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Le HCIM une immersion assumée dans le domaine politique

L’ISLAM MALIEN

A. Le HCIM une immersion assumée dans le domaine politique

Les manifestations récentes de l’islam au Mali ont changé les enjeux de la question religieuse, tant dans la pratique islamique, que dans la vie quotidienne des Maliens. Le religieux au Mali étant pluriel, la coopération des uns avec les pouvoirs publics fait parfois le mécontentement des autres qui les accusent d’être corrompus. Ceci pose donc la question d’une segmentation religieuse, davantage prononcée, face à une gestion conjointe avec les pouvoirs publics de certaines questions politiques, sociétales. « Au sein d’une même confession, les lectures des textes religieux peuvent varier et conduire à des visions différentes des actions de sensibilisation » (Muriel Gomez-Perez, 2005). Dans le jeu des concurrences au sein de la sphère islamique, certains acteurs se donnent pour mission de contrer le discours anti-occidental de leurs coreligionnaires, à leurs yeux contreproductif, dans le domaine débattu

(par exemple, les divergences malékites et wahhabites sur la question de l’utilisation du préservatif par les jeunes).

Dans la société sénégalaise, par exemple, les accointances qui se tissent et rapprochent le politique du religieux sont patentes et concevables. Au Mali, elles peuvent paraître choquantes pour ceux des leaders religieux qui se sentent délégitimés et mis à l’écart. Les associations islamiques maliennes divergent de celles du Sénégal, qui pour leur part « sont créées par des confréries ou des marabouts aux visées politiques » (C. Coulon, 1983). « Il n’y a pas non plus de réseaux confrériques de personnalités musulmanes étroitement liées au politique, comme au Sénégal et en Mauritanie » (Ould Cheikh, 2004). Même si cette pratique n’est pas formellement institutionnalisée comme au Sénégal, où « les confréries font et défont les rois » (Birane Wane, 2010), au Mali, les associations mettent à disposition des partis politiques, une part décisive du vote populaire. Elles n’hésitent guère à s’allier au candidat qui saura leur témoigner de l’intérêt.

« Les dynamiques religieuses peuvent constituer une forme de manifestation du politique » (Françoise Bourdarias, 2008). « On peut concevoir aussi que des dynamiques religieuses n’entretiennent aucun lien avec le politique » (J.P. Olivier De Sardan, in Bayart 1993).

Dès son instauration, la stratégie de son premier dirigeant malékite, Thierno Hady Boubacar Thiam, consistait à tenir le HCIM hors du champ politique. En 2008, Mahmoud Dicko, ex-secrétaire général de l’AMUPI et successeur de M. Thiam, va donner au HCIM des orientations politiques explicites. Comme précédemment évoqué, au Mali, la pauvreté s’accentue, le désappointement des populations se généralise. Cette conjoncture économique rude, et les moyens limités de l’Etat, ont poussé les populations qui ont perdu tout espoir aux leaders politiques, à se tourner vers les associations islamiques. Suite aux troubles sociopolitiques de mars 1991, donnant lieu à la démocratie, les associations islamiques maliennes se sont multipliées, et ont investi l’espace public politique. La démocratie malienne, après plusieurs années de gestion consensuelle, a montré ses limites lors de la crise politique et institutionnelle de 2012. Les troubles qui en ont découlé ont davantage conforté la notoriété des principaux leaders musulmans : Chérif Bouyé Haïdara, Mahmoud Dicko et Chérif Ousmane Madani Haïdara. Leur visibilité dans l’espace public s’en est également trouvée renforcée. Cet activisme fervent sur le terrain politique, à la faveur de la crise, a ainsi entériné officiellement l’entrée du HCIM en politique, à travers la création, le 21 août 2012, du ministère des affaires religieuses et du culte. Un tel ministère qui auparavant n’avait jamais

existé au Mali, faisait ainsi son apparition dans le paysage politique, lors de la formation du gouvernement d’union nationale du premier ministre Cheick Modibo Diarra.

