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L’OBSERVATOIRE INTEGRAL Sommaire

3.2 Le mode Compton d’IBIS

Le développement des télescopes Compton a commencé dans les années 1970 avec le lancement de télescopes lancés à bord de ballons (Herzo,1975;Lockwood et al.,1979; Schön-felder & Lichti,1973), mais le télescope qui a rencontré le plus de succès est COMPTEL à bord du Compton Gamma Ray Observatory (CGRO,Schoenfelder et al.,1993) qui a démontré durant 9 années ses capacités à imager le ciel entre 1 MeV et 3 MeV malgré une faible ré-solution angulaire de 5° (à 1 MeV). Afin d’outrepasser cette pauvre réré-solution angulaire, il est possible d’ajouter un masque codé au télescope Compton afin de garder ses avantages (large champ de vision, faible bruit de fond) et d’ajouter les avantages liés au masque codé (meilleure résolution angulaire, soustraction simple du bruit de fond, connaissance sur la provenance des photons grâce à l’imagerie). Comme je l’ai mentionné plusieurs fois dans ce chapitre, il est possible d’utiliser IBIS comme un télescope Compton grâce à son détecteur à double couche, et d’utiliser les avantages du masque codé. Ce mode permet d’observer à des énergies entre 300 keV et 2000 keV.

3.2.1 Principe de fonctionnement du mode Compton Télescope Compton

Le schéma du principe d’un télescope Compton est représenté sur la Figure3.5. Un pho-ton γ provenant de la source avec une direction θs peut interagir avec ISGRI, y déposer un peu de son énergie E1et être diffusé par émission Compton dans la direction θdjusqu’à être absorbé par PICsIT avec une énergie E2. L’angle θc = θdθd est donné par (Forot et al.,

2007) cos θc=1− mec 2 E2 + mec2 E1+E2 (3.4)

où mec2 est l’énergie de masse de l’électron. La direction du photon initial est reliée aux bords du cône d’ouverture θc. De ce fait, à partir de la densité de distribution des événe-ments projetée (sur un cercle) et l’intersection des cônes avec la sphère céleste permet de déterminer la position de la source dans le ciel. Puisque l’angle de diffusion est relié à la di-rection de polarisation, il est également possible de remonter à la polarisation de la source, méthode que nous verrons plus en détail dans le chapitre dédié (Chapitre8).

Détermination du bruit de fond

Un télescope Compton à masque codé est constitué d’un détecteur à double couche et d’une ouverture à masque codé. Pour étudier une source dont la position ~us est connue, il suffit de sélectionner les événements Compton (Section3.1.2) qui remplissent la condition :

cos θc = ~us· ~ud (3.5)

Dans le cas où le bruit de fond est isotropique, cela permet de retirer 90 % des événements Compton issus du bruit de fond et de garder 90 % des événements provenants de la source (Forot et al.,2007).

Dans le cas où nous voudrions dresser une image du ciel contenant plusieurs sources, la meilleure façon de supprimer les événements issus du bruit de fond consiste à retirer

ISGRI PICsIT Source !! !" !# Photon diffusé "! "#

Figure 3.5 –Principe du fonctionnement d’un télescope Compton. Un photon provenant d’une source (en bleu) interagit avec ISGRI en déposant un peu de son énergie et est diffusé par émission Compton (en rouge) avant d’être absorbé par PICsIT.

les événements dont les cônes d’angle θc n’interceptent pas le champ de vue. Cela revient à retirer les événements pour lesquels θs est supérieur ou égal à l’angle du champ de vue

θFOV:

θs >θFOV (3.6)

Résolution spectrale

Dans un télescope Compton standard, la résolution spectrale de chaque détecteur est un paramètre important qui affecte directement la résolution angulaire, qui à son tour, dé-termine la sensibilité. Pour un télescope Compton à masque codé, nous avons vu que la résolution angulaire était dictée par la géométrie du masque (Section3.1.1), cependant, la sensibilité dépend de la détermination du bruit de fond, celle-ci dépendant de la mesure de

~

udet de θc. L’incertitude sur θcest (Forot et al.,2007) :

δθc = mec2 E2sin θ v u u tδE21+ E2 1 E2 2 +2E1 E2 2 δE22 (3.7)

où δE1et δE2sont les résolutions en énergie respectives du premier et du second détecteur. La résolution spectrale d’un télescope Compton à masque codé est :

δE=δE1+δE2 (3.8)

3.2.2 Analyse avec le mode Compton

La première étape consiste à sélectionner les événements Compton comme défini dans la Section3.1.2. Un événement est qualifié d’événement Compton lorsque le temps d’arrivée entre deux détections sur les deux détecteurs ne dépasse pas une fenêtre temporelle de∆T=

3.8 µs. Il existe cependant deux types de ces événements :

– les vrais événements Compton comme décrit en Section3.1.2.

