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L’apparition du salafisme/wahhabisme dans la sphère religieuse malienne

LA PRATIQUE DE L’ISLAM, ET LA PLURALITE DE L’OFFRE RELIGIEUSE DANS LE MALI CONTEMPORAIN

B. L’apparition du salafisme/wahhabisme dans la sphère religieuse malienne

La fin de la colonisation française voit apparaitre au Soudan Français (actuel Mali) un nouveau mouvement, qui s’appuie sur une lecture rigoriste du Coran, dont les adeptes se réclament être des « gens de la sunna ». Apparu au début des années 1950, se positionnant aux antipodes des cadres islamiques traditionnels confrériques, ce mouvement est à l’origine d’une profonde fracture au sein de la communauté musulmane malienne.

A l’achèvement de la colonisation française, alors que les Français s’attelaient à contrecarrer l’influence arabo-musulmane dans l’AOF, des leaders africains, à l’exemple de Léopold Sédar Senghor, bien que n’étant pas lui-même musulman, militaient en faveur de l’enseignement de l’arabe. Ainsi, entre 1948 et 1949, le conseil municipal, sur l’initiative de son président, Me Lamine Guèye, attribuait des bourses à des jeunes Sénégalais, Soudanais (Maliens) et Guinéens afin qu’ils aillent poursuivre et approfondir leurs connaissances en langue arabe et islamologie, pour éclairer, à leur retour, leurs coreligionnaires sur la vraie pratique de leur religion, « le but étant de permettre la connaissance directe des textes de base de l’islam » (Joseph Roger de Benoist, 1983).

1. Le wahhabisme, la vision normative de l’islam ?

« Mouvement religieux puritain proposant une interprétation scripturaliste et anti-soufie de l'islam, le wahhabisme fut à l'avant garde du renouveau réformiste, de style moderniste, tel qu'il se développa au cours des deux dernières décennies de l'ère coloniale dans les régions à prédominance Malinké/Dioula de l'Afrique Occidentale Française, à savoir certains secteurs du Burkina-Faso, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée et du Mali actuels (Marie Miran-Guyon, 1998). C’est l’administration coloniale française qui a été la première à faire usage du terme « wahhabisme », en référence au nom du théologien arabe du 18ème siècle Muhammad Ibn Abd al-Wahhab, considéré comme étant la principale source d'inspiration des nouveaux réformistes ouest-africains. Bien que ces derniers ne dénient pas ce lien, « ils se sont toujours

opposés à cette appellation qu'ils taxent d'impropre et de trompeuse, puisqu'elle fait référence à un attribut réservé à Dieu. Les autres musulmans par contre ont largement repris cette désignation, à laquelle ils ont donné une connotation plutôt péjorative » (Marie Miran-Guyon, 1998).

Comme l’explique Yves Person (1980), les animateurs de ce mouvement sont « des nouveaux venus », de retour des universités arabes. Selon lui, ils ont œuvré « à creuser un sillon qui a servi de base, à plus long terme, à des évolutions radicales multiples ». Le fait pour eux de maitriser la langue arabe, qui est la langue de l’islam, et d’avoir fait des études supérieures, les a poussés à se hisser sur un piédestal par rapport à leurs ‘’concurrents’’ traditionnalistes. Ils sont opposés à la démarche d’ethnicisation de l'islam que nous avons évoquée. S’il leur est accordé l'appellation d'arabisants, du fait de leur imprégnation dans la culture arabe, c'est aussi parce que, selon eux, la pratique d'un islam authentique et la maîtrise de l'arabe sont indissociables.

Les wahhabites prétendent avoir comme référents exclusifs le Coran et la Sunna du Prophète Mohamed, et marquent une grande méfiance envers toute production jurisprudentielle. Tenants d’un islam pur et dur, et en raison de leurs discours véhéments et actes de mépris envers les autres musulmans considérés comme des ignorants, les wahhabites entretiendront des rapports difficiles, aussi bien avec l’administration coloniale qu’avec tous les régimes successifs que le Mali a connus jusqu’ici. « Considérée comme un facteur d’instabilité, leur organisation originelle, l’Union Culturelle Musulmane (UCM), fut interdite par chacun des deux premiers régimes du Mali indépendant » (Kaba, 1974, Amselle, 1985).

Si à certains moments ses actions ont pu paraitre violentes, le wahhabisme malien pourrait toutefois correspondre à l’appellation de salafisme quiétiste, ce qui le rend différend du salafisme djihadiste. Nous faisons donc clairement une différence entre les deux notions. Tout au long de notre étude, le wahhabisme ou salafisme quiétiste correspond de façon générale à cette forme d’islam certes rigoriste et puritaine, mais non armée, adoptée par la classe dirigeante du Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM), avec Mahmoud Dicko en tête. Le salafisme djihadiste, quant à lui, est la conception de l’islam appliquée par les groupes islamistes armés qui se sont emparés du Nord- Mali.

