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L’islamisation de la démocratie malienne

L’ISLAM MALIEN

LE FONCTIONNEMENT DE L’ÉTAT AU MALI, SA PERTE DE LEGITIMITE, ET LEGITIMATION DES ORGANISATIONS MUSULMANES

A. L’islamisation de la démocratie malienne

Les acteurs religieux maliens ne réfutent pas la démocratie, ils entendent toutefois islamiser ses règles. L’islam prône l’obéissance vis-à-vis des gouvernants, toutefois, il insuffle également qu’en dernier recours, il est préférable de se reporter aux textes divins :

« Ô les croyants ! Obéissez à Allah, et obéissez au Messager et à ceux d'entre vous qui détiennent le commandement. Puis, si vous vous disputez en quoi que ce soit, renvoyez-là à

Allah et au Messager, si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Ce sera bien mieux et de

meilleur interprétation (et aboutissement) » (Coran, An-Nisa (les femmes), sourate 4, verset 59).

Par obéissance vis-à-vis de l’Etat, il s’agit d’une obéissance à l’égard d’un Etat qui serait en conformité avec les règles islamiques, selon l’interprétation que nous faisons de ce verset, conforté par les versets suivants :

- « […] Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des injustes» (Coran, Al-Ma-Idah (la table servie) Sourate 7, verset 45) ;

- « […] Et ceux qui ne jugent pas d’après ce qu’Allah a fait descendre, ceux-là sont des pervers » (Coran, Al-Ma-Idah (la table servie) Sourate 7, verset 47).

Mahmoud Dicko, représentant officiel de l’islam malien, à travers le HCIM, entend se poser en s’opposant à une élite qui, loin des aspirations du peuple, « ne pense qu’à s’occidentaliser

et qui n’agit que sous l’impulsion de l’Europe et des Etats-Unis »58

. Cette démarche tend à incarner la démonstration d’une incompatibilité entre certaines valeurs islamiques, et des aspects de l’Etat dans sa forme occidentale. Les concepts universaux occidentaux n’ayant de sens ni de valeur pour l’islam et pour un « bon » musulman, les questions d’ordre socio-politiques qui se posent au sein de la société malienne sont réglées par l’islam, de manière pacifique ou imposée.

Aujourd’hui, les leaders religieux maliens participent au fonctionnement de l’Etat sans une volonté affichée de conquérir le pouvoir. Si tel est le cas, ils s’attèlent toutefois à porter au pouvoir, ou à y contribuer massivement, le candidat qui saura le mieux représenter la cause religieuse, ou du moins qui saura le plus le promettre. Deux cas de figures peuvent alors apparaitre :

Dans le premier, les leaders religieux musulmans sont inclus dans le débat public. Conscients de l’importance de leur soutien, ils entendent s’immiscer, à travers des pressions, dans le fonctionnement du politique et exigent la prise en compte des revendications religieuses. Dans ce cas, la laïcité se trouve soumise à une rude épreuve.

Dans le second, il peut s’avérer que les associations musulmanes ont simplement servi d’instrument électoral. Comme le souligne Marie Miran (2006), le Haut conseil islamique pourrait entrainer des usages politiques du religieux, même s’il ne s’agit pas pour l’Etat d’islamiser les institutions. Dans ce cas, après l’élection du candidat soutenu, ils sont maintenus hors du jeu politique. Les désillusions peuvent ainsi très vite apparaitre, ce qui engendre d’autres types de tensions. Certains leaders religieux s'attellent alors à rappeler le rôle qu’ils ont pu jouer. Ainsi, à l'occasion du Maouloud 2014, nous avons pu entendre Chérif Ousmane Madani Haïdara tenir des propos qui s'adressaient au président Ibrahim Boubacar Kéita :

« L'année dernière, à l’ occasion du même événement qui nous rassemble ici aujourd'hui, nous avions parmi nous un candidat à l'élection présidentielle, qui est aujourd'hui président de la République. Monsieur le président, si vous m'entendez, vous souvenez vous de la promesse que vous nous avez faite ici l'année dernière ? Vous vous étiez joint à nous, pour solliciter notre bénédiction et notre soutien, en vue de l’élection présidentielle. Vous nous aviez aussi

58

Propos tenus le 04 avril 2010, lors du meeting organisé contre le Code de la famille, au stade du 26 mars de Bamako.

promis d'être, dorénavant, parmi nous pour fêter la naissance de notre prophète. Maintenant que vos vœux ont été exhaussés, avez-vous oublié votre promesse ? ».

