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Chapitre*3*:*S’autoTréguler(pour(collaborer*

5. Visualiser la collaboration

5.3 Le potentiel de la visualisation

Dans un contexte asynchrone, l’utilisateur doit être en mesure, quand il arrive dans l’environnement, d’interroger facilement le système sur les nouveautés et les modifications accumulées depuis sa dernière connexion. Un moyen fourni aux apprenants pour supporter la collaboration consiste à intégrer des visualisations de leurs activités dans leur environnement (Calvani & al., 2009 ; Jermann & Dillenbourg, 2008 ; Janssen & al., 2007). Plusieurs auteurs ont défini ce concept de visualisation.

La visualisation correspond à une association de données à des représentations (Tufte, 2001). Dans sa définition, Few (2013) met en avant le principe d’amplification cognitive. Pour cet auteur, la visualisation recouvre l’ensemble des représentations visuelles qui facilite l’exploration, l’analyse et la communication de données. Dans les environnements d’apprentissage médiatisé, les visualisations

offrent une mémoire externe qui décrit les événements passés et sert de support à la communication et à la coordination (Dimitracopoulou & Bruillard, 2007). D’un point de vue conceptuel, les visualisations font partie intégrante des outils de suivi en regard de la classification de Michel, Garrot & Georges (2007) que nous décrivons dans le chapitre 1.

L’idée de visualiser l’apprentissage à partir de l’exploitation des traces laissées par l’apprenant durant son parcours d’apprentissage a rapidement trouvé un consensus dans la communauté EIAH ces dernières années avec les recherches centrées sur l’analyse automatique des interactions (Dimitracopoulou, 2008). Le développement de cette approche s’est particulièrement accéléré avec l’émergence progressive du champ de recherche « Learning analytics » que Siemens & Long (2011, p.31) définissent comme « la mesure, la collection, l’analyse et l’interprétation des

traces des apprenants et de leurs contextes, pour comprendre et optimiser leur apprentissage dans l’environnement dans lequel il se produit. » Dans le cadre fixé

par le champ de recherche « learning analytics » (Buckingham, 2012), nous nous situons au niveau micro (figure 8). Notre préoccupation principale dans notre étude concerne en effet, l’activité de l’apprenant dans le contexte spécifique d’un cours. Le niveau méso concerne l’analyse des traces au sein d’une même institution et le niveau macro fait référence à un terrain d’investigation à une plus large échelle comme un système éducatif. Comme le suggère la figure 8, les données recueillies au niveau micro sont susceptibles d’alimenter les analyses menées aux niveaux supérieurs, et inversement.

FIGURE 8 : LEARNING ANALYTICS (BUCKINGHAM, 2012)

Si les visualisations sont susceptibles de synthétiser un nombre conséquent d’informations et de faciliter leurs interprétations, elles ne permettent cependant pas de compenser un environnement en face à face. Plusieurs publications récentes mettent en évidence l’importance de se doter d’outils qui permettent de visualiser des informations directement liées à la médiation sociale et cognitive (Janssen & al., 2011 ; Buder, 2010). On peut, en effet, considérer que les informations sont plus facilement disponibles et traitables dans un environnement numérique grâce à l’archivisation et à la disponibilité des traces informatiques. L’intérêt réside davantage dans la mise en évidence d’informations, qui ne sont pas directement observables par l’apprenant, de manière à lui offrir une réalité augmentée du

processus d’apprentissage. Le principe est donc de rendre visible et persistant ce qui est difficilement perceptible ou imperceptible.

