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FIGURE 3 : COLLABORATION VS COOPERATION (DILLENBOURG, 2002)

5. Efficacité de l’apprentissage collaboratif

Si les théories d’apprentissage décrites au début de ce chapitre tendent à montrer que l’apprentissage collaboratif permet d’innover en situation de formation, on peut évidemment se poser la question bien légitime de son efficacité pour faire apprendre. Dans une perspective empirique qui privilégie l’expérimentation et l’observation, la recherche dans le champ de l’apprentissage collaboratif peut être envisagée au travers de trois paradigmes complémentaires (Dillenbourg, Baker, Blaye & O’Malley, 1996) : le paradigme des effets, le paradigme des conditions et le paradigme des interactions.

5.1 Paradigme des effets

Pour un même contexte d’apprentissage, ces études évaluent les différences de performances entre différentes modalités d’apprentissage et l’apprentissage en groupe. Si l’on se réfère à la théorie de l’interdépendance sociale, on peut procéder à des comparaisons entre l’apprentissage collaboratif (interdépendance positive), l’apprentissage individualisé (indépendance) et l’apprentissage compétitif (interdépendance négative).

La méga-analyse proposée par Hattie (2009) apporte des réponses précises quand on envisage de comparer l’apprentissage individualisé à l’apprentissage collaboratif. Hattie (2009) en s’appuyant sur une dizaine de méta-analyses montre que l’apprentissage collaboratif a une taille d’effet2 de .59 par rapport à une approche individualisée. Ce résultat indique qu’un élève bénéficiant d’une structure collaborative augmente de plus d’un demi-écart-type standardisé sa performance comparativement à un élève bénéficiant d’un apprentissage individualisé.

Concernant la comparaison entre l’apprentissage collaboratif et l’apprentissage compétitif, la méga-analyse de Hattie (2009) rapporte une taille d’effet de .54 en faveur de l’apprentissage collaboratif (nombre de méta-analyses = 7). La synthèse des différentes études rapportées indique que les structures collaboratives produisent des effets positifs assez importants sur le rendement des élèves en comparaison aux structures envisagées selon une logique indépendante ou en interdépendance négative. Les résultats décrits par Hattie (2009) font apparaître que les bénéfices de l’apprentissage collaboratif ne s’opèrent pas seulement sur le plan

2 La taille de l’effet correspond à la différence standardisée des moyennes des groupes expérimentaux et des groupes

cognitif. En lien avec la dynamique des échanges, ce type d’apprentissage entraîne également en parallèle un développement de compétences sociales.

D’un point de vue perceptif, les structures collaboratives ont généralement un effet positif significatif sur les attitudes des élèves envers le contenu et les apprentissages ainsi que sur les relations qu’ils entretiennent avec leurs pairs. Les bénéfices de la collaboration induisent généralement chez les élèves une évaluation plus positive de leur travail.

5.2 Paradigme des conditions

Dillenbourg & al. (2007) en s’appuyant sur les travaux de Slavin (1983) et Johnson & Johnson (1999) rapportent qu’environ deux tiers des études indiquent que l’apprentissage collaboratif est plus efficace qu’apprendre seul. L’apprentissage collaboratif n’entraîne donc pas toujours les résultats attendus. Par conséquent, il est essentiel de s’intéresser aussi aux conditions dans lesquelles il est le plus efficace. Un certain nombre d’études rapportées par Hattie (2009) investiguent cette question. Elles consistent à comparer différents types de situations collaboratives pour identifier parmi les variables manipulées a priori ou a posteriori celles qui impactent positivement ou négativement l’apprentissage.

Hattie (2009) en s’appuyant sur les travaux de Johnson, Johnson & Stanne (2000) met en évidence que les démarches collaboratives sont plus efficaces lorsqu’elles combinent des renforcements au niveau du groupe. L’apprentissage collaboratif semble en particulier plus bénéfique quand les groupes sont valorisés au niveau du processus au travers de boucles de rétroactions qui évaluent leur activité de manière régulière.

