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Partie I : Fondements théoriques

Chapitre 2 : Carte et territoire de l’horreur

III) D’obscurs phares, les paradigmes de l’horreur

Here are the stories written on the Book of Blood. They are a map of that dark highway that leads out of life towards u nknown destinations.

(The Book of Blood, Clive Barker, 1984)

Les divers enjeux développés à partir de l’opposition entre mimesis et phantasia permettent de nous risquer à une forme de sémantique de la peur reposant sur le rapport au temps, le rapport à l’espace et la confrontation à la source de la peur. De chacune de ces dimensions découle un couple de paradigmes qui seront explicités dans cette partie. La spatialité, dans son opposition horizontale entre connu et inconnu, relève ainsi du modèle de la colonie dans le sens que lui attribue Philippe Lacoue-Labarthe en tant que rapport au monde de l’Occident :

Dès l'entame [de Heart of Darkness] – dès l'évocation de la rencontre de l'ordre romain et des ''ténèbres'' barbares ou sauvage de la future Angleterre […] – il est clair, si l'on peut dire, que l'Occident se définit comme une gigantesque colonie. C'était, bien avant Rome, le cas des Grecs. Et que sous cette colonie, il y a l'horreur. Mais cette horreur est moins celle, de facto, de la sauvagerie que le pouvoir de fascination qu'elle exerce sur les ''civilisés'' qui reconnaissent là soudain le ''vide'' sur quoi repose – ou ne parvient jamais à reposer – leur volonté de conjurer l'horreur (Lacoue-Labarthe, 2010).

Dans sa verticalité en revanche, dans les enjeux que posent son épaisseur, sa contenance, la spatialité prend la forme du tombeau, de cette trappe s’ouvrant sur des ténèbres qui menacent perpétuellement de s’en extirper, de ce monument qui constitue un seuil et que Jean Clair lie étymologiquement au monstre :

En latin, le monstrum relève aussi de la fantasmagorie, un prodige, un avertissement émané de la volonté des dieux, comme le suggère une étymologie inattendue : monere, avertir, prévenir, mettre en garde. Mais monere c'est aussi, de manière tout aussi inattendue, et d'un sens apparemment contradictoire, conserver le souvenir, la trace, la mémoire. C'est l'injonction du tombeau, de l'inscription, de la statue. De monere dérive le monumentum (Clair, 2012, p. 9).

Cette capacité de conservation de l’espace établit un lien avec la dimension temporelle qui se fait hantise lorsque le passé s’attarde dans le présent, notion centrale aussi bien dans la conception historique de Reinhart Koselleck (1985) que dans celle de Jacques Derrida (1993). On retrouve ici l’image du « sismographe » développée par George Didi Huberman dans son étude des textes de Warburg pour évoquer le mécanisme de transcription d’une hantise pour autrui (Didi Huberman, 2002, p. 118) : la terre gronde et tremble parce qu’elle abrite des monstres secrets. On retrouve cette

77 idée non seulement dans la littérature horrifique – le séisme signalant « l’appel de Cthulhu » dans la nouvelle de Lovecraft (1928) ou celui qui révèle la créature hantant les sous-sols de Jerusalem’s Lot (King, 1978) – mais aussi comme mécanique ludique dans des survival horrors tels que Silent Hill (Konami, 1999) et Resident Evil : Code Veronica (Capcom, 2000), deux jeux abordant la thématique du secret familial et où le joueur doit faire face à des vers géants signalant leur approche souterraine par des mouvements du sol. Néanmoins, si le passé tend à ressurgir, la temporalité de l’horreur présente un second mouvement, contraire et complémentaire, celui du désenfouissement, lors duquel c’est le présent qui tourne son regard en arrière, explore ses propres origines et, ce faisant, ravive ce qui était assoupi. Par une sérendipité ironique et cruelle, ce désir d’explication, ce besoin de reconstituer une chaîne logique d’événements qu’ont en partage le lecteur, le joueur et les personnages, devient de manière récurrente l’élément déclencheur des événements horrifiques.