Les outils offrant ces visualisations sont souvent désignés par les termes de tableau de bord. Ils informent les sujets sur l’état de leurs actions et de leurs interactions à travers une série d’indicateurs qui leur donnent la possibilité de découvrir la manière dont ils interagissent et évoluent au sein de leur groupe (Janssen & al., 2007). Ces indicateurs peuvent communiquer des informations qualitatives et quantitatives par rapport aux actions et aux interactions ayant eu lieu précédemment dans l’environnement. Dimitracopoulou & Bruillard (2007) évoquent clairement cette idée dans leurs travaux relatifs à l’usage des forums de discussion en éducation. Pour ces auteurs, il s’agit d’aider à concevoir des interfaces enrichies, ouvrant à de multiples lectures des échanges enregistrés. Ces supports permettant des représentations multiples et diversifiées peuvent apporter une assistance métacognitive directe aux participants (étudiants, tuteurs ou modérateurs) des forums en cours de formation. Dans ce cas, l’exploitation est endogène, car elle sert directement à l’activité d’apprentissage (Laflaquière & Prié, 2007). Les visualisations peuvent aussi fournir une assistance cognitive aux observateurs des interactions d’un forum (enseignants, chercheurs, etc.) qui sont amenés à analyser a posteriori le processus mis en place. L’usage des visualisations est alors de type exogène, car elles sont utilisées en dehors de l’activité elle-même (Laflaquière & Prié, 2007).

5.3.1 Rôle de feed-back

Sur le plan pédagogique, l’observation des informations disponibles dans la visualisation initie un mécanisme de feed-back (Janssen & al., 2007) que définit Hattie (2009) comme une information fournie par un agent extérieur par rapport à l’activité de l’apprenant. Hattie (2009) met clairement en évidence au travers des méta-analyses que le feed-back constitue la pratique pédagogique qui a la taille d’effet la plus importante (d = 1.13) en contexte d’apprentissage.

En nous référant aux théories du feed-back, on peut considérer que la visualisation de l’activité collaborative correspond davantage à ce que Crahay (2005, p.144) définit comme « un feed-back de contrôle qui invite l’apprenant par lui-même à

vérifier sa démarche ». Dans une étude expérimentale, il montre que cette

sollicitation d’une auto-évaluation a davantage d’effet sur la qualité de l’apprentissage que des rétroactions simples ou plus directes de l’enseignant. Dillenbourg (2011) va dans le même sens. Selon lui, l’intérêt principal des outils de visualisation réside dans le fait qu’ils ne formulent pas directement un feed-back expliqué sur la qualité des interactions et de la situation. Ils laissent plutôt la liberté aux élèves de disposer d’une rétroaction qu’ils ont eux-mêmes élaborée à partir des informations disponibles au sein de la visualisation. Dans leur typologie relative aux différentes formes de feed-back, Butler & Winne (1995) cités par Janssen & al. (2007) avancent d’ailleurs le concept de feed-back externe. Il se caractérise par le

fait que les informations fournies ne concernent pas uniquement l’individu, mais aussi l’ensemble de l’activité de son environnement. Par ailleurs, en nous référant à Hattie & Timperley (2007) qui s’appuient sur les travaux de Kulik & Kulik (1988), le feed-back au cours du processus d’apprentissage est d’autant plus efficace qu’il est administré immédiatement. Nous pouvons considérer que la visualisation obtenue à partir d’un processus informatique automatisée offre cette possibilité de fournir aux apprenants une rétroaction « just in time ».

Avec ce principe de partage, la rétroaction visuelle peut alors jouer un rôle de médiation au sein du groupe. Janssen & al. (2007) donnent l’exemple d’un membre de groupe dont le comportement correspond à une démarche de free-riding qui correspond à un comportement individualiste au sein du groupe. Sur la base de la visualisation de l’information, les membres du groupe peuvent plus facilement se référer à celle-ci pour discuter de ce problème et y remédier éventuellement par la suite. Par exemple, ils peuvent mettre en évidence que le free-rider ne tient pas compte de la contribution des partenaires dans la réalisation de la tâche, car la visualisation montre clairement qu’il ne répond pas aux messages émis par les autres membres du groupe.

Au sein du groupe, cette démarche peut être associée au principe de relation déictique (Crahay, 2005) qui consiste à associer un objet (la visualisation) présent dans l’environnement aux échanges mis en œuvre entre les partenaires et par la même occasion à aboutir à une meilleure représentation commune de la situation- problème proposée (Dillenbourg, 2011). La visualisation offre la possibilité de réduire la variance de perception d’une situation. Elle permet d’initier alors une démarche d’évaluation partagée et ainsi de combler les écarts éventuels qui existent entre les partenaires.

