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Le pays sous-vosgien, des mines aux fibres

Dans le document 90 010 Belfort cedex. (Page 57-61)

Mutation industrielle au XVIIIe siècle.

Le nord du Territoire de Belfort a connu une industrialisation très pré-coce, avec l’exploitation de mines polymétalliques, qui a donné naissance aux communes de Giromagny, Lepuix-Gy et Auxelles6. Le pic de produc-tion des mines est atteint dès le XVIe siècle, époque au cours de laquelle el-les donnent le plus d’emploi et ont un rendement important. Au cours du XVIIe siècle, une exploitation méthodique, voire scientifique se poursuit avec succès, même si les résultats ne sont plus aussi intéressants ni aussi faciles à obtenir, l’emploi d’un personnel minier important se poursuit.

Les filons, situés sur différents villages, sont exploités par les habitants, incités à diversifier leurs revenus par la pauvreté des terres. L’appel à une main-d’œuvre extérieure n’est pas nécessaire.

Au cours du XVIIIe siècle, le minerai atteint sa phase finale d’exploi-tation, caractérisée par une perte de rendement exponentielle. L’eau blan-chissante et la pauvreté des terres induit alors une nouvelle spécialisation agricole puis industrielle. Les paysans filent et tissent chez eux du chan-vre, du lin et marginalement de la laine, matières premières qu’ils produi-sent eux-mêmes sur quelques arpents de terre nommés Chenevières. Les fermes de cette période disposent du matériel nécessaire pour casser les fibres naturelles et pour filer. Le tissu est vendu localement ou sert à des utilisations familiales7.

Nous n’avons pas observé d’initiative locale pour la création d’une entreprise. Nous avançons, pour l’expliquer, une hypothèse que nous n’avons pu vérifier, le manque de capitaux. En effet, quelques initiatives de tisserands, installant plusieurs métiers chez eux pour y faire travailler des voisins, indiquent que l’esprit d’entreprise était présent. Cependant, comme le souligne George Schouler8, à cette période, l’activité agricole est toujours prioritaire et le travail du fil, peut être abandonné pour une tache

6 Philippe Lesmann, Parmi les anciennes mines de Lepuis-Gy, Giromagny et Auxelles, Belfort, Société Belfortaine d’Émulation bulletin 1940-1946, pages 79 à 90.

7 François Demeusy « Les débuts du textile à Lepuix-Gy », La Vôge n° 2, novembre 1988, pages 18 à 22. P. 18 :

« Dans les inventaires de biens familiaux dressés lors des partages, ou après décès, nous retrouvons toute la gamme des produits et outils de cette activité textile ».

8 Idem

58 C. de ReCits 5, 2007 Manuel Brun, 2007

plus urgente dans les champs. Le lin reste très utilisé jusqu’à la mode des indiennes, qui va reléguer les fibres locales au second plan, au profit du co-ton. Cette main-d’œuvre du XVIIIe siècle, est disséminée dans les différents villages et s’applique à l’ensemble de la famille, sans distinction de sexe, ni d’âge. Les habitants travaillent indépendamment les uns des autres, même si les donneurs d’ordre sont de plus en plus souvent les mêmes. Dès le mi-lieu du XVIIIe siècle, la famille Boigeol d’Héricourt fait transporter dans le Rosemont les fils de sa fabrique. Mulhouse n’est pas en reste, avec le travail fourni par la maison Koechlin. Ce travail opportun permet à la vallée de subsister sans se dépeupler. Les particuliers qui tissent pour leur propre compte trouvent facilement à écouler leur production.

Concentration progressive des moyens de production

Charles-Christophe Boigeol fait construire une filature mécanique de trois étages, à Giromagny, opérationnelle en 18139. Il y a une concentration du travail dans la fabrique, qui correspond à un transfert d’activité et non à une hausse. La population ouvrière n’augmente pas. En 1822, sur les 151 personnes employées par Boigeol, 74 sont des hommes et 77 des femmes qui sont presque tous originaires de Giromagny. En 1825, la société rompt avec Héricourt et le siège social d’une nouvelle société : Boigeol-Herr est basé à Giromagny, devenu Boigeol-Japy en 1833.

C’est Ferdinand Boigeol, fils du précédent, qui réalise la concentration verticale et horizontale des moyens de production dans le secteur textile, dans le Rosemont. En apportant ses capitaux et le savoir faire industriel, il bouleverse le bassin d’emploi, sans avoir recours à un apport de main-d’œuvre extérieur important. Tout ne se passe pas sans heurts, car le tra-vail salarié, dans une fabrique, est parfois considéré comme une aliénation, en obligeant à abandonner le travail à domicile. La main-d’œuvre locale, abondante, peu chère et travailleuse, a des soubresauts. Les troubles ap-parus, à Giromagny et à Lepuix-Gy, lors de la mécanisation du tissage, montrent la résistance des ouvriers.

En 1836, les services fiscaux indiquent que l’usine Boigeol-Japy compte une filature mécanique de 10 000 broches, un tissage mécanique de 43 mé-tiers et un tissage à bras de 57 mémé-tiers. Cette année là, les effectifs de la société Boigeol-Japy s’établissent à 663 ouvriers. Ils évoluent en 1850 à 761, puis à 1 579 en 186210, soit une progression importante, mais toujours

essen-9 François Liebelin La première filature de Giromagny, La Vôge n° 32 de janvier 2004, p. 3 à 15.