En effet, au sein de ces deux dimensions matricielles, la confrontation à l’horreur reste bien entendu l’enjeu premier. Cette dernière peut prendre deux formes qui, si elles ont une parenté avec la distinction entre peur et terreur, ne recoupent pas précisément ces catégories. On préférera donc revenir au terme de « phobos » pour caractériser la rencontre avec une source d’horreur qu’il s’agit d’affronter et de conquérir. Dans ce paradigme, la violence inaugurée par la rencontre effrayante engendre une réponse tout aussi brutale de la part du personnage qui perpétue ainsi l’horreur, justement dans sa volonté d’y résister. À l’opposé, la confrontation peut relever du « deimos » lorsque l’horreur provient d’une source hors de portée, qui fige par le simple fait de la contempler ou de la concevoir. Ici, le personnage n’a aucune prise sur les événements, mais se trouve emporté dans une spirale le menant à sa perte, incapable de fuir l’énigme qui le fascine.

La distinction de ces paradigmes ne signifie en aucun cas que les œuvres se catégorisent exclusivement chez l’un ou chez l’autre. Pour reprendre le cas de la confrontation, un roman tel que Misery (King, 1987) et un jeu tel que Silent Hill 2 (Konami, 2001) comportent à la fois des éléments de phobos et de deimos. Dans le premier, l’écrivain Paul Sheldon s’engage dans une lutte à mort avec sa tortionnaire Annie Wilkes, mais, au-delà de la femme, il perçoit en elle une déesse terrible et implacable qui continue de le hanter après sa mort. Dans le second, si James Sunderland abat de nombreux monstres au fil de son aventure, il doit également faire face à des entités invincibles, telles que le Pyramid Head, et surtout aux secrets de Silent Hill, qu’il ne pourra jamais élucider totalement. Ces paradigmes n’en demeurent pas moins des bornes stables qu’il convient d’étudier afin de se repérer dans les méandres sombres et changeants de l’horreur.

78 La Rencontre

Phobos

Qu’il s’agisse de tueurs en série, de créatures monstrueuses ou de membres de groupes occultes, l’opposition entre des forces obscures et un ou plusieurs personnages garants de l’ordre est un lieu commun de l’horreur. Comme le souligne Richard Rouse III dans « Match Made in Hell », ce schéma qui légitime pleinement la violence exercée par les protagonistes a été amplement réinvesti par le jeu vidéo afin de motiver l’interaction du joueur :

Suspense-driven horror films have long focused on life and death struggles against a world gone mad, with protagonists facing powerful adversaries who are pure evil. One need only look at film examples from Nosferatu (F. W. Murnau, 1922), The Thing from Another World (Christian Nyby and Howard Hawks, 1951), Night of the Living Dead (George A. Romero, 1968), Alien (Ridley Scott, 1979) and Ringu (Hideo Nakata, 1998) to observe this dynamic at work. These are not films where the evil presence is explained extensively, if at all. Through its actions, this antagonistic force shows itself to be so thoroughly inhuman that no audience member would fault the hero for killing the evil as an act of self-defense. This exactly maps to the experience most action-oriented designers want to create, going all the way back to Space Invaders; the player is thrown into a dangerous situation with a clear, undeniable “kill to survive” motivation. The evil forces are numerous and all deserve to die. Hence horror games are a natural fit. Indeed, many games that few would describe as “horror” use variations on those same horror tropes to justify the action in their world (ROUSE III, 2009, p. 16).

Si la présence de Ringu dans cette liste peut surprendre, dans la mesure où le film ne présente pas d’affrontement direct (« killing the evil as an act of self-defense »), on ne peut que constater la récurrence avec laquelle la nature profondément peccamineuse ou monstrueuse de l’adversaire vient justifier les actes perpétrés par les protagonistes. Pour autant, ce schéma manichéen n’échappe pas à la tendance de l’horreur à remettre les structures en question et, parmi les exemples fournis par Richard Rouse III, il faut noter la ré-humanisation dont on fait l’objet Dracula (Bram Stoker’s Dracula, Coppola, 1992), le zombie (Day of the Dead, Romero, 1985) et le « xénomorphe » (Alien : Resurrection, Jeunet, 1997). C’est que, plus profondément, le modèle phobique met en scène la même interchangeabilité que Pierre Bayard relève dans le film de Louis Malle, Lacombe Lucien (Malle, 1974), lors de son essai Aurais-je été résistant ou bourreau ? (Bayard, 2013) : au-delà de la contingence qui gouverne l’engagement du personnage au sein de la collaboration plutôt que de la résistance, c’est une même pulsion de violence, un même soubassement obscur qui s’exprime dans l’un et l’autre camps. Si on retrouve dans cette étude l’influence coercitive du système sur l’individu et la déshumanisation de l’autre, notamment étayées par les expériences de Stanley Milgram (Bayard, 2013, p. 34) et Daniel Batson (Bayard, 2013, p. 79), le caractère transgressif et extrême de l’horreur problématise d’autant plus la violence exercée par le « héros ». Même dans le cas où le monstre interdit toute forme d’empathie, la survie du protagoniste dépend d’une certaine mesure de

