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Le financement des soins aux personnes dépendantes

Chapitre V-3 : Pistes d'avenir

2 Le financement des soins aux personnes dépendantes

Notre étude montre que l'utilisation d'un instrument de mesure est une solution pragmatique.

Elle permet une évaluation standardisée des besoins en soins et donc une bonne

reproductibilité des évaluations si l'instrument est fidèle. Elle autorise une bonne évaluation

des besoins si la validité de contenu et la validité de construit de l'instrument sont élevées.

Elle montre aussi qu'il faut évaluer les besoins d'une population en agrégeant les évaluations

individuelles de manière à lisser les inévitables désaccords de ces évaluations individuelles.

Le problème des configurations de soins différentes complique la tâche. A domicile, la part

prise par les infirmières dans les soins à la dépendance dépend de l'attitude des aidants

proches. Pour un même degré de dépendance, l'intervention de l'infirmière est variable. En

institution par contre, les soins sont entièrement assurés par les équipes soignantes

multidisciplinaires, normées ou normalisables.

Un deuxième problème est lié à la charge de travail que constitue l'évaluation et à ses finalités

différentes.

Les personnels soignants ont pour vocation de soigner. Ils ne sont pas formés à l'évaluation

expertale et sont cependant appelés à la pratiquer. Un bon instrument d'évaluation de la

dépendance doit donc idéalement aussi pouvoir aussi être utile à l'élaboration d'un plan de

soins aux problèmes de dépendance relevés lors de l'évaluation.

Un troisième problème est lié aux niveaux de soins. Outre sa dépendance, la personne aidée

présente lorsqu'elle est un patient gériatrique, un état polypathologique. L'intervention des

personnels soignants ne concerne pas que la dépendance, mais aussi le suivi des traitements

médicaux, des soins techniques comme des soins de plaies ou des injections, voire la prise en

charge d'une fin de vie, ou encore la prise en charge des problèmes psychiques ou du

comportement lié à une démence, etc. Les besoins de soins ne se résument donc pas aux

problèmes de la dépendance, même s'il s'agit là du problème majeur. Une échelle de

dépendance s'avère donc nécessaire mais elle est insuffisante pour évaluer correctement les

besoins. Nous devons nous orienter vers l'utilisation d'un instrument modulaire comportant au

moins une évaluation des besoins liés à la dépendance et une évaluation des besoins liés aux

soins plus techniques. Ce deuxième module sort du cadre de la présente dissertation et nous

ne l'aborderons que sur base des connaissances actuelles encore parcellaires dans ce domaine.

Nous devons en outre tenter de répondre à des questions complexes, qui diffèrent en

institutions et à domicile.

2.1 Instrument d'évaluation de la dépendance pour le financement des soins.

L'échelle de la prévoyance sociale ne trouve pas sa place ici. Elle n'est pas utilisée à cette fin

et sa validité médiocre ne l'autorise pas.

Nous comparons donc l'échelle de l'INAMI et la grille AGGIR.

Telle qu'elle est utilisée actuellement, l'échelle de l'INAMI apporte une solution partielle et

insatisfaisante à notre question, ceci pour deux raisons. La première est qu'elle ne discrimine

pas correctement les différents niveaux de dépendance et plus particulièrement les problèmes

liés à la désorientation. La seconde est que les niveaux de prix attribués aux différents forfaits

ont des raisons historiques mais ne sont que partiellement corrélés à la charge en soins.

Une première réponse serait de transformer le mode de classification actuel en scores RIDIT.

Nous avons vu que le score RIDIT d'une population est bien corrélé à la charge en soins de

cette population.

L'échelle de l'INAMI souffre d'autres défauts. En ce qui concerne son contenu, elle est de

conception ancienne, basée sur le modèle déficitaire. Ce type d’approche n’a plus lieu d’être.

Elle est issue des séquelles de la première guerre mondiale pour offrir aux blessés une

compensation au prorata de ce qu’ils avaient perdu, grâce à un barème simple et rapide pour

une population assez homogène de sujets atteints (des hommes de 18 à 30 ans environ). Les

personnes dépendantes aujourd’hui portent tout le poids d’une vie, toute une évolution

existentielle et toute une variété de situations caractérielles et cognitives. L’objectif de l’aide

est d’améliorer la dépendance si possible, de la maintenir à son niveau actuel, ou encore d’en

prévenir l’aggravation. Elle ambitionne de stimuler la personne à faire, et non de se substituer

à elle pour réaliser le geste. Il s’agit non seulement de respecter les performances actuelles,

mais aussi de stimuler les potentialités: question de respect vis-à-vis de la personne

dépendante. L’ergonomie de l’échelle de l’INAMI est difficile vu la manière dont les items

sont libellés. Les items liés à la dépendance psychique n'apparaissent pas valides sur le plan

clinique. La faculté de calculer la catégorie amène un biais d'évaluation. L'évaluateur risque

de coter les items en fonction de la catégorie à laquelle il juge a priori que la personne

évaluée appartient.

