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Le monstre aux mille visages : l’agencement hétéroclite

Partie II : Typologie du monstrueux

Chapitre 6 : La Chimère

I) Le monstre aux mille visages : l’agencement hétéroclite

It was the insane scream of an hysterical woman, and it came from the throat of Norman Bates.

(Psycho, Robert Bloch, 1959)

Malgré leur variété, toutes les créatures rencontrées par le joueur dans Resident Evil sont liées aux expériences menées sur le virus T et les mutations qu’il engendre. Aussi, bien que nombre d’entre elles relèvent du schéma basique d’agrandissement relevé par Noël Carroll en ce qui concerne la création du monstre (Carroll, 1990, p. 24) – araignées, serpents, abeilles et requins ayant pris des proportions gigantesques – l’idée du changement et de l’identité troublée leur est indissociable. Il ne s’agit pas uniquement de géants, mais d’expériences avortées. Dans le processus de mutation, la transformation s’est figée : ces monstres ne sont plus les animaux qu’ils étaient, mais ne sont pas non plus devenus quelque chose de fondamentalement différent. En cela, ils s’apparentent aux zombies qui hantent eux aussi les couloirs du manoir, piégés dans un état de non-vie et de non-mort, et recoupent le principe de « figuration de l’indéterminé » relevé par Eric Dufour à partir de son analyse d’Alien (Scott, 1979) :

Ce qu’il y a de nouveau dans Alien […] [c’est] la représentation de l’altérité non pas simplement comme quelque chose dont on n’arrive pas à totaliser les parties (i.e.

l’indéterminé), mais aussi comme quelque chose de gluant. L’alien n’est jamais sec, mais

179 toujours humide, comme s’il était enveloppé d’une sorte de sécrétion, exactement comme un embryon qui naît. Cet aspect […] est une figuration de l’indéterminé : la sécrétion donne l’impression que l’alien n’a pas atteint sa forme définitive et reste en formation (Dufour, 2006, p. 122-123).

Dans Resident Evil, le serpent géant rencontré dans l’ombre du grenier luit et répand une salive visqueuse, l’araignée géante qui a établi son nid dans la mine court le long de sa toile avec un son moite et vomit un venin corrosif, mais c’est sans doute le Tyrant, l’adversaire final, qui illustre le mieux cet aspect du mutant. Le Jill découvre ce dernier dans le laboratoire souterrain, baignant dans une cuve d’incubation (Figure 16).

Fig. 16. Le Tyrant dans sa cuve (Resident Evil Remake HD, Capcom, 2015).

Extrait de Chris disponible sur youtube, chaîne « Jean-Charles Ray » : « Resident Evil Remake HD Playthrough No Commentary Chris 11 », 09min25 à 12min00, url : <https://youtu.be/LdsA55cX6pc>

La cinématique qui le révèle se compose d’une succession de plans rapprochés sur un amas de chair informe, une griffe démesurée, un cœur apparent qui bat et un visage encore à moitié décharné avant de donner en contre-plongée la silhouette d’un colosse difforme dont un des bras se termine par une immense serre. Lorsque Wesker, traitre et antagoniste, le libère, le monstre se retourne contre lui et il n’a que le temps de s’écrier : « premature! ». L’accumulation de synecdoques visuelles signifie la difficulté de la totalisation en même temps qu’elle qualifie la créature : la force primitive de ses griffes, la dimension embryonnaire d’un corps encore informe dont les organes sont visibles et l’absurdité, le scandale vis-à-vis de la nature, de voir un tel cœur battre. Cependant, contrairement à Alien qui pouvait ne révéler qu’une partie de la créature à chaque fois, les implications ludiques du combat qui

180 s’annonce impliquent de montrer le monstre dans sa totalité, en particulier pour une séquence conçue à un moment où l’état de la technologie rendait l’utilisation d’effets de lumière délicate et limitait l’impact visuel du monstre (Figure 17).

Fig 17. Le Tyrant dans Resident Evil (Capcom, 1996).

