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Chapitre*2*:*Structurer(pour(faire(collaborer*

3. Constituer les groupes

Plusieurs choix importants sont à réaliser en vue de constituer les équipes. Dans le modèle proposé par Depover & al. (2003), ces décisions portent sur le nombre d’apprenants dans le groupe, la modalité de constitution et la distribution de rôles au sein du groupe. Nous développerons davantage cette dernière possibilité dans le troisième chapitre dans la mesure où cette approche concerne davantage la régulation de la dynamique collaborative.

3.1 La taille des groupes

Au niveau de sa taille, la littérature distingue trois possibilités pour catégoriser la taille d’un groupe dans le cadre d’un contexte collaboratif.

- Le groupe restreint comporte alors deux à cinq individus.

- Le groupe moyen se caractérise quant à lui par la présence de moins de dix individus. - Le grand groupe se voit composé par plusieurs dizaines d’individus, voire plusieurs

centaines de personnes.

Par rapport à cette typologie, Henri & Lundgren-Cayrol (2001) soulignent que la taille du groupe dépend essentiellement de l’activité proposée. Si une discussion autour d’une thématique peut concerner de grands groupes de plusieurs centaines de personnes, la réalisation d’une tâche est plus idéale et adaptée au sein de petits groupes de 2 à 5 personnes. Campos (2004) abonde dans le même sens. Un groupe restreint entre 2 et 5 personnes est idéal pour des activités où les étudiants doivent approfondir la matière et doivent fournir un effort de « convergence » en vue d’atteindre un consensus lors d’une résolution de problème. Selon Faerber (2003), le nombre de membres d’un groupe restreint est un facteur encore plus sensible dans une situation de travail à distance qu’en présentiel. La transition par un

environnement médiatisé induit en effet une complexité supplémentaire liée à la distance de l’objet.

Au niveau de ces groupes restreints mobilisés autour d’une tâche, peu de travaux ont évalué l’effet du nombre d’apprenants sur les modalités d’interactions dans leur environnement d’apprentissage (Strijbos, 2004). Lors d’une comparaison entre des paires et des groupes composés de quatre membres dans un contexte scolaire, Fuchs & al. (2000) ont observé que les groupes de quatre étudiants ont généré davantage de conflits cognitifs (désaccord et négociation) que les dyades. Ils ont également mis en évidence une plus grande symétrie dans les interactions au sein des dyades. Veerman, Andriessen & Kanselaar (2002) ont observé lors de travaux avec des étudiants universitaires des discussions plus intensives dans les groupes de trois étudiants en comparaison à des paires. Arnaud (2003) considère quant à lui qu’une équipe composée de trois membres semble être la bonne taille pour les projets collaboratifs. Le troisième équipier peut en effet jouer le rôle d’arbitre quand un désaccord se produit entre les deux premiers. Henri & Lundgren-Cayrol (2001) soulignent que plus le groupe est grand, moins les pressions sont fortes au niveau de l’engagement et de la participation. La difficulté de coordonner les tâches augmente également à mesure que le nombre de membres du groupe augmente. En termes de performance, Avouris, Margaritis & Komis (2004) mettent quant à eux en évidence qu’un groupe de trois ou quatre apprenants au sein d’un groupe restreint permet d’aboutir à des travaux de meilleure qualité que des apprenants groupés par paire.

Nous pouvons également nous référer à plusieurs travaux menés dans le champ de la psychologie sociale qui ont porté sur l’influence du nombre d’individus lors d’un travail collectif. Pour Pavitt (1998), l’augmentation de la taille du groupe constitue un facteur contribuant à une meilleure performance collective, en particulier dans des tâches de nature divergente. La présence d’un plus grand nombre d’individus permet en effet de disposer d’informations plus nombreuses.D’autres recherches relatives à l’influence de la taille du groupe se sont intéressées plus spécifiquement au comportement individuel dans un contexte collaboratif. Au niveau de la productivité, c’est Ringelman (1913) cité par Abrami (1996) qui, le premier, s’est penché sur la question du rapport entre la taille du groupe et sa productivité. Les résultats de ses travaux ont montré que plus le nombre de personnes augmente, moins les efforts individuels fournis sont importants, comme si les membres du groupe avaient tendance à réduire leurs efforts en faisant reposer le travail à réaliser sur les autres. L’augmentation du nombre de personnes constituant un groupe entraînerait ainsi une diminution des efforts individuels. Ce phénomène, connu sur l’appellation « Social loafing », est également mis en évidence par Steiner (1972) repris par Abrami (1996) qui souligne que le nombre de contributions diminue à mesure que le nombre d’individus dans le groupe augmente.

