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Dans les cycles techniques : quelle voie d’adaptation ?

Dans le document 90 010 Belfort cedex. (Page 194-199)

La« culture technique » de l’ingénieur électricien était portée par une conception machiniste74 qui joua considérablement sur l’idée que les adaptations techniques pouvaient associer, dans l’ancien et le neuf, des systèmes différents. Cette conception empirique tendait à occulter les évo-lutions des cheminements techniques. Ces derniers étaient visibles dans les grands complexes technico-industriels que réalisaient les Américains : ils reposaient sur l’intégration des techniques et des unités mécaniques à des dispositifs d’ensemble. Les archives d’entreprises françaises montrent des juxtapositions de machines et systèmes techniques. La discontinuité de l’application technique est un terrain d’analyse pour constater le re-tard que prit la modernisation dès 1919. Les processus de développement technique issus des transferts de technologies montrent des adaptations par « paquet » et non « entières ». Seules les projets neufs qui n’étaient pas encombrés d’investissements antérieurs purent s’établir dans une cer-taine continuité et intégrer des éléments compatibles et modulables. Ces projets, à l’instar de la construction de la centrale de Gennevilliers, purent aussi intégrer aux unités mécaniques les travaux scientifiques les plus ré-cents et profiter, dans ce cas précis, des travaux réalisés par les ingénieurs du laboratoire de recherche de la GEC75.

74 Voir G. Ramunni, « L’évolution scientifique et technique », dans Histoire de l’électricité…op. cit., en particulier pp. 414-452.

75 E. Mercier, « L’Union d’Électricité et la Centrale de Gennevilliers », éd. par La Revue Industrielle, 1922, texte imprimé, cartes et plans, 49 pages.

Échanges techniques franco-américains, 175-197

Université de technologie de Belfort-Montbéliard - 2007 195

Des liens techniques importants se développent avec les États-Unis dans les applications industrielles liées aux industries du pétrole. Les États-Unis prirent parmi les pays producteurs une forte avance dans l’ap-plication du cracking et du raffinage76. En France, il s’écoula une dizaine d’années depuis les acquisitions jusqu’à la mise en route des premières raffineries modernes (1933). Ici, et à l’inverse de ce que l’on observe dans l’électricité, les transferts de technologies n’ont reposé sur pratiquement aucune expérience préalable importante. Mais, à l’instar de Charles Ber-thelot, la France disposa de nombreux savants. Cette industrie fit émerger des inventeurs (Conrad Schlumberger, Eugène Houdry) dont les procédés profitèrent à l’investissement international77 et, faute de financement en France, à l’industrie pétrolière américaine dont les progrès des nouvelles méthodes de traitements des combustibles liquides, grâce à l’hydrogéna-tion, étaient importants à la fin des années 193078. En France, les tindus-triels investis dans cette industrie, à l’image d’un Ernest Mercier, tentent de développer l’innovation dans ce secteur tout en profitant des avancées techniques étrangères et des expériences d’autres branches innovantes. Le directeur de l’office National des Combustibles liquides, Louis Pineau, créé rapidement l’École Nationale Supérieure du Pétrole et des Combustibles liquides de Strasbourg79. Il présente les recherches théoriques appliquées comme la source de nouveaux progrès dans l’industrie du pétrole80.

Dix ans après la guerre, les secteurs se trouvent toujours dans la diffi-culté d’un déséquilibre technologique entre ce qu’il est possible de déve-lopper en France et les moyens propres. En 1928, à l’époque de la grande fusion Thomson/Alsacienne de Construction Mécanique, le rattachement aux brevets américains est toujours aussi important. Dans l’industrie pé-trolière, la construction des grandes raffineries modernes ne peut se faire

76 F. Caron, Les deux Révolutions… op. cit., p.254.

77 M. Wilkins a travaillé sur les archives Schlumberger, M. Wilkins, The History of Foreign investment in the United States, 1914-1945, Cambridge, Harvard University Press, 2004.

78 Ces acquis technologiques procèdent en partie de cessions de brevets résultant des accords de non-concur-rence et des clauses techniques concluent en 1927 entre la Standard-Oil américaine et le cartel de la grande chimie allemande, IG Farben, qui développait des recherches et des brevets sur l’hydrogénation. Voir, Mira Wilkins, The History of Foreign investment in the United States, 1914-1945, op.cit. ; Nous développons ce point dans notre thèse de doctorat : V. Dray, Dans les mouvements de la modernité. Interdépendances et influences technologiques entre les États-Unis et la France et de 1914 au milieu des années 1930, thèse de doctorat d’his-toire (en cours d’achèvement), université Paris XII Val-de-Marne, chapitre 14.

79 G. Lévi, Éléments de la Technique du Pétrole, (recherche et exploitation), préface de L. Pineau, Édition de la Re-vue, 1926.

80 L. Pineau, « Le pétrole, matière première de l’industrie et de la science chimique », comptes rendus du 8e Congrès de chimie industrielle, Chimie et Industrie, 1929.