Comme le souligne Frédéric Raynal à propos de son jeu Alone in the Dark (Infogrames, 1992),

« l’imagination est plus forte que le polygone »1, l’effroi passait ici avant tout par ce que le monstre représentait dans ses implications ludiques (un adversaire redoutable) et dans sa forme. Aussi, son aspect général prolonge-t-il cette « figuration de l’indéterminé » à travers sa difformité et l’humidité palpitante de la chair à vif, tout comme le fait l’organisation de l’affrontement. En effet, alors que le personnage-joueur pense avoir tué le Tyrant dans le laboratoire, ce dernier surgit à nouveau sur l’héliport, au moment de la fuite finale, encore plus agressif. Ce principe a été reconduit dans les suites

1 « He knew from the beginning he needed to add text. “To make something very scary… with just a few polygons [is] not very frightening, so I knew that I needed the text to put the situation into a very heavy background story for the game.” […] In the staging of survival horror, “I had a lot of ideas of how to scare the player… imagination is stronger than polygons,” says Raynal. “If you have this very heavy and dense, dark story, it helps… but I realized there was still something else. In an adventure game, you walk 80% of the time. So if you want to put big pressure on the player, just scare him with what he does all the time -- just walking » (« GDC 2012: Inside the making of Alone in the Dark », Gamasutra, en ligne : https://www.gamasutra.com/view/news/165360/GDC_2012_Inside_the_

making_of_Alone_in_the_Dark.php).

181 du jeu, la confrontation à des métamorphoses de plus en plus impressionnantes de l’ennemi principal devenant un des codes de la série, et perdant donc son efficacité.

Dans cette mutation, chaque élément n'est qu'ébauché, avorté avant d'atteindre sa forme aboutie : le corps est grotesque, les griffes grossières, les chairs mal réparties. Ce caractère ébauché de la forme renvoie à l’idée du monstre comme monstration, soulignée par Roger Bozzetto, à la démarche du mythe consistant à donner forme au chaos préexistant à l’organisation humaine sans en perdre la substance, en retournant la mimésis contre elle-même (Bozzetto, 1998, p. 123). Il rejoint aussi le lien souligné par Evanghelia Stead entre monstre et fœtus (Stead, 2004), ce dernier combinant une vague silhouette humaine avec les traces de son animalité primordiale : les doigts palmés, les yeux énormes, le vestige d'une queue reptilienne, etc. Si la gestation rejoue l’évolution hors d’un état animal vers la forme humaine, le monstre, figé dans un état intermédiaire, met au jour la multiplicité de ce qui est amalgamé. Que ce soit sur un mode de pensée mythique ou scientifique, il dit le désordre irréductible au cœur du réel. Ce principe se prolonge de manière plus immédiatement associée à la chimère à travers le schéma que Carroll nomme fusion. Il s’agit ici de bâtir une corporalité monstrueuse par l’association d’éléments défiant les catégories naturelles ou culturelles telles que humain/machine, humain/animal, mort/vivant, etc. (Carroll, 1990, p. 43). Outre les zombies, les monstres relevant directement de ce modèle sont le hunter et la chimera, respectivement hybrides humain/batracien et humain/mouche. Si l’aspect effrayant du hunter, créature humanoïde et reptilienne dotée de grandes griffes, tient avant tout à une émotion vidéoludique, dans la mesure où il est capable de décapiter le personnage-joueur d’un seul coup, la physionomie de la chimera est bien plus riche : outre son inquiétante capacité à ramper aux murs et au plafond, on y retrouve la dissymétrie des bras, tantôt grotesquement humain tantôt insectoïde, la déshumanisation du visage décharné et doté d’une gueule démesurée, ainsi que la cage thoracique ouverte sur des viscères apparentes. Non seulement la silhouette est menaçante et ébauchée, mais elle défie les distinctions catégoriques, point qui, pour Éric Dufour, est fondamental dans l’altérité horrifique :

Si « c’est la confusion qui est le phénomène originaire », comme l’écrit Nietzsche, ce qui motive le processus de constitution de la connaissance, par lequel l’homme échappe à cette indétermination initiale pour prendre les choses dans ses rets au moyen des catégories qui ne sont rien d’autre qu’un moyen de s’approprier les choses, c’est la peur (Dufour, 2006, p.

115).

Si l’on retrouve ici l’évocation du chaos originel, liée à la pensée mythique nietzschéenne, le carcan de la maîtrise rationnelle se referme également sur l’indéterminé des émotions et des passions.