En ce qui concerne les modalités de la collaboration, Trowbridge (1987) cité par Depover & al. (2003) montre que les groupes de trois sujets ont tendance à être

plus compétitifs par rapport aux paires qui collaborent davantage. Paichelier (1985) abonde dans le même sens. Il estime que plus le groupe est important, plus la collaboration sera difficile à mettre en œuvre. La communication y est rendue plus difficile, car la charge de travail liée à la gestion des échanges et de la tâche croît avec le nombre de participants. Cette difficulté peut être expliquée avec les travaux de Anzieu & Martin (1990) relatifs à la dynamique des groupes. Ces auteurs mettent en avant que plus le nombre de membres d’un groupe croît, plus le nombre de canaux de communication5 et de relations interindividuelles6 potentielles augmente (tableau 7). Nombre*d’apprenants* Nombre*de*canaux*de* communication* Nombre*de*relations* interindividuelles*possibles* 2( 1( 2( 3( 3( 6( 4( 6( 12( 5( 10( 20( 6( 15( 30(

TABLEAU 7 : NOMBRE D’APPRENANTS ET RELATIONS INTERINDIVIDUELLES (ANZIEU & MARTIN, 1990)

Alors qu’un groupe de trois individus comprend six canaux de communication et 12 relations interindividuelles, un groupe deux fois plus nombreux (6 apprenants) augmente considérablement le nombre de canaux de communication (15) et de relations interindividuelles possibles (30). Il est évident que cette augmentation rend les tâches de coordination et d’échanges plus complexes au sein du groupe. Blanchet & Trognon (2008) soulignent quant à eux que le rapport entre la taille du groupe et son efficacité dépend essentiellement du type de tâches accomplies par le groupe. Lors d’une tâche disjonctive amenant une division du travail entre les membres du groupe, l’augmentation de la taille du groupe accroît davantage la probabilité de la présence d’un membre incompétent. À l’occasion d’une tâche élaborative, un groupe plus important a l’opportunité d’augmenter son capital de connaissances. L’étude de Temperman, De Lièvre & Depover (2009) confirme cette logique. Ces auteurs montrent ainsi que des apprenants fonctionnant en triade interagissent davantage que les apprenants groupés par paire. Leurs analyses montrent également que les étudiants groupés par trois aboutissent à des productions plus élaborées que les étudiants amenés à collaborer par deux. À l’occasion d’une étude testant l’effet de la taille au sein d’un forum de discussion, Gahide (2010) aboutit à des conclusions similaires. Elle montre que les apprenants groupés par quatre partagent significativement plus d’informations que les apprenants groupés par trois ou par paire.

5 Un canal de communication entre deux membres A et B permet deux relations interindividuelles : de A vers B et de B vers A. (Anzieu & Martin, 1990, p. 149)

6 La formule n (n-1), où n est le nombre de membres du groupe, indique le nombre de relations interindividuelles possibles entre tous les membres. (Anzieu & Martin, 1990, p. 149). La formule n (n-1)/2 permet d'obtenir le nombre de canaux de communication.

Sur la base de cet examen de littérature relatif à la taille des groupes, il reste difficile de déterminer un nombre idéal pour une tâche collaborative. Si le nombre de participants est réduit, on n’est pas certain d’obtenir des points de vue divergents et par conséquent il y aura moins de contenu à discuter. À l’inverse, dans un groupe dont le nombre de participants est trop élevé, il sera difficile de parvenir à une participation équilibrée et de traiter la quantité d’informations partagées. En tenant compte de la quantité d’informations et de la symétrie des échanges, il apparaît toutefois, que l’efficacité et la facilité de la collaboration passeront par un groupe restreint dont la taille ne dépassera pas le nombre de cinq apprenants.

3.2 La modalité de constitution des groupes

En ce qui concerne la manière de grouper les apprenants, le modèle de Depover, Quintin & De Lièvre (2003) propose quatre modalités de constitution des groupes : aléatoire, autonome, opportuniste et raisonnée. Le mode « aléatoire » s’opère sur la base de regroupements liés au hasard. La modalité « autonome » laisse le choix aux apprenants sur la base des préférences de chacun. L’option « opportuniste » permet de tenir compte de certaines facilités pour les apprenants par exemple la prise en compte des fuseaux horaires pour faciliter les rencontres synchrones. La dernière modalité « raisonnée » a pour objectif de favoriser la dynamique du groupe en associant des apprenants en fonction de certains critères (niveaux de connaissances, styles d’apprentissage, différences de points de vue, etc.).