L'ergonomie de l'échelle a un effet plancher (sous estimation des petites dépendances) et un

effet plafond (non discrimination des populations les plus dépendantes) (Falez F, Gillain D,

Gillet P, Swine C, Lucas P, 2003) 15. Enfin, les personnels soignants ne lui reconnaissent pas

une capacité d'aider à l'élaboration du plan de soins (Buntinx F, Falez F, Swine C, Ylieff M,

Closon M, De Lepeleire J , 2003) 57 ; (De Lepeleire J, Falez F, Swine C, Ylieff M, Pepersack

T, Buntinx F , 2005) 58.

Enfin, cet instrument n'évalue que la dépendance aux A.V.J. Il se révèle ainsi incomplet pour

une utilisation au domicile. Et en institution, il amène à négliger l'évaluation des potentiels

des personnes hébergées à gérer leurs biens, à faire encore quelques courses, à suivre leur

traitement médical de manière autonome, à occuper leurs loisirs, voire même à participer

encore à la préparation de repas ou à l'ordonnancement de leur lieu de vie.

S'il est donc possible d'améliorer la redistribution des moyens en utilisant le score RIDIT des

populations, cette l'échelle reste d'utilité très limitée et n'apparaît pas aider à l'élaboration du

plan de soins par les personnels soignants.

La grille AGGIR présente une validité de construit comparable à celle des scores RIDIT de

l'échelle de l'INAMI pour mesurer les besoins en soins de populations, l'indicateur étant le

GIR pondéré moyen (GPM). Elle n'apporte pas d'avantages majeurs sur ce point.

Sa validité de contenu semble meilleure. Elle est élaborée sur le modèle des performances et

se révèle ainsi moins défectologique. Son ergonomie est aisée. La nécessité d'utiliser le

logiciel pour le calcul des groupes iso-ressources diminue les biais d'évaluation. Les

différents groupes iso-ressources discriminent bien des besoins en soins différents. La

classification ne présente pas d'effet plancher (le GIR 6 concerne des personnes autonomes

moyennant une surveillance et des aides très ponctuelles), ni d'effet plafond (le GIR 1

correspond à des personnes en fin de vie). Sa capacité à aider à l'élaboration du plan de soins

est discutée. Pour certains soignants, tel est le cas, pour d'autres non (Buntinx F, Falez F,

Swine C, Ylieff M, Closon M, De Lepeleire J , 2003) 57 ;(De Lepeleire J, Falez F, Swine C,

Ylieff M, Pepersack T, Buntinx F , 2005) 58.

Les variables illustratives évaluent la dépendance aux AIVJ, ce qui rend de la grille utilisable

à domicile et en institutions. Remarquons à ce sujet, que l'organisation de la prise en charge

en institution ne favorise pas le maintien de l'autonomie pour les AIVJ et que la grille AGGIR

peut apporter ici un complément d'évaluation des problèmes amenant une amélioration de la

prise en charge.

Les auteurs de la grille travaillent actuellement à l'élaboration d'un logiciel qui améliore

l'utilité de l'instrument pour l'élaboration du plan de soins, surtout à domicile.

Le passage du financement basé sur l'échelle de l'INAMI vers un financement basé sur la

grille AGGIR devrait avoir les mêmes conséquences que le passage du financement par les

scores RIDIT de l'échelle de l'INAMI. Nous avons déjà étudié cette hypothèse dans des

travaux non publiés à usage de l'INAMI. De même, et toujours dans le cadre de travaux

internes à l’INAMI, nous avons pu vérifier la stabilité du GPM des institutions, ce qui

permettrait de stabiliser leur financement.

Nous proposons donc l'abandon de l'échelle de l'INAMI au profit de la grille AGGIR, d'autant

plus qu'il est possible de lui associer un deuxième module d'évaluation des besoins en soins

liés au pathologies, le système de mesure PATHOS qui vient d'être validé en Belgique

(Neirynck I, Closon MC, Swine C, Habimana L, Laokri S, Bayens JP , 2006) 59 ; (Closon

MC, Habimana L, Swine C, , Laokri S, Bayens JP, Neirynck I, 2006 ) 60) ; (Closon MC,

Habimana L, Swine C, , Laokri S, Bayens JP, Neirynck I 2006) 61 et, comme nous le verrons

plus loin, de l'intégrer dans un instrument d'évaluation des besoins d'accompagnement de la

personne handicapée.