L’hybridation de l’humain et de l’animal ne dit pas seulement l’origine bestiale de l’humanité, mais également son soubassement pulsionnel et violent. Cet amalgame paradoxal entre l’image de l’homme

182 moderne pétrie d’idéaux humanistes et d’une violence absurde et sauvage permet d’établir le lien entre l’archétype de la chimère et la monstruosité incarnée par Fantômas.

A propos des monstres de l’art moderne et de leurs racines mythologiques, Jean Clair a écrit :

Quand ils remontent jusqu'à nous, qu'ils se "monstrent", ces "fantômes", ces "phénomènes", ces dieux ou ces démons insoutenables au regard s'incarnent sous un aspect tout à la fois fantastique et logique, des hybrides d'observation scientifique et de fantaisies formelles, où se mêlent goût du prodigieux et respect d'une organisation vivante (Clair, 2012, p. 11).

Si cette hybridation apparait clairement dans les physionomies monstrueuses évoquées plus tôt, on peut également l’appliquer à l’esprit d’un personnage tel que Fantômas. En effet, si l’on suit la distinction proposée par Peter Hutchings entre le Villain, dangereux, mais non « impur », et le monstre (Hutchings, 2004, p. 35), ce qui fait de Fantômas un monstre – contrairement au traître Wesker – c’est l’absurdité et la gratuité de sa sauvagerie. Bien qu’une bonne partie de ses actes trouve une motivation, fut-elle purement pécuniaire, la violence prodigieuse des crimes dépasse toute justification. Ainsi, la méticuleuse organisation du meurtre de la marquise de Langrune, intégrant la désignation d’un faux coupable, la dissimulation de la présence du criminel, etc., le dispute à l’horreur du cadavre :

-Ah ! je n’oublierai jamais l’impression que j’ai eue en voyant ma pauvre chère maitresse, gisant au pied du lit, morte, toute ensanglantée, et la gorge si horriblement tailladée que j’ai cru un instant que la tête était détachée du tronc !... […]

-Il est certain, monsieur le juge, remarquait-il, que cet assassinat a été commis avec une brutalité particulièrement effrayante… L’assassin s’est acharné sur le cadavre… Les blessures sont horribles… […]

Le cadavre à demi vêtu, était horrible à voir. Une plaie affreuse déchirait la gorge sur presque toute sa largeur, mettant les os à nu. Un flot de sang avait jailli, les vêtements de la victime en étaient imprégnés et sur le tapis, tout autour du corps, une large tache rouge s’agrandissait continuellement… (Allain et Souvestre, 1977, p. 33-35).

Préfigurant les tueurs psychopathes tels que Hannibal Lecter et Patrick Bateman, Fantômas est capable à la fois d’un grand raffinement et d’une barbarie d’autant plus terrifiante qu’elle est d’abord rapportée par des témoins traumatisés. En cela, il met à mal la téléologie du progrès moderne et le président Bonnet, évoquant le criminel dans les premières pages du roman, rappelle que les progrès de la science, de la technique et de l’instruction ont autant profité à « l’armée du mal » qu’à la police (Allain et Souvestre, 1977, p. 9). Fantômas défie aussi les catégories sociales, capable d’évoluer tout aussi naturellement dans les bas-fonds qu’au sein des élites2. Tirant parti de la démultiplication des

2 Nadja Cohen remarque à ce propos : « Que le message politique de Fantômas soit explicite ou non, le fait qu’il « piétine allègrement l’ordre social et moral » le constitue de facto en agent subversif. Le

183 voix liée au dialogisme romanesque, il dédouble ses visages à chaque apparition, tantôt parlant l’argot des apaches, tantôt le langage châtié de l’aristocratie, se faisant tantôt séducteur galant, tantôt froid meurtrier. Fantômas ne synthétise pas ces identités ni ne se transforme en tel ou tel, il accumule les visages et les présente selon son plaisir. L'organisation du tout est incertaine ; la forme générale est fluctuante, tout comme celle de la chimère mythique. Seule sa nature composite et problématique est constante. L'hésitation que Todorov plaçait au cœur du fantastique n'est que le symptôme phénoménal de notre rapport à la réalité incompréhensible qui est son objet : la chimère n'est pas soit chèvre, soit lion, soit serpent, elle est les trois à la fois, absolument, et c'est notre incapacité à saisir sa totalité contradictoire qui suscite l’incertitude :