– les faux événements Compton : il arrive parfois que deux événements indépendants ISGRI et PICsIT tombent dans la fenêtre de coïncidence temporelle∆T et sont enregis-trés comme un vrai événement.

Ces faux événements doivent être être supprimés car ils peuvent induire une fausse dé-tection de source sur l’image du ciel. Dans ce qui suit nous ne prenons en compte que les événements Compton seuls, c’est-à-dire avec un seul dépôt d’énergie sur PICsIT.

Dans la méthode d’analyse standard, le nombre de faux événements Nfest déterminé en utilisant une statistique de Poisson (Forot et al.,2007)

Nf =1−e−(2∆TδT)NPICsIT)NISGRI (3.9) où NPICsITet NISGRIreprésentent respectivement le nombre événements détectés par PICsIT et ISGRI et δt et la résolution temporelle de détection de l’ordre de 250 ns. Le nombre total de détection dans ISGRI peut être lui-même décomposé en vraies détections ISGRI NI, et fausses détections Nf: NISGRI = NI+Nf. Avec cela, nous pouvons déterminer :

Nf NI =e

(2∆T−δT)NPICsIT−1 (3.10)

De manière similaire, le nombre de détections PICsIT peut-être décomposé en détections simples NPsimple, multiples NPmultiple, et issus des événements de l’unité de calibration Ncal: NPICsIT = NPsimple+NPmultiple+Ncal. La proportion d’événements simples s’écrit alors :

β= NPsimple+Ncal

NPsimple+NPmultiple +Ncal (3.11) Ainsi, en multipliant cette proportion par le rapport Nf/NI, nous obtenons la proportion de faux événements :

α=β



e(2∆TδT)NPICsIT−1 (3.12) En général, α ∼ 2 %. Un shadowgram est ensuite créé à partir de cet échantillon de faux événements et celui-ci est soustrait du shadowgram total. Ce dernier est ensuite déconvolué pour permettre de former l’image.

Le problème des sources brillantes

L’estimation du nombre de faux événements dépend de la détermination précise du taux de comptage de ISGRI et PICsIT, e.g., NISGRIet NPICsIT. Cependant, lors de la puissante érup-tion de V404 Cygni en 2015 (Loh et al.,2016;Rodriguez et al.,2015a), le flux a pu atteindre plus de 40 Crabs8, saturant ainsi les détecteurs. Cela a causé plusieurs interruptions dans les télémesures, empêchant ainsi une détermination précise du taux de comptage ISGRI et conduisant à des surestimations du taux de comptage du mode Compton dans toutes les bandes d’énergie. Une nouvelle méthode a alors été mise en place (Laurent et al.,2016) afin de déterminer le nombre d’événements Compton sans avoir besoin de déterminer de ma-nière précise le taux de comptage dans les détecteurs.

Pour cela, cette méthode utilise le temps de montée enregistré par ISGRI pour chaque photon détecté. En effet, plus le temps de montée est long et plus l’énergie déposée sur le détecteur est grande. Cela signifie que les événements Compton ont un temps de montée plus long que les événements de plus basse énergie détectés par ISGRI par effet photo-électrique. De ce fait, en fixant un seuil sur le temps de montée9, nous pouvons sélectionner les événements issus du mode Compton et enlever 90 % des événements simples ISGRI. En retirant ces événements, cela permet de retirer la grande majorité des faux événements puisque les interactions ISGRI restantes proviennent du mode Compton.

8Un Crabe (Crab) est une unité de mesure de flux X qui représente 2.4×10−8ergs/cm2/s dans la bande 2–10 keV.

9Les faux événements créent des photons dont l’énergie est fausse, en particulier, le spectre de ces événements présente une composante à haute énergie (eu delà de plusieurs MeV) non physique. Lorsque le seuil de montée est bas, cette composante est très présente. En augmentant le seuil, le nombre de faux événements diminue et cette composante de haute énergie disparaît. Le seuil est fixé lorsque cette composante est compatible avec 0.