Plusieurs questions pourraient être posées sur les raisons de la création de ce ministère, d’autant que celles-ci ont demeuré obscures, et n’ont été soutenues par aucun plaidoyer officiel. Nous avons cherché à savoir si, à l’origine, ce ministère avait pour but de recadrer et réguler la sphère religieuse malienne, ou répondait plutôt au besoin d’intégrer pleinement et officiellement les musulmans maliens dans le processus politique. Les évènements qui ont précédé sa mise en place nous poussent à estimer qu’il s’agit d’une récompense du premier ministre Cheick Modibo Diarra à l’endroit du HCIM pour l’avoir fermement soutenu, au moment où la quasi-totalité de la classe politique malienne, dénonçant son ‘’incompétence’’ dans le règlement de la crise malienne, réclamait son départ de la primature. Quelques jours après le meeting des responsables politiques maliens exigeant le départ de M. Diarra, le 12 août 2012, à l’appel du HCIM, environ 60.000 personnes se sont rassemblées au stade du 26 Mars de Bamako, pour manifester en faveur de la paix au Mali et, par la même occasion, exprimer leur soutien au premier ministre Cheick Modibo Diarra. Lors de ce rassemblement, le Premier ministre Diarra était d’ailleurs apparu aux côtés du président du HCIM, Mahmoud Dicko. Seulement dix jours plus tard, le ministère des affaires religieuses et du culte était créé. Nous pouvons ainsi remarquer, eu égard aux contextes socio-politiques de 1991 et de 2012, que les périodes de troubles se sont toujours avérées favorables aux mouvements religieux, par le poids de leurs interventions, et par leur importante visibilité publique. Dans le contexte de la crise de 2012, seul le HCIM a pu obtenir la libération de cent-soixante militaires maliens, prisonniers des groupes djihadistes ; a permis l’ouverture de couloirs humanitaires permettant de ravitailler en vivres et médicaments les populations du nord assiégées ; et à faciliter l’évacuation des réfugiés.

Dès la prise du pouvoir par l’armée, alors conduite par le capitaine Sanogo, le HCIM fut la première entité à aller à la rencontre des putschistes à Kati (quartier général des putschistes situé à 15 km de Bamako), en vue de leur témoigner le soutien de la communauté musulmane. Le HCIM s’est par la suite trouvé dans une situation embarrassante lorsqu’à l’exception du SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance)37, le coup d’État fut

37

Le SADI est un parti politique malien créé en 1996 et dirigée par Oumar Mariko, parlementaire et un des artisans de la révolution de mars 1991. Il a été l’unique parti politique ayant soutenu avec force le coup d’Etat militaire du 22 mars 2012.

unanimement rejeté par l’ensemble de la classe politique malienne, réunie au sein du Front uni pour la sauvegarde de la Démocratie et la République (FDR)38.

A la lumière des éléments présentés jusqu’à présent, quelques hypothèses pourraient idéalement guider nos réflexions dans la suite de notre travail.

Le facteur religieux a toujours occupé un rôle important dans les sociétés d’Afrique subsaharienne en général, et au Mali en particulier. De nos jours, nous nous apercevons que les mouvements islamiques maliens mobilisent plus que les organisations politiques. L’impuissance du politique face à cette organisation religieuse (HCIM) très forte, dont elle fut le précurseur, incite désormais le politique à adopter une stratégie d’alliance.

Si la démarche des mouvements islamiques d’une réislamisation de la société nous semble incontestable, nous estimons également que l’islam est devenu un instrument utilisé par les associations musulmanes pour servir aussi des causes extra confessionnelles. Après avoir œuvré à créer et à donner une identité institutionnelle au domaine religieux, le politique s’en sert désormais pour atteindre les fidèles musulmans qui constituent l’essentiel de l’électorat malien. Par désespoir, une majorité de Maliens qui n’attendent plus rien de l’État se sont réfugiés auprès des mouvements religieux sur lesquels ils ont reporté leur confiance. Il s’est ainsi noué une forme de partenariat entre le religieux et le politique. Cette alliance, eu égard au rôle joué par les associations musulmanes, principalement pendant l’élection présidentielle de 2013, démontre qu’elles ont pour objectif de connecter leurs membres (les électeurs) aux leaders politiques et candidats qu’elles choisissent.

B. Les sources d’influence des associations musulmanes en général et du HCIM en