Fantômas ! il est impossible de dire exactement, de savoir avec précision qui c’est… Fantômas

! Il s’incarne souvent dans la personnalité d’un individu déterminé, voire même connu ; tantôt il affecte la forme de deux êtres humains à la fois !... Fantômas ! Il agit parfois seul, parfois avec des complices ; on l’identifiera à l’occasion pour être tel ou tel, quant à le connaître, lui, Fantômas ! on n’y est pas encore parvenu ! C’est un être vivant, certain, indiscutable et cependant, impossible à saisir, impossible à préciser. Il n’est nulle part et il est partout, son ombre plane au-dessus des mystères les plus étranges, sa trace se trouve autour des crimes les plus inexpliqués et cependant … (Allain et Souvestre, 1977, p. 10).

Le nom revient dans une exclamation de manière incessante ; amputé de son pouvoir définitoire, il n’est plus que l’invocation de quelque chose qui dépasse le locuteur. Fantômas ! Chaque tentative de le préciser se heurte à des alternatives incompatibles se chevauchant sans pouvoir s’organiser de manière stable. Le lien symbolique du langage est brisé car le désigné déborde constamment les catégories qu’on lui appose. Le président Bonnet le rapproche de Vidocq, Rocambole et Cagliostro, mêlant personne historique, personnage fictif et personne historique devenu personnage littéraire

personnage s’avérant être le frère caché de l’inspecteur Juve, son ennemi de toujours, l’inquiétante proximité entre le crime et la loi rend la série d’autant plus troublante et achève de nous persuader que son succès n’est rien moins qu’anecdotique. Maître en communication, « professeur d’énergie », agent subversif auréolé du « soleil noir du crime », dandy affranchi de la morale commune à une époque d’intense révision des valeurs : Fantômas est tout cela à la fois » (Cohen, 2013) ; tandis que Philippe Azoury et Jean-Marc Lalanne font du personnage une incarnation de l’anarchisme violent et nihiliste : « Si Fantômas est politique, c’est alors, peut-être, de la même façon qu’il est dandy : politicien sans programme (et sans morale) autant que rebelle sans cause. Agissant par simple soif d’assouvir des désirs régulièrement appelés à être réveillés. Le scandale permanent qu’est l’existence de Fantômas, le chaos social qu’il invite à suivre, le désordre que laisse son passage, en ont vite fait […] un anar virulent […]. Fantômas peut en effet se vanter de quelques actions directes dans un Paris qui dort et qui lui appartient, bafouant les institutions (la police en premier lieu) ou ses monuments symboliques. Ceci aidé par sa quasi-contemporanéité avec les méfaits de la bande à Bonnot, qu’il devance de six mois » (Azoury et Lalanne, 2002, p. 24).

184 (Allain et Souvestre, 1977, p. 9). Le monstre est ici chimérique au sens où il semble purement imaginaire, irréalisable, et pourtant il est là, Fantômas !, toujours présent.

Cette incertitude est tout aussi centrale dans le rapport qu’entretient le joueur avec le monstre.

Suivant la dynamique de maîtrise et d’habituation soulignée par Torben Grodal (2003, p. 148), le joueur commence par une sensation de perte de repères pour progressivement intégrer les codes du jeu et les dominer, au détriment de l’intensité des émotions ludiques. La première fois qu’il rencontre un zombie, le personnage-joueur ne sait comment réagir : le personnage est un soldat entrainé qui sait comment réagir dans une situation de danger, mais il fait face à une créature impossible, le joueur sait qu’il doit mobiliser les outils que lui offre Resident Evil et son expérience des jeux, mais il affronte un adversaire effrayant et déconcertant (Figure 18). Le mort-vivant est lent, mais il peut l’atteindre à une grande distance en se laissant tomber en avant, il peut se saisir de lui et le dévorer si le personnage-joueur ne parvient pas à se débattre suffisamment, il tombe après quelques coups de feu, mais se relève au bout de quelques secondes pour se remettre à avancer.

Fig. 18. La première rencontre avec un zombie dans Resident Evil (Capcom, 1996).

Extrait disponible sur youtube, chaîne « TurkishBullet19 » : « Resident Evil (PlayStation) – (Longplay – Chris Redfield) », 05min30 à 07min16, url : < https://youtu.be/yd8RDVnvg7o>.