Pour Slavin (2010), les situations collaboratives où l’on favorise la responsabilisation individuelle sont plus bénéfiques que celles où elle n’est pas stimulée. Pour y parvenir, la réussite du groupe doit dépendre en quelque sorte des apprentissages individuels de chacun de ses membres.

L’existence d’une structure explicite constitue également un facteur de meilleur rendement. Il faut entendre par là que les objectifs et les tâches d’apprentissage doivent être clairement définis par l’enseignant (Slavin, 2010). Par ailleurs, Hattie (2009), en se référant notamment aux travaux de Howard (1996), rapporte que l’apprentissage collaboratif est d’autant plus efficace que les apprenants ont la possibilité d’élaborer un nouveau contenu sur la base des ressources proposées. Cette situation entraîne un apprentissage plus en profondeur. Il importe donc à l’enseignant de construire la séquence de manière à proposer des tâches productives aux élèves. Il ressort également de ces analyses que la combinaison de ces différentes stratégies (structure, renforcement, production et responsabilisation) a un effet positif cumulé (Slavin, 2010). Ces conditions contribuent, entre autres, à favoriser la cohésion du groupe et sa motivation à collaborer.

Au niveau de la nature des apprentissages, il apparaît que l’apprentissage collaboratif est plus efficace pour développer des compétences en langue maternelle (lecture et écriture) que pour développer des compétences en mathématique (Hall, 1988) repris par Hattie (2009). On peut expliquer cet avantage de l’apprentissage collaboratif au niveau de la langue maternelle dans la mesure où il est plus pertinent pour des tâches ouvertes et divergentes. Cet effet favorable sur la langue maternelle est également lié au fait que la mise en œuvre de l’apprentissage collaboratif passe inévitablement par la communication écrite et/ou orale.

Si l’on s’intéresse aux caractéristiques des apprenants, plusieurs résultats se révèlent également instructifs. Hall (1988) cité par Hattie (2009) observe, ainsi que la taille de l’effet concernant l’apprentissage collaboratif augmente en fonction du niveau d’enseignement : école fondamentale (d = .28), secondaire (d = .33) et école supérieure (d = .41). Cette différence peut s’expliquer par la qualité des interactions qui augmente en fonction du développement cognitif des apprenants et peut impacter, par conséquent, la qualité de l’apprentissage. Pour Doise & Mugny (1997) cités par Depover, De Lièvre & Temperman (2006), ce mécanisme se base sur un principe de causalité circulaire. Les échanges favorisent, en effet, le développement de capacités cognitives plus évoluées qui permettent, à leur tour, des interactions sociales plus élaborées.

En ce qui concerne le niveau des élèves, Slavin (2010) met en évidence que l’apprentissage collaboratif est bénéfique pour tous les types d’élèves. Une crainte souvent évoquée est le fait que les « bons élèves » puissent être freinés dans leur apprentissage. L’étude de Shachar (2003) apporte des éléments de réponse intéressants à cette interrogation. Elle montre que l’apprentissage collaboratif a d’autant plus d’effet sur l’élève que son niveau est faible au départ. Il peut bénéficier du support des pairs plus avancés dans l’apprentissage. Ceux-ci ne sont toutefois pas en reste, car ils progressent tout autant que s’ils bénéficiaient d’une autre méthode d’apprentissage. Cette situation entraîne en parallèle une plus grande équité dans les classes dans le sens où l’apprentissage collaboratif diminue l’écart existant entre les élèves plus faibles et les élèves plus forts. L’apprentissage collaboratif permet donc d’induire un plus grand partage de compétences au sein du groupe.