196 C. de ReCits 5, 2007 vincent dray, 2007

sans le concours d’un apport technique américain. Pour le gros équipement, comme les chaudières, les moteurs, les moyens de transport, la France fait appel à des sociétés françaises (Babcock & Wilcox81, Compagnie de Fives Lille, Société Rateau). Concernant le matériel de raffinage, qui nécessitait des installations modernes, les principaux types d’appareils perfection-nés étaient brevetés et leur adaptation ne fut possible qu’en consentant au paiement de redevances importantes. Le procédé de cracking Dubbs, mis en application en 1922 par la Standard Oil, groupait à lui seul 1 200 brevets. Les appareils de cracking et leurs accessoires, le matériel pour trai-tement de lubrifiant n’existaient pas en France82. La construction des raffi-neries a reposé sur une importante collaboration entre les entreprises et les ingénieurs français et pour une très grande partie sur l’assistance techni-que des compagnies américaines implantées ou non en France. Par exem-ple les unités de distillation de la raffinerie de Normandie sont confiées aux Établissements Schneider qui s’assurent le concours technique de la compagnie Arthur G. Mc Kee de Cleveland83. Les filiales des entreprises américaines fournissent une partie importante du matériel84.

Concernant les secteurs dans lesquels la France montrait une certaine avance, comme l’aviation et l’automobile, les entreprises américaines réa-lisent un grand progrès avec le développement de nouvelles filières. C’est ainsi que les ingénieurs français peuvent constater le progrès de l’aviation commerciale et le développement des innovations (train d’atterrissage, pi-lotage automatique)85. Il en était de même dans l’aviation militaires dont les progrès en équipements électroniques sont remarqués par les ingé-nieurs et les attachés militaires à la fin des années 1930, quand la France commande des Curtis aux États-Unis86. À la fin des années 1930, l’indus-trie française est en marge des innovations américaines mais aussi euro-péennes. Est-ce dû à l’insuffisance d’une coopération technologique ?

81 L’activité de la Société Française des Constructions Babcock & Wilcox repose sur l’exploitation de brevets amé-ricains concernant la construction des chaudières.

82 « Étude sur l’introduction du raffinage du pétrole en France », Bulletin de la Société des Ingénieurs Civils, 1929.

83 « Raffineries de Normandie et de Provence », La Revue Pétrolifères, N° spécial, Août 1936.

84 Les flexibles pour hydrocarbure sont fournis par Goodrich-Colombes.

85 M. Franck, Ingénieur en chef de l’Aéronautique, « Le pilotage automatique des avions », La Technique moderne, 15 novembre 1937, tome XXIX, N° 22.

86 SHAA, 2 B 102, Équipement du Glenn Matin 167, Washington, 10 02 1936, Par les ingénieurs Germaix et Brunet, 11 p. ; pour un inventaire plus détaillé des sources voir, V.Dray, La vision réciproque…op. cit.

Échanges techniques franco-américains, 175-197

Université de technologie de Belfort-Montbéliard - 2007 197

L’analyse ouvre sur une perspective qui tend à faire du transfert de technologies un moyen du développement dans la continuité. L’influence américaine en France est déjà importante avant 1914. Elle est portée en-suite par les ingénieurs des promotions des années 1930 qui participeront aux missions de productivité d’après-guerre. Ce processus est visible s’il est analysé à la lumière des cycles d’innovation qui définissent les rela-tions techniques et font émerger des liens de dépendance réciproques et des décalages technologiques. Il l’est d’autant plus si l’on considère le se-cond aspect qui préside aux échanges techniques : le lien entre transferts de technologies, internationalisation des échanges et multinationalisation des techniques.

Dans ce cadre, l’approche institutionnelle est fondamentale car elle montre que les initiatives répondent à l’organisation mondiale des profes-sions (industrie des lampes, raffinage du pétrole) et aux stratégies inter-nationales qui président à l’organisation des marchés et conduisent à des coopérations technologiques devenues incontournables dans un contexte où les transferts de connaissances s’accélèrent et dépendent des capacités d’« appropriation technique »87. Mais l’analyse des relations franco-amé-ricaines met en lumière des initiatives séparées, traversées par une voie internationale (multinationales) et une voie nationale des transferts de technologies que plus qui se succéder se confondent et évoluent en paral-lèle. Cette situation provient au départ d’une difficulté pour les deux pays à trouver et à faire émerger des répondants institutionnels (État, entrepri-ses) et culturels. Les différences entre les pays sont au départ moins tech-niques et sectorielles qu’elles n’y paraissent. Elles sont surtout marquées par le cadrage industriel opéré par les institutions. L’absence de coopéra-tion technologique qui place la France en retrait de l’innovacoopéra-tion traduit d’une part la faible interaction entre acquisitions technologiques et réali-sations industrielles et d’autre part l’absence, dans des secteurs porteurs, d’intermédiaires pouvant assurer l’application des technologies. C’est un des aspects essentiels des décalages technologiques franco-américains.

87 Circulations techniques, en amont de l’innovation : hommes, objets et idées en mouvement, M. Cotte (dir.), Séminaire 2002-2003 du laboratoire RECITS (Recherches et études sur les choix industriels, technologiques et scientifiques) de l’université de technologie de Belfort-Montbéliard, Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté, université de technologie de Belfort-Montbéliard, 2004.

Brevabilité de l’invention, 199-210

Université de technologie de Belfort-Montbéliard - 2007 199

Brevetabilité de l’invention :

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