Application à Cygnus X–1

Au commencement de ma thèse, j’ai utilisé cette nouvelle méthode afin d’extraire un spectre d’état dur et d’état mou de Cygnus X–1 avec ce mode Compton. En effet, avant l’avè-nement de cette nouvelle méthode, le flux à haute énergie obtenu avec le mode Compton dans l’étude deRodriguez et al.(2015b) semblait plus haut que le flux obtenu avec d’autres instruments ; COMPTEL (McConnell et al.,2000) ou SPI (Jourdain et al.,2014) (notons cepen-dant que les périodes d’observations de ces trois études ne sont pas les mêmes). La Figure

3.6montre la comparaison entre les spectres obtenus avec COMPTEL (triangles pour l’état dur et losanges pour l’état mou) et le spectre obtenu avec le mode Compton d’IBIS (cercles) dans l’étude deRodriguez et al.(2015b), où nous pouvons constater un flux plus élevé avec IBIS.

Figure 3.6 –Comparaison du spectre dur issu du mode Compton d’IBIS (cercles) avec les spectres dur et mou obtenu avec le télescope COMPTEL (triangle et losanges) (Rodriguez et al.,2015b).

Les Figures3.7aet3.7bmontrent respectivement les spectres d’état dur (en bleu) et d’état mou (en rouge) de Cygnus X–1 que j’ai extraits pour chacun des états en utilisant la nouvelle méthode d’analyse. Les anciens spectres issus deRodriguez et al. (2015b) sont également représentés (en noir) pour pouvoir comparer. Nous pouvons observer une nette diminution du taux de comptage d’un facteur 10 pour l’état dur et d’un facteur entre 5 et 10 pour l’état mou.

Cette nouvelle méthode sera utilisée dans le Chapitre8pour mesurer la polarisation de l’émission de Cygnus X–1 mais aussi d’autres sources que j’ai étudiées tout au long de ma thèse.

Dans cette première partie, nous avons pu établir les bases nécessaires à la compréhen-sion générale des systèmes binaires X. Nous avons vu que lors de leur éruption, la plupart de ces sources suivent un motif bien particulier dans le plan Luminosité-Dureté, motif que nous allons redécouvrir et voir évoluer peu à peu tout au long des prochains chapitres en avançant progressivement vers des sources de plus en plus singulières. Ce HID, outil phéno-ménologique très puissant nous permet de découper une éruption en quatre grandes zones : dur→intermédiaire→mou→intermédiaire, où nous avons pu voir que chacune des zones possèdent des propriétés spectrales et temporelles qui lui sont propres. Mais quelles sont les origines de ces changements d’état spectraux et quelle est l’origine des variabilités rapides observées ? Il reste en effet des zones d’ombres à éclairer ; l’hystérésis du HID nous montre bien qu’il existe deux luminosités de transitions que le taux d’accrétion comme seul paramètre ne per-met pas d’expliquer.

J’ai également mentionné la présence d’une composante de haute énergie détectée dans les systèmes binaires X (Section2.4.2), composante dont l’origine est encore très débattue et pouvant provenir de l’émission synchrotron de jets compacts ou bien d’une population

103 Energy (keV) 107 106 105 ph .cm 2.s 1.keV 1 New method Old method

(a)État dur.

103 Energy (keV) 10 8 10 7 10 6 10 5 ph .cm 2.s 1.keV 1 New method Old method (b)État mou.

Figure 3.7 – Comparaison des spectres du mode Compton en utilisant l’ancienne méthode et la nouvelle méthode de soustraction des faux événements.

d’électrons non-thermiques de la couronne. Quelle est donc son origine ? Cette composante est-elle présente dans tous les états spectraux de la source ? Si oui, ses propriétés varient-est-elles au cours de l’éruption ? Ces questions constitue le cœur de mon travail de thèse. INTEGRAL est mon précieux allié pour y répondre, puisqu’il permet d’aller sonder l’émission au delà de la com-posante de Comptonisation et son mode Compton permet de mesurer la polarisation de la lumière.

Tout d’abord, nous allons nous placer d’un point de vue observationnel et nous plon-ger au cœur de l’éruption d’une source, MAXI J1348–630, que j’ai eu la chance de suivre en temps réel avec INTEGRAL. Le prochain chapitre est un chapitre illustratif permettant d’aborder de manière concrète les concepts que nous avons vu dans cette première partie.

ACCRÉTION-ÉJECTION DANS LES