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Le malékisme, l’essence de l’islam malien

LA PRATIQUE DE L’ISLAM, ET LA PLURALITE DE L’OFFRE RELIGIEUSE DANS LE MALI CONTEMPORAIN

A. Le malékisme, l’essence de l’islam malien

Bien que se considérant profondément musulmans, de nombreux Maliens continuent de posséder des objets animistes. Ils estiment que ce n’est pas incompatible avec la pratique de l’islam. Si l’islam s’est toujours pensé dans le cadre d’une société musulmane, au Mali il s’est repensé dans le cadre d’une société originellement traditionnelle. Etre musulman ou même chrétien en Afrique sub-saharienne peut avoir un sens et des implications très différentes

selon les pays. Cela fait que l’islam africain se caractérise tout d’abord par son « enracinement ethnique » (Guy Nicolas, 1978).

1. Les particularités de l’islam malien, fort de l’héritage soudano-occidental

« Le message coranique n'est pas arrivé en Afrique sur une terre vierge. Si Muhammad (le Prophète de l’islam) avait été un négro-africain, la révélation dont il est le porte-parole aurait pris une autre forme » (Joseph Roger de Benoist, 1983). L’islam, tel qu’il est vécu au Mali, n’est pas seulement une religion venue d’ailleurs. Il n’y a pas véritablement eu d’opposition à son introduction, d’autant que, dans un premier temps, les propagateurs musulmans n’ont pas exigé l’abandon ou la transformation des formes de vie traditionnelles qui auraient pu être jugées contraires à une pratique saine de l’islam. L’islam s’est parfaitement intégré aux dispositions religieuses traditionnelles africaines, parce qu’il n’était pas considéré comme une religion étrangère. Le ‘’monde musulman’’ ne revendiquait pas non plus, à cette époque, « l’exclusivité de son idéologie religieuse et était prête à s’accommoder de nombreux traits des croyances et des coutumes traditionnelles » (G. Chauzal, 2011). « Le marabout était aussi fabricant d’amulettes, il organise des rituels de protection ou de prospérité, et il fait office de guérisseur, à côté des spécialistes païens » (Yves Person, 1968).

La dynamique démographique au moment de son introduction, son adoption par les populations, et leur attachement aux cultures ancestrales, ont façonné une forme d’islam propre au Mali. « Une large partie de l’exégèse coranique s’effectue sur le terrain en langue locale et attire depuis longtemps une audience admirative aux tendances religieuses variées, comptant de nombreux adeptes des religions dites traditionnelles » (T. Tamari, 1996).

De nombreuses coutumes encore entretenues par des populations musulmanes maliennes, et d’ailleurs en Afrique, sont en effet antérieures à l’islam. Il ne s’agit pas non plus d’un syncrétisme, car s’il y a coexistence et enrichissement dans la même ligne de foi, il n’y a pas une fusion totale de deux croyances différentes. Cela explique, selon Joseph Roger de Benoist (1983), le succès de l'islam qui apportait, en outre, l'entrée dans une communauté sans frontière. Cette disposition de l’islam, qui n’exige pas de se départir de ses coutumes, compte beaucoup pour des hommes chez qui tout déplacement signifiait déracinement aussi bien ethnique que religieux. La tradition de tolérance de l’islam malien trouve sa source dans cette pratique, résultant de l’association pacifique de la religion musulmane, avec d’autres formes de croyances traditionnelles, désignée par R. Otayek et C. Toulabor (1990) sous le terme de « concubinage religieux ».

2. Le rôle des confréries dans la vulgarisation du malékisme au Mali

Dès son introduction au Mali, l’islam a été d’influence soufie, le malékisme dont se réclame une majorité de Maliens, trouve sa source dans cette pratique religieuse. Le soufisme est représenté par quatre grandes écoles : la Qadiriyya, la Tijaniyya, la Hamalliyya, la

Mouridiyya. L’école malékite a été largement diffusée au mali par le canal des confréries

soufies Qadiriyya et Tijaniyya, tout soufi n’est cependant pas forcement adepte d’une confrérie, certains vivent indépendamment de toute appartenance à un groupe.

Le soufisme représente, selon Jean-Pierre Raison (2002), l'ensemble des tendances mystiques et ascétiques qui se sont manifestées dans l'islam dès le VIIIe et le IXe siècle (Ier-IIe siècle de l'Hégire)... Le soufisme est défini par Eric Geoffroy (2009) comme étant la dimension intérieure de l'islam sunnite, un véritable antidote contre les divers intégrismes. Le soufisme, écrit le Dr Nurbakhsh18 (2001), « est l'école de l'illumination intérieure. Son but est la connaissance de la vérité par une prise de conscience réelle du cœur et de l'esprit à travers l'illumination intérieure, et non par l'intermédiaire de théories et de raisonnements philosophiques ou rationnels ». Cette pratique a pour nom la tariqa, la voie spirituelle ou le chemin vers Dieu. La notion d’illumination intérieure ou divine, évoquée par le Dr Nurbakhsh, ne peut être acquise par le disciple ou talibé que par l'intermédiaire d'un guide. A travers son ouvrage « Ar Rimah (Les Lances) », El Hadj Omar Tall évoque avec vigueur cet aspect du tidjanisme et explique que « tout sage qui désire se délivrer tôt ou tard de ses mauvais penchants doit se faire guider par un cheikh, directeur spirituel très instruit, ayant une profonde connaissance de ses défauts et de leurs remèdes. Il se fera diriger par lui et se pliera à ses ordres avec une parfaite obéissance […] Le disciple doit être à la disposition de son cheikh au même titre que le cadavre est à la disposition du laveur » (El Hadj Omar Tall, in Maurice Puech, 1967).

Si dans la période contemporaine le soufisme représente le courant le plus pacifique de l’islam, nous avons pu constater que cela n’a pas toujours été le cas. Au XIXe siècle, l’exigence d’une orthodoxie musulmane s’est incarnée à travers des guerres saintes conduites par des confréries soufies, d’abord par la Qadiriyya, relayée ensuite par la Tidjaniyya. L’émergence d’une autre forme de pratique de l’islam (plus récente – à partir des années

18

Javad Nurbakhsh (1926 (Iran) – 2008 (Angleterre)), était un maitre de la confrérie soufie iranienne ‘’Nématollahi’’.

1950) va confronter la sphère religieuse malienne à un fractionnement, « aiguillonné par les fidèles eux-mêmes, plus jeunes et plus urbains, dont les aspirations comme le mode de vie se trouvent en décalage par rapport aux discours et pratiques des cadres religieux traditionnels » (Maud Lasseur, Cédric Mayrargue, 2011).