79 déshumanisation. Que l’on prenne l’exemple de Dead Space (Electronic Arts, 2008) : si les

« nécromorphes » sont des créatures hideuses et terrifiantes, le joueur incarne un ingénieur amené à devenir un tueur particulièrement efficace. Non seulement sa combinaison dissimule son visage et limite sa part d’humanité, mais il doit transformer ses outils en armes mortelles, démembrer ses adversaires et les achever au sol de sauvages coups de pied. Si la situation de survie légitime l’exercice de la violence, elle révèle aussi les limites des valeurs morales.

Au-delà des cas extrêmes de monstres radicalement inhumains, la confrontation directe à la violence constituée par le phobos est liée à une faille de la structure garantissant les normes sociales : la police est incapable de s’opposer au tueur, la justice n’est pas rendue, ou alors les autorités participent elles-mêmes à la violence. Le théâtre du Grand-Guignol, dont beaucoup de pièces sont fondées sur des faits divers, a amplement exploré ce point. Dans Lui ! (Méténier, 1897), une prostituée doit retenir dans sa chambre un tueur sanguinaire le temps que la police soit prévenue. Vivant en contact direct avec les marges de la société, elle ne bénéficie pas des mêmes garanties que les autres citoyens et se trouve seule face à l’horreur. Dans Les trois messieurs du Havre (Marchés et Vautel, 1906), un père de famille respectable voit trois hommes surgis de son passé. Ce sont d’anciens complices qu’il avait trahis et fait condamner au bagne et qui reviennent se venger. L’impunité scandaleuse du personnage et la duplicité de l’estime sociale dont il bénéficie est contrebalancée par la violence implacable et sans pitié de sa mise à mort par le tribunal des criminels. Malgré sa culpabilité, le cri que pousse sa fille en le découvrant pendu clôt la pièce sur une tonalité pathétique. Si le système judiciaire est faillible, la vengeance est terrible. Sans solution satisfaisante, l’horreur circule sans pouvoir être résolue, bourreaux et victimes s’intervertissent. Cette ambivalence est liée à la part importante que le phobos accorde au rapport empathique aux personnages. Même innocent et impuissant, celui qui subit cette brutalité devient lui-même son porteur, une nouvelle source de peur, à l’image des visages éborgnés, tailladés ou vitriolés que le Grand-Guignol faisait hurler face au public : peu importe les choix moraux, le contact de la violence engendre des monstres.

Deimos

Une telle propagation ne passe pas exclusivement par les personnages. Lorsque le choc de la confrontation dépasse les limites de l’esprit humain, le témoin est immédiatement consumé par le regard posé sur l’horreur. C’est ce qui arrive dans la plupart des récits lovecraftiens, aboutissant à la folie ou au suicide, mais c’est aussi la limite qu’imposent des jeux vidéo tels que Amnesia : The Dark Descent (Frictional Games, 2010) ou Slender : the Eight Pages (Parsec Productions, 2012) dans lesquels le système ludique interdit le regard direct. Contempler le monstre c’est voir l’image à l’écran trembler et se troubler, l’environnement sonore se brouiller et, finalement, la partie s’arrêter. De manière à la fois paradoxale et significative, cette limite a lieu à deux niveaux. Il s’agit de celle de la partie en cours,