5.3 Paradigme des interactions

Inspiré par les théories de la cognition distribuée, le dernier paradigme complète l’approche par les conditions en s’intéressant à l’activité de l’apprenant. Il postule que l’effet d’apprentissage est directement lié à la situation collaborative. L’acquisition de nouvelles compétences doit davantage être considérée comme un processus et non comme un simple produit final (Bruner, 1998). Complémentairement aux résultats de l’apprentissage, cette approche s’intéresse donc aussi à l’observation du processus collaboratif au travers des modalités

d’interactions mises en œuvre par les apprenants. Comme l’illustre la figure 4, certaines conditions peuvent induire différentes formes d’interactions qui elles- mêmes sont alors susceptibles d’influencer les produits de l’apprentissage.

FIGURE 4 : LE PARADIGME « INTERACTIONS » D’APRES DILLENBOURG & AL. (1996)

Selon cette approche, il importe donc, dans un premier temps, de déterminer

comment apparaissent des modalités spécifiques d’interactions dans

l’environnement et d’identifier ensuite parmi ces variables intermédiaires, celles qui sont susceptibles d’expliquer certains résultats des apprenants (progression individuelle, qualité de la production collective...) au terme du processus de collaboration. Pour Baudrit (2007), le degré d’interactivité n’est pas directement lié à la fréquence des interactions, mais plutôt à la façon dont ces échanges influencent les processus cognitifs entre pairs. Pour Dillenbourg & al. (2007), différents mécanismes opèrent lors d’une démarche collaborative. Ils facilitent le processus d’internalisation qui correspond à l’intégration de connaissances issues des interactions entre pairs dans la structure de connaissances (Lund, 2004). Plusieurs mécanismes cognitifs complémentaires peuvent impacter positivement le développement individuel. En s’appuyant sur les travaux de Slavin (2010), on peut distinguer plusieurs grands mécanismes qui entraînent des bénéfices sur le plan cognitif : l’auto-explication (Dillenbourg & al., 2007), l’appropriation (Dillenbourg & al., 2007), la régulation mutuelle (Crahay, 2005) et l’argumentation (Webb, 1991 ; Darnis, Lafont & Menaux, 2007).

L’auto-explication renvoie à l’idée selon laquelle la construction d’explications entre apprenants les entraîne à rendre plus explicite leur stratégie de résolution de problèmes. Lorsqu’un apprenant essaie de faire comprendre à un autre apprenant, il lui donne la possibilité de se questionner et de reformuler son avis (Dillenbourg &

al., 2007). Cette dynamique est en lien avec ce que Baudrit (2007, p.124) appelle l’effet-tuteur : « L’explication adressée à d’autres est plus avantageuse que celle

destinée à soi-même ». Plus les questions et les explications provenant de chaque

personne impliquée sont importantes, plus l’interaction est riche et contribue à définir une compréhension commune. Sur la base d’analyses de contenu des échanges, Erkens & Janssen (2008) mettent ainsi en avant que l’argumentation développée lors d’une résolution de problèmes facilite ensuite l’intégration des connaissances. La synthèse des travaux de Webb (1991) montre également qu’il existe un lien positif significatif entre le fait de fournir des explications de haut niveau et la progression cognitive de l’élève qui formule celles-ci. A contrario, les apprenants qui ne proposent que des argumentations réduites progressent significativement moins dans l’apprentissage.

L’appropriation désigne le mécanisme par lequel un apprenant en interaction est contraint de réévaluer son action en tenant compte de son partenaire (Dillenbourg, 1999). Chaque partenaire donne alors du sens à l’action des autres en fonction de son propre cadre de référence. Dans cette situation, la confrontation de l’individu à des points de vue différents du sien crée une situation de déséquilibre inter- individuel liée à une transformation des connaissances pour ensuite se structurer sur le plan intra-personnel. Pour des auteurs comme Perret-Clermont (1996), Bourgeois & Nizet (2005), le bénéfice de ce conflit « socio-cognitif » issu de ces échanges est double. Les interactions sociales obligent tout d’abord le sujet à coordonner ses actions avec celles d’autrui et l’entraînent dans un processus de décentration par rapport à son propre point de vue et celui de ses partenaires. Comme le font remarquer Darnon, Buchs & Butera (2006), ces situations amènent les apprenants à reconsidérer la tâche à réaliser sur laquelle les désaccords existent et ainsi se focaliser sur les caractéristiques de celles-ci pour mieux la comprendre. En outre, elles permettent au sujet de bénéficier d’informations différentes qui peuvent l’aider à élaborer une réponse nouvelle. Roulin (2006, p.223) souligne que le passage d’une activité individuelle à une activité collective lors d’un travail collaboratif induit « un déséquilibre entre les partenaires qui proposent des