10 Chiffres cités par François Liebelin, idem.

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Université de technologie de Belfort-Montbéliard - 2007 59

tiellement par une concentration de l’activité. Boigeol-Japy étend son ac-tivité sur de nombreuses communes du secteur. Cela lui permet de dis-poser, dans chacun des villages, de personnel pour lequel il n’a pas à se soucier de la question du logement.

Sous l’impulsion de Ferdinand Boigeol, la concurrence mulhousien-ne s’éteint au rythme des rachats de tissage à bras et des différentes pro-priétés ayant un accès à la Savoureu-se. À sa mort, le 24 décembre 1866, la société Boigeol-Japy dispose d’un quasi monopole dans le tissage et la filature du Rosemont.

L’hégémonie de l’entreprise est

mise à mal par la guerre de 1870-71. Des firmes de la partie de l’Alsace devenue allemande, s’implantent dans les environs de Giromagny. Hart-mann de Munster installe un tissage mécanique en 1875 à Rougegoutte et Zeller Frères, d’Oberbruck, installant un tissage en 1879 et une filature en 1892, à Etueffont. Ces difficultés exogènes sont complétées par un éclate-ment de la société après la mort de Suzanne, née Japy, veuve de Ferdinand Boigeol, survenue le 28 décembre 1873. La concurrence nouvelle boule-verse le paysage industriel et les besoins de logements.

Concurrence et logements, une évolution concomitante

La population de Giromagny augmente, à la fin du XIXe siècle. elle passe de 3 007 habitants en 1872 à 3 156 en 1881 puis à 3 558 en 1886. L’em-ploi s’est diversifié avec l’arrivée de fonctionnaires et de militaires, dans une ville devenue frontalière. Les besoins de logements augmentent en conséquence, grâce à deux initiatives. Tout d’abord, l’office départemental construit des HBM entre l’usine et le logement patronal d’Ernest Boigeol.

Ce dernier, construit un logement ouvrier collectif en même temps que sa filature dite des Prés-Heyd, entre 1904 et 1906.

L’immeuble ouvrier est constitué de deux rectangles collés. Le plus grand, dans l’axe de la rue de l’usine, avec 8 travées et le second, per-pendiculaire comptant 5 travées, avec une entrée centrale. Ce bâtiment est construit en dehors de l’enceinte, même si la proximité est indéniable.

Au tissage du Pont à Lepuix-Gy, des logements collectifs sont construits dans l’enceinte de l’usine

© Manuel Brun

60 C. de ReCits 5, 2007 Manuel Brun, 2007

L’ensemble abrite actuellement cinq logements, dont quatre de cinq pièces plus une cuisine, une salle de bain et des WC et un cinquième, dans la par-tie perpendiculaire, de six pièces avec cuisine, salle de bain et WC11.

Cet exemple de construction de logements ouvriers à Giromagny, est accompagné d’autres, dans la même commune ou à Lepuix-Gy. Parmi les rares constructions neuves, se trouvent les cités Briot, à Lepuix-Gy, composées de trois groupes de quatre maisons jumelles à deux entrées, dans les rues de la Charrière, des Fouillotes et de la Noie. Elles ont été construites par le tissage Briot. Ces maisons sont bâties sur deux niveaux, avec un étage de comble, dans des rues qui ne sont proches ni l’une de l’autre ni de l’usine. El-les étaient complétées par des immeubles existants achetés par Briot. La situation est iden-tique à Giromagny.

Le premier critère d’implan-tation d’une usine nouvelle est la présence d’énergie hydraulique. C’est le cas à Anjoutey, Etueffont et Saint-Germain-le-Châtelet. C’est dans l’ancien moulin de cette dernière commune, qu’en 1861, Nathan et Moïse Bumsel, de Belfort, implantent un tissage mécanique de coton et font construire quelques maisons pour les ouvriers. Après quelques péripéties, dans la propriété du capital12, l’usine est rattachée aux tissages Schwob d’Héricourt en Haute-Saône en 1900.

Un logement ouvrier est construit par André Schwob en 1906 et un se-cond, sur le même modèle en 1926, la Grande Guerre n’ayant pas modifié l’activité du tissage. Le premier immeuble compte quatre appartements et le second cinq. Un service de ramassage en camionnette est organisé pour ceux qui ne sont pas logés au village. L’usine ferme le 1er avril 1935,

11 Il est vraisemblable que le bâtiment était divisé différemment pour loger des ouvriers. De même, les sanitai-res dans chaque appartement ne fait pas partie des standards de construction de la première moitié du XXe siècle, même s’ils se développent.

12 Bernard Groboillot « Le tissage de Saint Germain le Chatelet », La Vôge n° 1, p.11 à 15.

La cité Saint-Pierre à Giromagny est un exemple des logements construits après le retour de la concurrence dans le Rosemont

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au plus fort de la grande crise, car les établissements Schwob rationalisent leur production en supprimant les petites uni-tés de fabrication. Le destin du tissage de Saint-Germain-le-Chatelet montre la fragilité des usines éloignées des centres de décisions.

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