80 mais également du jeu horrifique lui-même car, une fois le monstre vu pleinement, dans sa représentation inévitablement limitée, il perd sa capacité d’effroi : finalement ce n’était que cela. Dans sa dimension visuelle, le jeu vidéo se trouve en cela confronté à des limites représentationnelles similaires à celles des mots littéraires qui délimitent autant qu’ils suscitent. La dimension fantastique de l'horreur implique d'assumer la part d'inconnaissable contenue dans l'objet inspecté, la nécessité d'élaborer une fiction faisant sens là où les indices sont absents ou incompréhensibles et, surtout, l'éventualité de devoir redéfinir les connaissances que l'on pensait acquises et celle d’accepter leurs bornes indépassables. L'essentiel du savoir fantastique passe dès lors par des moyens alternatifs à ceux de la connaissance rationnelle, dans les interstices laissés entre les mots et dans l’ombre qui obscurcit l’image. Ce sont ainsi les rêves, les œuvres d'art, les légendes et les sensations qui renseignent le mieux les personnages sur l'événement fantastique. Ici, l'imagination n'est plus chimérique, mais devient un rapport irrationnel au monde et donc une approche en accord avec sa nature profonde. C'est la réalisation terrifiante de la recherche fantastique : ce qui paraissait impossible, inenvisageable, s'avère être l'expression d'une approche par l'esprit humain de la part inhumaine du réel. Le monstre n'est pas la création isolée d'un artiste, mais le moyen de dire une réalité indicible.

C’est par ce même moyen que le deimos se propage au-delà de la destruction engendrée par le regard direct : même si les personnages lovecraftiens finissent au fond d’une tombe ou d’un asile, leur témoignage survit, et ce malgré de fréquentes injonctions à détruire toute trace des documents. Le texte devient alors en soi dépositaire de l’horreur. Récits et jeux se font similaires au Necronomicon et autres grimoires occultes ainsi qu’aux notes par lesquelles un joueur peut découvrir le passé d’un lieu dévasté : ils conservent un élément du passé et ouvrent sur un ailleurs, préservent autant qu’ils suscitent. La thématique a été amplement développée. Les nouvelles des Books of Blood (Barker, 1984) sont les récits gravés par les morts dans la chair d’un médium, les sketchs de Necronomicon (Gans, Kaneko et Yuzna, 1994) sont directement puisés dans l’ouvrage éponyme et le jeu de puzzles The 7th Guest (Trilobyte, 1993) se déroule dans le manoir hanté qu’un diabolique fabricant de jouets a transformé en une immense énigme. Plus que des comptes rendus, les témoignages laissés par les personnages confrontés au deimos, comme les œuvres artistiques qui explorent et représentent une horreur toujours informe et fuyante, forment la condition de sa perpétuation et, surtout, le lieu de sa résurgence.

81 L'Espace

La colonie

Si la spatialité a déjà été identifiée comme un aspect essentiel du jeu vidéo, depuis les travaux de Janet Murray à ceux de Michael Nitsche en passant par Henry Jenkins, le lien établi avec la littérature n'est en rien une simple convenance comparatiste. Comme le rappelle Xavier Garnier :

Maurice Blanchot écrit de [la littérature] qu'elle doit « avoir lieu ». Elle est menacée d'inexistence si elle ne trouve pas le moyen d'avoir lieu. Cette expression de Blanchot est à prendre dans un double sens : la littérature est de l'ordre de l'événementiel, elle est un phénomène qui se produit ; elle est indissociable d'un espace où un tel événement est en mesure de se produire. Pour que la littérature « ait lieu », il faut qu'un espace soit là pour l'accueillir, que j'appellerai, dans le cadre de cet article, son espace vital. L'espace littéraire serait en quelque sorte la condition de la littérature, il lui permettrait d'émerger de tel ou tel texte et de trouver un lieu (Garnier, 2006, p. 17).

La spatialité est en cela au cœur des enjeux du passage du texte à l’œuvre et de la vitalité littéraire.