réponses différentes, fondées sur des points de vue différents, qu’il va falloir coordonner pour parvenir à un accord ». Lors d’un conflit de ce type, Crahay

(2005, p.205) distingue deux formes de régulation mutuelle : les régulations relationnelles et les régulations socio-cognitives. « Dans la régulation

relationnelle, l’un des partenaires de l’interaction modifie sa ou ses réponses dans la seule perspective de rétablir un rapport non conflictuel sans que lui corresponde en contrepartie un réel travail cognitif. Lors d’une régulation socio-cognitive, il y a une élaboration collective de nouveaux outils cognitifs, dépassant les centrations initiales des partenaires. » Quand le conflit se régule ainsi sur le plan épistémique

et non sur le plan relationnel, les échanges augmentent alors les chances de modifier les structures mentales de l’apprenant. Sur la base de plusieurs observations expérimentales, Gilly, Roux & Trognon (1999) repris par Darnis, Lafont & Menaut (2007, p.59) proposent une typologie intéressante à considérer

dans la mesure où elle permet d’affiner cette opposition entre régulation socio- cognitive et relationnelle.

- La co-élaboration acquiescante : un des sujets élabore seul une solution et le partenaire valide. Il s’agit en quelque sorte d’un consentement aveugle.

- La co-construction ou co-élaboration sans désaccord : l’action de l’un est reprise ou poursuivie par l’autre, le premier prenant à nouveau le relais et ainsi de suite.

- La confrontation contradictoire sans argumentation : des désaccords non argumentés animent les échanges.

- La confrontation contradictoire avec argumentation : des confrontations contradictoires se définissent par la présence d’oppositions argumentées et/ou d’une autre proposition de procédure.

À la lecture de ces différentes formes de collaboration observées par Gilly, Roux & Trognon (1999), on observe un continuum entre un niveau bas du processus cognitif qui concerne le simple partage d’informations et un niveau élevé du processus cognitif qui fait référence à l’argumentation et la négociation. Le facteur- clef à stimuler dans l’apprentissage est la capacité d’argumentation de l’apprenant. Pour Dillenbourg (2011), un indicateur qui permet d’apprécier ce processus d’élaboration est le taux de transactivité. Il correspond à l’élaboration d’une intervention en fonction de l’intervention de son partenaire. Si le fait de répondre au partenaire constitue un indicateur de transactivité, cet indice reste toutefois limité. Il est plus intéressant de relever dans le contenu des échanges les références à un même objet. Cette transactivité passe pour un apprenant par la reprise de termes et d’idées dans l’historique des échanges. Dans leurs travaux, Quintin & Masperi (2010) montrent que la présence de la reprise de la parole de l’autre, dans l’élaboration de son propre discours qui contribue également à la qualité des relations, entretient un lien positif avec la qualité des travaux collaboratifs. Cette prise en compte des différentes représentations individuelles contraint également les apprenants à un travail de synthèse qui entraîne la mise en œuvre d’un mécanisme d’induction (Scharwtz, 1995 cité par Mondoux, Auderset & Dillenbourg, 2004) où l’apprenant doit inférer et synthétiser des nouvelles connaissances au départ des échanges produits dans le groupe.

D’un point de vue pédagogique, il apparaît donc essentiel de supporter la qualité interactionnelle et argumentative dans la mesure où elle produit des effets positifs à la fois sur les processus et sur la production collaborative ainsi que sur le développement cognitif individuel.