D’autres deviennent de fervents opposants politiques au candidat qu’ils ont contribué à porter au pouvoir. Le 19 juillet 2013 à Nioro du Sahel, Chérif Bouyé Haïdara a lui-même solennellement appelé les musulmans maliens à voter en faveur du candidat Ibrahim Boubacar Kéita. Aussitôt, l’association Sabati 2012 s’est faite relayeur de cette consigne auprès des populations. Le choix de Bouyé Haïdara s’expliquait par le fait qu’il fallait barrer la route du pouvoir aux politiciens corrompus qui ont plongé le Mali dans le gouffre. Seul Ibrahim Boubacar Kéita, selon lui, était en mesure d’apporter ce changement.

Quatre dirigeants du mouvement Sabati 2012 ont, par ailleurs, remporté des sièges de députés lors des élections législatives. Cette visibilité parlementaire permet à l’association, à la base religieuse, de se réclamer de la majorité présidentielle. Compte tenu de cette disposition, combinée au rôle qu’elle a joué pendant l’élection présidentielle, l’association Sabati 2012, telle un partenaire du pouvoir, entendait formuler des exigences. N’ayant, par la suite, pas récolté l’effet escompté de son engagement politique en faveur d’IBK, Sabati 2012 manifeste son mécontentement et se pose désormais en critique, face aux décisions politiques qu’elle conteste.

Le 20 janvier 2014, lors d’un rassemblement dans sa résidence de Nioro du Sahel – à l’occasion du Maouloud, en présence du ministre malien du culte et des affaires religieuses, Thierno Diallo – Chérif Bouyé Haïdara a sévèrement critiqué le pouvoir, en se montrant consterné face à la décision de la Cour constitutionnelle invalidant les résultats de l’élection législative (de 2013) des localités de Nara (dans la région de Koulikoro) et Niono (dans la région de Ségou). En effet, durant les préparatifs de cette dernière élection, le Guide de la

hamalliyya avait proposé que des candidats, désignés par lui-même, soient inscrits sur la liste

du parti présidentiel, le Rassemblement Pour le Mali (RPM). Ayant été opposé à la réticence des responsables du RPM des régions concernés, les candidats soutenus par Bouyé se sont joints à d’autres partis, ou présentés sous l’étiquette de ‘’candidat indépendant’’. À la suite de l’élection, ceux de Niono et Nara, inscrits sur la liste ADP-MALIBA, ont été proclamés vainqueurs, avant de voir leur élection invalidée par la Cour constitutionnelle. Au cours de son allocution, Bouyé se demandait comment le président malien, Ibrahim Boubacar Kéita pouvait permettre aux juges de la Cour constitutionnelle la possibilité d’annuler, à leur guise, les suffrages des Maliens, et proclamer des résultats qui, selon lui, « ne reflètent pas la vérité

des urnes ». Les remontrances de Bouyé, vis-à-vis de celui qu’il a contribué à porter au pouvoir ont également concerné d’autres thèmes. L’élection d’Ibrahim Boubacar Kéita a abouti à l’arrestation du capitaine Sanogo, auteur du coup d’Etat du 22 mars 2012, qui avait précipité le Mali dans sa plus grave crise. La bienveillance de Chérif Bouyé Haïdara, cet important leader religieux, à l’égard du capitaine Sanogo, était publiquement affirmée. Sa sympathie pour le président Kéita, a dès lors commencé à s’amenuiser. Celui qui a activement participé à porter Ibrahim Boubacar Kéita au pouvoir, aussi bien par la mobilisation des masses que par la mobilisation de fonds, s’est transformé en un fervent contestataire de l’action politique du gouvernement du président Kéita : « Nous n’avons pas eu droit au changement que nous attendions. Rien n’a changé depuis l’élection présidentielle. Au contraire, les ténors de l’ordre ancien restent en place ou refont surface alors que les partisans du changement (le capitaine Sanogo-ndlr) sont jetés en prison ou exclus des affaires publiques [...] Nous nous sommes battus pour que ce qui nous est arrivé en 2012 ne se reproduise plus, or la menace revient [...] Ce n’est pas parce qu’un parti est au pouvoir qu’il doit bénéficier de toutes les faveurs au détriment des autres Maliens. Si le Rassemblement Pour le Mali (RPM) (le parti du président Kéita–ndlr) n’arrête pas d’être injuste envers les Maliens, je le combattrai plus fermement que je n’ai combattu l’ancien régime. Je n’ai pas combattu ATT par simple détestation mais parce qu’il se montrait injuste envers le peuple»59

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