Or, si dans le cadre des jeux classiques, tels que définis par Jesper Juul, le « cercle magique » recouvre une portion d'espace réel, l'univers vidéoludique est d'un ordre similaire à celui de la littérature : un monde issu du code, dépourvu de matérialité, mais non de spatialité. Il s'agit ainsi avant tout d'un lieu frontière, à la jonction de la mise en forme de l'espace textuel et de la matière fournie par l'espace référentiel humain où se mêlent expérience du réel et de l'imaginaire (Garnier, 2006, p. 18). Partant d'une synthèse apparentée entre pays réel, pays intérieur (inconscient) et pays imaginaire, Pierre Bayard définit cet espace comme fondamentalement atopique dans son étude du « voyage casanier » :

Cet espace aberrant est résolument atopique, c'est-à-dire qu'il ne connaît aucune des limites qui organisent la géographie du monde réel. Il est d'une grande mobilité comme celui du rêve, dominé comme lui par les processus primaires de l'inconscient. Il est possible d'y circuler à toute vitesse d'un point à un autre à l'instar de Rosie Ruiz, comme si aucune distance n'y était infranchissable. […] Et il est également vraisemblable que, profitant de la mobilité de l'espace littéraire et de cette ouverture des frontières qui perturbent la circulation dans le monde réel, les personnages de certaines œuvres de fiction en profitent pour passer d'un texte à l'autre et pour venir s'installer dans un monde qui leur paraît plus hospitalier. Si l'on ne prend pas en compte ce caractère atopique de l'espace littéraire, on ne peut espérer comprendre à quel point il met en jeu un espace différent de celui du monde réel, ni saisir une multitude d'événements discrets qui s'y produisent, parfois même à l'insu de l'écrivain, et méritent toute notre attention (Bayard, 2012, p. 113).

Espace de mouvements perpétuels donc, mais également interface qui autorise des transgressions parfois inattendues. Ces enjeux se retrouvent dans les travaux de Michael Nitsche sur les structures spatiales vidéoludiques marquées par les tensions entre contrainte et liberté et par l'interconnexion qui atteint son paroxysme dans le modèle du rhizome où tous les points peuvent être reliés (Nitsche,

82 2007)4. Ils sont aussi au cœur de la spatialité de l'horreur où l'on comprend toujours trop tard que la limite a été franchie, que ce soit le monstre qui passe dans le monde humain où le personnage qui en sort. Depuis le château d'Otrante (Walpole, The Castle of Otranto, 1764) jusqu'aux autoroutes invisibles empruntées par les morts (Barker, « The Book of Blood », 1984), la phantasia s'est attachée à dessiner la limite de notre territoire, passant progressivement des demeures lointaines et maudites du roman gothique à la frontière omniprésente de l'horreur contemporaine, comme le rappelle Roger Bozzetto :

Nous n'avons plus de châteaux gothiques, qui cernaient dans un champ clos la représentation de cette violence folle […] Nous vivons aujourd'hui dans des villes qui comprennent d'immenses cités ghetto, que relient des métros, des bus, des trains, des avions, des gares, des parkings et autres lieux souterrains, comme dans les châteaux des romans gothiques.

Dans chacun de ces lieux, une violence folle peut soudain advenir – l'actualité le montre. Tout se passe comme si cette violence surgissait sans cause du bitume ou du ciment de la ville.

Comme si les dieux anciens, les fantômes, les démons pouvaient soudain se manifester et nous entraîner vers d'affreux enfers, alors que nous sommes au cœur de la « civilisation » moderne (Bozzetto et Huftier, 2004, p. 89).

Loin de supprimer l'horreur, la conquête progressive du réel par le monde humain n'a fait que la recouvrir, lui laissant l'opportunité de ressurgir à tout moment d'un point aveugle pour engloutir à nouveau ce mince épiderme. Marlow ne s'y trompe pas lorsqu'il contemple les rives de la Tamise ; sous les digues et les canaux domestiqués, il demeure une sauvagerie sombre et inhumaine :

Loin de supprimer l'horreur, la conquête progressive du réel par le monde humain n'a fait que la recouvrir, lui laissant l'opportunité de ressurgir à tout moment d'un point aveugle pour engloutir à nouveau ce mince épiderme. Marlow ne s'y trompe pas lorsqu'il contemple les rives de la Tamise ; sous les digues et les canaux domestiqués, il demeure une sauvagerie sombre et inhumaine :