Après quelque temps, le joueur appréhende la distance nécessaire à l’esquive, comprend que le zombie n’est réellement mort que si une mare de sang se répand au sol et qu’il ne sera pas poursuivi s’il passe une porte ; il ne craint plus cet ennemi basique et peut se contenter de l’éviter pour

185 économiser ses munitions. Le monstre a perdu son pouvoir de fascination. A peine est-il encore vu, étant seulement reconnu comme un obstacle, un élément, limité et intelligible, au sein d’un système qui a été compris.

Il n’est pas douteux que Fantômas ait subi lui aussi en partie cet amoindrissement à travers la sérialité de ses aventures. Outre la question de l’habituation, La Fin de Fantômas (Allain et Souvestre, 1913), sa trente-deuxième aventure, se termine sur un affrontement final holmesien lors duquel le criminel révèle à Juve qu’il est son frère avant que tous deux ne sombrent dans un naufrage. Cependant, contrant ce surplus biographique qui diminue l’aura du personnage, son retour littéraire, Est-il ressuscité ? (Allain, 1926), nie la révélation comme un autre mensonge du « Génie du Crime » et prive à nouveau ce dernier d’une origine définie en même temps que d’un motif clair à ses actes. Or, si la maîtrise rationnelle tend à étendre son emprise sur la chimère, l’incertitude incarnée par cette dernière contamine également les autres personnages. Lorsque le cadavre de la marquise de Langrune est découvert, c’est le jeune Charles Rambert qui est accusé, et ce par son propre père, convaincu par les indices que Fantômas a disséminés :

-Nieras-tu encore ? malheureux ! misérable ! Hélas ! la voilà la preuve convaincante, irréfutable de ton atroce forfait ! Ces taches sanglantes sont là pour le dire. Parbleu ! on ne pense pas à tout ! Expliqueras-tu autrement la présence de ce linge sanglant chez toi ? […]

Hélas ! peut-être n’es-tu pas entièrement responsable ? Peut-être y a-t-il des circonstances qui plaideront pour toi… […] Ah ! si la science pouvait établir que l’enfant d’une mère malade… […] Malade, continua Etienne Rambert, d’une maladie terrible, maladie devant laquelle on reste impuissant, désarmé… la… folie… (Allain et Souvestre, 1977, p. 50-51).

C’est que les éléments matériels ne sont pas tout ce qui accuse Charles. Fils d’une femme accusée de folie après avoir été elle-même victime de Fantômas, il a assisté la veille à une discussion à propos de ce dernier et n’a su cacher la fascination qu’exerçait le formidable criminel sur lui, avant de passer une nuit troublée de rêves violents. Aussi doute-t-il lui-même de sa santé mentale, envisageant que dans un moment d’aliénation, il ait pu commettre ce crime si atroce qu’on ne saurait l’attribuer à un être sain d’esprit. A travers Fantômas s’exprime la puissance des passions violentes qui renvoient les autres personnages à leur part d’ombre pulsionnelle. Il fascine autant qu’il effraie et, en cela, pousse chacun à se demander s’il n’est pas lui aussi une chimère aux multiples visages.

Ce type d’incertitude trouve peu d’applications ludiques. Au-delà de l’exigence d’objectifs clairs, Marc C. Santos et Sarah E. White font du joueur un défenseur de la subjectivité (face au tout inintelligible) et de la stabilité de l’ordre psychique et social (Santos et White, 2005, p. 70) tandis que Tanya Krzywinska en fait, dans son article « Hands on Horror », un garant de l’ordre établi dans une opposition manichéenne entre bien et mal (Krzywinska, 2002, p. 13-14). En réalité, il s’agit davantage d’un trope du jeu d’action que d’un invariable de l’horreur et des jeux empruntant plutôt au modèle

186 de l’aventure, tels que Silent Hill 2 (Konami, 2002), Amnesia: The Dark Descent (Frictional Games, 2010) ou Layers of Fear (Bloober Team, 2016) permettent une plus grande ambiguïté, présentant souvent un

186 de l’aventure, tels que Silent Hill 2 (Konami, 2002), Amnesia: The Dark Descent (Frictional Games, 2010) ou Layers of Fear (Bloober Team, 2016) permettent une plus grande ambiguïté, présentant souvent un