2. Le wahhabisme à l’origine de l’organisation de la sphère religieuse malienne

A partir de 1953, au retour des premiers boursiers d'Algérie, le wahhabisme s’organise dans plusieurs pays, en association appelée Union Culturelle Musulmane (UCM). Au Mali, l’UCM s’est clairement fixé pour objectif de combattre le soufisme, et les pratiques y afférents. A ce sujet, l’article 3 de l’UCM stipulait clairement que : « l’Union a pour but de combattre par des moyens appropriés l’exploitation éhontée des charlatans, le fanatisme et les superstitions, en un mot de purifier l’islam en le débarrassant de toutes influences et pratiques corruptrices ». Dissoute par le régime de Modibo Kéita (1960-1968), sous prétexte qu’elle constituait une menace à la stabilité du pays, l’UCM, qui a soutenu le putsch de 1968 entrainant la chute du régime socialiste de Modibo Kéita, a fini par être réhabilitée par le régime militaire de Moussa Traoré (1968-1991). Ce dernier s’est par la suite montré favorable aux mouvements wahhabites. Comme le précise Anne Doquet (2007), « si le gouvernement socialiste de Modibo Keita se fonda sur des bases laïques et lança, en 1957, un pogrom

anti-wahhabia, celui de Moussa Traore (1968-1991) pris les atours d’une identité musulmane.

Impliqué directement dans les affaires islamiques, il réhabilita dans un premier temps l’Union culturelle musulmane interdite […] ».

3. Les caractéristiques du salafisme/wahhabisme

À l’origine, le salafisme est un mouvement religieux, habituellement non violent, qui s’efforce à la pureté religieuse, à la piété personnelle et à la moralité islamique. Il s’est largement axé sur le combat contre les éléments locaux culturels et soufis de l’islam. « Depuis les années 1980, il résiste également activement aux influences occidentales, considérées comme ayant une influence négative sur la religiosité des musulmans » (Terje Ostebo, 2012). Considéré comme étant le fer de lance du djihadisme, le salafisme se caractérise avant tout par son approche littéraliste des préceptes religieux. Ses adeptes se disent à la recherche d’un islam vrai et pur, celui des Salaf Salih c’est-à-dire des pieux prédécesseurs. Bernard Rougier (2008) explique que « les salafistes s’émancipent de la tradition fondée par les écoles juridiques, et inventent un nouvel islam. Ils construisent, en effet, une nouvelle lecture de l’islam, littéraliste. Cette lecture n’affirme se fonder que sur le Coran, et la Sunna, c’est-à-dire l’ensemble des hadiths, les faits et paroles prêtés à Mohamed et à ses compagnons. L’objectif

des salafistes consiste ainsi à imiter le prophète de l’islam en toute matière, y compris dans leur façon de « s’habiller ou de manger » (Bernard Rougier, 2008).

Le salafisme n’est donc ni un mouvement religieux à revendication politique, ni une organisation à proprement parler, plutôt une tendance de « régénération » de la foi et de réislamisation de la société. Un salafiste peut être considéré comme un musulman « ultra-orthodoxe » (Antoine Sfeir, 2011).

Le salafisme prône :

- le retour à l’islam des origines par l’imitation de la vie du Prophète, de ses compagnons et des deux générations suivantes ;

- le respect strict et inconditionnel de la sunna (tradition islamique, comprenant le Coran, les hadits).

Il condamne :

- toute interprétation théologique, en particulier par l’usage de la raison humaine, accusée d’éloigner le fidèle du message divin ;

- toute piété populaire ou superstition, comme le culte des saints, jugé contraire à l’unicité de Dieu (tawhid) ;

- toute influence occidentale, comme le mode de vie et la société de consommation, mais également la démocratie et la laïcité.

Il se décline en deux principaux courants : le salafisme quiétiste et le salafisme djihadiste auxquels Antoine Sfeir (2011) ajoute un troisième courant : Al Sahwa al islamiya (« le Reveil islamique ») inspiré d’un courant plus politique, conduite en 1991 par les deux Cheicks wahhabites Salman Al Awda et Safar Al Hawaii contre le feu roi Fahd après la première guerre du Golfe.

Le salafisme quiétiste plus largement majoritaire à travers le monde est inspiré par le wahhabisme saoudien, également répandu en Jordanie et au Yémen. Sa préoccupation principale consiste à vivre en parfaite harmonie avec les prescriptions coraniques. Le salafisme djihadiste quant à lui apparait plus révolutionnaire. Inspiré par l’expérience du Frère musulman égyptien Sayyed Qotb ou du Jordanien Abou Mohamed Al Maqdissi, il constitue la base intellectuelle du terrorisme et des opérations suicides, encourageant des actions violentes contre les Occidentaux (Antoine Sfeir, 2011).

Il existe une différence doctrinale et politique considérable entre les salafistes quiétistes et les djihadistes. L’autorité des groupes djihadistes est détenue par l’émir (le chef de l’organisation), tandis que les mouvements quiétistes sont conduits par le Cheick (l’ouléma, le chef religieux). « Il est bien plus facile pour un émir de s’improviser Cheick que l’inverse » (Bernard Rougier, 2008).

Le salafisme prône un retrait de la politique et une régénération essentiellement morale et développe un discours sur les valeurs, s’éloignant de l’activisme (Mohamed-Ali Andraoui, 2013). C’est d’abord sous cette forme qu’il a opéré dans le Nord-Mali, à travers le phénomène des prédicateurs du mouvement Jama’at Tabligh, qui étaient très actifs dans le septentrion malien. A Gao, de nombreux responsables religieux, ayant été sous l’influence de ces prédicateurs, prônant un islam rigoureux, étaient déjà imprégnés d’une idéologie islamiste et préparés à l’arrivée des groupes djihadistes qu’ils n’ont pas hésité à soutenir.