de Sonni Ali. C’est sous cette domination, comme ville de l’empire, qu’elle va connaître son apogée. Elle est devenue progressivement un centre intellectuel des sciences islamiques, avec sa grande période aux XVe et XVIe siècles. La cité tombouctienne, avec ses grandes mosquées et ses nombreuses écoles coraniques parmi lesquelles la célèbre université de Sankoré, était aux XVe et XVIe siècles, un important centre intellectuel et spirituel et un haut lieu de diffusion de l'islam en Afrique. L’université de Sankoré comprenait alors 180 écoles coraniques et comptait 25 000 étudiants14.

Les trois grandes mosquées de la cité (Djingareyber dont la construction remonte au retour de Kankou Moussa de la Mecque en 1325, Sankoré bâtie au XIVe siècle et Sidi Yahia édifiée vers 1400) – restaurées par le Cadi Al Aqib au XVIe siècle, et les seize mausolées de saints – témoignent de l’âge d’or de cette cité religieuse, intellectuelle et spirituelle, à la fin de la dynastie des Askia. D’ailleurs, Guy Villemin (2009) vante les mérites de la ville tant sur le plan architectural, économique, scientifique et religieux. Joseph Confavreux (2012), quant à lui, estime que la sacralisation de Tombouctou est une construction purement occidentale, par ailleurs tardive, qui n'est en effet, advenue qu'après la période de rayonnement de la cité. Tombouctou, à travers ses principaux héritages soudanais, incarne le symbole même de l’islam originel du Mali, c’est-à-dire l’islam soufi, aujourd’hui encore partagé par la majorité des Maliens. Sept siècles après, ces mausolées et autres symboles qui représentent ‘’l’islam malien’’ dans son origine ont été détruits, en 2012, par des militants islamiques, agissant au

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nom de l’islam (une autre forme d’islam opposée au soufisme), un aspect que nous développons dans la suite de notre travail

4. Le déclin de l’empire Songhay

L’empire se désorganise suite à l’éviction du pouvoir de l’Askia Mohammed par ses fils. Ces derniers se succèdent au trône : Askia Moussa (1528-1531), Askia Mohammed Bounkan (1531-1537), Askia Ismaël (1537-1539), Askia Ishak I (1539-1549). La production de l’or baisse considérablement. Certains royaumes vassaux se sont révoltés et ont conquis leurs indépendances. Les mines d’or de l’empire étaient convoitées par le Maroc qui engagea une conquête guerrière sur l’empire en 1591. L’Askia Ishak est alors tué, l’empire est détruit et le Maroc s’empare des mines d’or. C’est ainsi que la destruction de l’empire Songhay entraine la fin de la prospérité des cités éclairées du Soudan Occidental.

Le rôle des souverains (véritables propagateurs de l’islam) et la grande mobilité des commerçants dioulas ont favorisé la diffusion de l’islam dans tout le Soudan Occidental, et même au-delà. Nous pouvons remarquer que les trois grands empires d’Afrique ont, en partie ou totalement, compris en leur sein le territoire de l’actuel Mali.

Figure 9 : Les empires du Soudan Occidental

II. Le déclin de l’islam dans le Soudan Occidental, et la volonté d’une réislamisation par le jihad

Nous avons pu le constater, la première grande période de prosélytisme dans le Soudan Occidental a commencé vers le XIe siècle au temps des Almoravides, pour aboutir à une islamisation massive au XIVe siècle, à l'apogée de l'empire du Mali. Le déclin de cet Empire

marque aussi l'arrêt, pour plusieurs siècles, de l'expansion islamique et même, dans certains cas, sa disparition quasi totale.

Deux siècles après la faveur islamique dans l’empire du Mali, les régions du Haut-Niger (actuel Mali) qui ont abrité les capitales de l’empire du Mali, ne gardaient qu’un faible héritage de l’islam. Ainsi, dans cette même région du Soudan où l’islam s’est auparavant paisiblement installé, commencera vers 1850 une réislamisation, par le biais du djihad islamique. Un djihad par ailleurs entrepris par des meneurs de l’islam soufi, contre les populations retournées à leurs fétiches. Si en 2012, au Mali, les symboles de l’islam soufi ont été attaqués par des éléments salafistes, opérant sous le terme de djihad, et voulant imposer une orthodoxie musulmane, cela n’a toujours pas été le cas. Les premiers djihads entrepris sur le territoire du Mali ont été conduits par des mouvements soufis qui, pourtant, poursuivaient le même objectif. On peut se questionner sur les véritables objectifs de ces guerre saintes, quand on sait que le soufisme, censé représenté la vision hérétique (qui s’oppose à l’orthodoxie) de l’islam, se chargeait au contraire d’instaurer, par les armes, une orthodoxie musulmane. Nous pouvons également appliquer ce même questionnement à l’occupation du Nord-Mali par des groupes salafistes, en 2012, quant aux véritables buts recherchés. Dans les deux cas, le djihad, la guerre au nom de l’islam, semble avoir simplement servi d’alibi dans la poursuite d’objectifs inavoués.

Le djihad considéré comme un moyen de libérer un peuple d’un joug païen ou prétendu tel, pour lui donner la possibilité de vivre pleinement l’islam, allait servir de principe d’annexion et d’unification d’un ensemble de peuples hétérogènes par une islamisation forcée. A la longue période de propagation pacifique de l’islam dans le Soudan Occidental, s’ensuit à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est-à-dire un peu avant la conquête coloniale française, une série de djihads islamiques. Ces différentes conquêtes armées ont, par la suite, permis l’édification d’États théocratiques.

Le marabout Sékou Amadou Barry a ainsi fondé (entre 1818 et 1862) le royaume théocratique de la Dina (royaume du Macina), qui s’étendit de Ségou à Tombouctou. A partir de 1850, le guerrier et marabout peul, El Hadj Omar Tall, dont nous étudions le cas dans la suite de notre travail, à travers la guerre sainte, s’est emparé de la plupart des royaumes mandingues qui prospéraient dans les régions méridionales du Mali actuel. Entre 1868 – année où il prit le titre d’Almamy, ou commandeur des croyants – et 1880, Samory Touré édifia le vaste royaume du Wassoulou, qui s’étendit sur toute la partie méridionale du Mali actuel.

A l’instar des mouvements wahhabites qui ont engagé une lutte farouche contre leurs coreligionnaires d’obédience soufie, après s’être installés au Mali en 1953 (nous en parlons dans le chapitre suivant), les réformateurs précités « commencèrent par prêcher contre le syncrétisme religieux, et contre les actes d’oppression et la corruption des dirigeants, leurs abus de pouvoir, leur matérialisme et les impôts dont ils écrasaient leurs sujets. Face à cette subversion qui menaçait de ruiner leur autorité, les autorités réagirent en tentant d’étouffer la révolution dans l’œuf, mais les réformateurs considérèrent ces tentatives comme des actes d’impiété et déclarèrent que les territoires des souverains devenaient ‘’pays de guerre’’ qu’il fallait conquérir et annexer à la communauté musulmane » (J. F. Ade Ajayi, 1997). Les

djihads visaient à apporter des modèles nouveaux et plus rigoureux d’identité musulmane.

« En termes islamiques, la nouveauté de tels mouvements réside moins dans la doctrine elle-même que dans l’idée, répétée avec insistance, que les règles religieuses anciennes doivent être observées avec davantage de rigueur que par le passé » (Donald Cruise O’Brien, 1981).