5.3.2 Effet motivationnel

Un certain nombre d’auteurs considère que, par le biais des visualisations, cette rétroaction d’informations exerce également un rôle motivationnel au niveau des apprenants (Janssen & al., 2007 ; Michinov & Primois, 2005). Pour comprendre ce lien, nous pouvons nous appuyer sur deux modèles complémentaires : la théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1950 cité par Leyens & Yzerbyt, 2005) et la dynamique motivationnelle (Viau, 2005).

Pour Leyens & Yzerbyt (2005), nous avons un besoin constant d’évaluer notre position par rapport aux autres lors de la réalisation d’une activité. Ce comportement constitue un des moteurs importants des relations interpersonnelles. Ce besoin correspond à un mécanisme de comparaison sociale. Pour Michinov & Primois (2005), il renvoie à l’ensemble des processus par lesquels les individus se comparent aux autres en évaluant leurs ressemblances et leurs différences. La visualisation joue en quelque sorte le rôle de l’agent extérieur en mesure d’évaluer la performance ou le statut de l’individu et le place dans une situation de comparaison à autrui (Monteil & Huguet, 1999 cités par Michinov & Primois,

2005). D’un point de vue pédagogique, elle offre ainsi à un individu la possibilité de s’auto-évaluer. Pour Michinov & Primois (2005), cette évaluation peut être envisagée de trois manières différentes : par comparaison ascendante (avec des individus plus performants que soi), par comparaison descendante (avec des individus moins performants que soi) et par comparaison latérale (avec des personnes semblables à soi). La comparaison sociale s’avère positive pour l’apprentissage si elle est de nature ascendante. La visualisation de l’activité d’individus qui progressent mieux peut mener un autre individu à se fixer des objectifs plus élevés qui vont l’amener ensuite à fournir des efforts plus importants pour atteindre ceux-ci. Cette situation peut entraîner parfois un sentiment de résignation. Il peut apparaître en cours de processus quand les efforts fournis ne permettent pas de réguler leur propre processus. Elle peut également survenir quand les sujets les plus actifs ont l’impression d’être déviants. Dans un souci d’être conformes à la norme du groupe, ils tendent alors à restreindre leur participation (Michinov & Primois, 2005). La comparaison ascendante avec les autres groupes induit alors un phénomène d’impuissance apprise. Si la comparaison est de nature descendante, elle peut avoir un effet contre-productif dans une dynamique de collaboration. Lors de l’usage d’une visualisation, les individus se conforment alors à des indicateurs qui les informent d’une situation moins favorable. Cette situation peut alors se traduire par un engagement moins important de ceux-ci dans la tâche (Forsyth, 2000 cité par Michinov & Primois, 2005).

En mettant en évidence ce qui a déjà été ou non réalisé, l’apprenant dispose d’informations, dans son environnement, qui lui permettent de se fixer des buts orientés vers la réalisation et la maîtrise de la tâche. Viau (2005) décrit très bien ce comportement dans son modèle de la dynamique motivationnelle. Pour cet auteur, la motivation est un état dynamique qui dépend des perceptions de l’élève par rapport à un contexte donné qui peut être associé à la situation d’apprentissage. Celles-ci l’incitent, ou non, à faire des choix, à s’engager dans une activité et à persévérer dans son accomplissement. Parmi ces perceptions qui impactent la motivation, Viau (2005) met en avant le sentiment de contrôlabilité de la tâche. Celui-ci correspond à la perception qu’a l’élève de pouvoir réaliser la tâche qu’on lui propose et qui comporte une part d’incertitude. La manière dont l’apprenant perçoit les causes de ce qui lui arrive, quand il apprend dans son environnement, influence directement ce jugement. En dirigeant l’apprenant sur son comportement vis-à-vis de la tâche, la visualisation peut influencer positivement la perception de son pouvoir sur le déroulement de l’activité et le conduire à se fixer des buts proximaux dans la tâche. Elle lie donc davantage ses résultats aux efforts et oriente ainsi l’attribution causale au niveau interne.