À l’instar d’un dispositif de formation intitulé « Arguegraph » développé par Dillenbourg & al. (2007), il peut être intéressant de grouper des étudiants aux opinions divergentes dans une même équipe de façon à susciter des échanges contrastés entre eux. Baudrit (2007) rapporte différentes études portant sur l’effet de l’hétérogénéité des niveaux au sein d’un groupe. Celles-ci indiquent plutôt des effets plus favorables de la dissymétrie des compétences (hétérogénéité), par rapport à la symétrie (homogénéité). Les groupes homogènes caractérisés par un niveau fort ou par un niveau faible formulent généralement moins d’explications que les groupes hétérogènes. Ce comportement différent peut s’expliquer par le fait que les apprenants de même niveau ont tendance à se mettre d’accord plus facilement au travers d’une co-élaboration acquiescante. Ils ne passent alors pas par la résolution d’un conflit socio-cognitif, ce qui implique qu’ils ne réalisent pas de réels progrès individuels. Dans les groupes homogènes forts, la situation s’explique par le fait que les apprenants apportent peu d’explications, car ils estiment que leurs partenaires ont un niveau de maîtrise équivalent. L’explication pour les élèves de niveau faible est différente. Lorsque les apprenants ont un niveau cognitif assez faible, la probabilité de conflit est aussi quasi nulle. Ils fournissent peu d’explications dans la mesure où ils se retrouvent en difficulté pour élaborer des explications à leurs partenaires. La situation est également contre-productive quand la dissymétrie est trop importante et conduit à un engagement cognitif minimal de la part de l’élève plus avancé (sans conflit) et à une logique d’approbation aveugle de la part de l’élève plus faible (sans restructuration ou réelle co-construction). La

configuration idéale semble donc être plutôt une hétérogénéité modérée au sein des groupes collaboratifs.

Concernant l’effet de l’hétérogénéité, De Lièvre, Temperman & Lecomte (2010) montrent ainsi, lors d’un débat d’opinions mené à distance, que les paires ayant un avis divergent manifestent davantage leur désaccord au partenaire. Elles adoptent davantage une logique de confrontation contradictoire pour dépasser leurs oppositions initiales. Au sein d’une paire hétérogène, il semble que la tâche soit plus complexe à mettre en œuvre. L’analyse des interactions menée à l’occasion de cette étude indique un nombre plus élevé d’unités de sens relatives à la planification de la tâche au sein des paires hétérogènes. Ils expliquent cette situation par le fait que l’élaboration progressive d’un consensus, à partir d’éléments divergents, exige un niveau plus élevé d’organisation de la tâche. Pour stimuler la discussion au sein du groupe, l’hétérogénéité permet d’induire un nombre plus élevé de désaccords au sein du groupe et de générer ainsi davantage de conflits de type socio-cognitif en mesure de faire progresser l’apprenant.

Une constitution raisonnée peut également consister à créer des groupes plus équilibrés au niveau du potentiel de participation en tenant compte par exemple des styles d’apprentissage des apprenants (Decamps, François, Depover & De Lièvre, 2009) qui s’intéressent à la dimension sociale de l’apprentissage (Grasha, 1996). Le modèle de Grasha (1996) suppose l’existence de trois dimensions prenant place lors d’interactions sociales : participatif vs fuyant, collaborateur vs compétitif, autonome vs dépendant.

- Le style participatif se caractérise par le désir d’apprendre le contenu du cours et de s’engager dans la tâche alors que le style fuyant témoigne plutôt d’un intérêt réduit pour apprendre et une faible participation lors d’une activité.

- Le style collaboratif passe quant à lui par le besoin d’interagir avec d’autres tandis que le style compétitif se caractérise par une motivation extrinsèque importante.

- Le style indépendant se traduit davantage par une pensée autonome, une bonne confiance en soi, une capacité de se structurer son travail, tandis que le style dépendant est lié au besoin de considérer l’enseignant comme une source d’informations qui structure l’apprentissage.

Sur la base de l’évaluation de ces profils obtenus par un questionnaire administré avant la formation, Decamps & al. (2009) ont examiné l’effet de la constitution des groupes collaboratifs en tenant compte de leur niveau participatif. Leurs résultats montrent de manière assez claire que les groupes au profil « très participatifs » interagissent davantage dans le forum mis à leur disposition par rapport aux groupes au profil « peu participatifs ». Qui plus est, ces apprenants ont aussi une progression significativement plus importante dans la maîtrise du contenu du cours en question. La prise en compte de ces profils particuliers semble donc un élément

important pour favoriser l’engagement des apprenants dans le dispositif de formation.

Ces différentes études investiguant la question de la constitution des groupes mettent en évidence que les caractéristiques individuelles comme les degrés de maîtrise initiale, l’avis préalable par rapport à un contenu, le style d’apprentissage sont des variables à considérer. Elles montrent également que l’hétérogénéité semble plus favorable tant sur le plan du processus que sur le plan des produits. En ce sens, la différence n’est pas un frein, mais constitue plutôt une ressource utile au groupe pour progresser dans l’apprentissage.