Le GIR pondéré moyen et l'indicateur PATHOS pondéré moyen en association devraient

permettre une redistribution satisfaisante du financement des institutions.

L’outil complet constitué de la grille AGGIR et de la méthode PATHOS permet en outre de

mieux objectiver les besoins en personnels. La grille AGGIR est parfaitement corrélée avec

les besoins en soins de bases requis et permet de calculer le personnel nécessaire pour

effectuer ces soins. Nous avons mesuré que ce temps de soins est de 230 minutes par jour

environ et ceci de matière reproductible. Lors de l’enquête menée avec les infirmiers conseils,

ceux-ci obtiennent un temps de soin de base moyen quotidien de 234 minutes pour une

personne de la catégorie GIR 1 (IC à 95% : 219-249) et nous obtenons un temps de 232

minutes par jour (IC à 95% 222-243). Dans l’enquête réalisée avec les soins à domicile, nous

obtenons un temps de soins de base requis de 230 minutes par jour pour un GIR 1 (IC à 95% :

223-237). Ces résultats sont comparables avec ceux obtenus en France ou au Québec (études

non publiées).

Les personnels de soins émettent des souhaits inférieurs à ces résultats : ils espèrent disposer

de 201 minutes par jour pour prendre en charge un GIR 1 lors du premier temps de l’enquête

(IC à 95% : 193-209) et de 202 lors du second temps de l’enquête (IC à 95% : 193-211). Ceci

appelle un commentaire prudent de notre part. Il est possible que les souhaits soient inférieurs

aux besoins requis parce que le personnel étant insuffisant, il limite ses activités à ce qui lui

semble nécessaire. Ceci irait dans le sens d’une étude plus ancienne réalisée en Alsace où il

était démontré qu’une insuffisance en personnel menait à négliger une partie des besoins des

personnes hébergées, particulièrement de celles qui étaient les moins dépendantes, ce qui

entraînait « une aggravation de leur état (des résidents), une survie de mauvaise qualité, une

augmentation indue de la dépendance et même une surmortalité » (Berthel M, Rietsch MP,

Ebel M, Kuntzmann F, 1989) 62. Cette première hypothèse est renforcée par le fait que les

personnels de MRPA souhaite un temps moindre pour la prise en charge d’un patient du

groupe GIR 1 que le personnel en MRS et ce de manière significative aux deux temps de

l’étude (183 minutes contre 205 au temps 1 ; 179 contre 208 au temps 2, test de Wilcoxon :

p< 0,05). Comme on le sait, les normes de personnel sont inférieures dans les MRPA. Une

deuxième hypothèse vient du constat que de toute manière, même en MRS, le temps de soins

souhaité est inférieur aux temps de soins requis. La culture des soins gériatriques ne permet

pas une prise en charge suffisante, en particulier dans le domaine de la mobilisation des

patients grabataires et dans la surveillance nutritionnelle. Ces deux hypothèses sont à vérifier

dans des études ultérieures.

Mais l’avantage de la grille AGGIR est de démontrer que les normes de personnel en vigueur

à l’époque dans les MRPA étaient insuffisantes comme nous l’avons montré dans une

communication à l’INAMI. La comparaison avec la grille de l’INAMI montre un effet de

plafonnement de cette dernière puisque les patients de la catégorie Cd en institutions montre

des besoins en soins inférieurs à ceux des patients du groupe GIR 1 dans toutes les études :

189 minutes par jour dans l’étude 1 au premier temps (IC : 183-195) et 187 au second temps

(IC 95% : 179-193) ; 208 minutes de soins de base quotidiens requis dans les mesures des

infirmiers conseils dans l’étude médecin conseil-infirmier-conseil (IC 95% : 192-224) et 211

minutes pour le médecin conseil (IC 95% 199-223) ; enfin, 219 minutes de soins de bases

requis quotidiens pour les patients C à domicile (IC 95% : 212-226).

La grille AGGIR apparaît donc discriminer mieux la charge en soins que l’échelle de

l’INAMI.

Le système PATHOS quant à lui permet de décrire les besoins en soins requis de différents

postes, dont ceux de réadaptation et de soins techniques infirmiers. Des études

supplémentaires sont encore nécessaires.

Cependant, ces deux systèmes de mesure n’offrent pas seulement l’avantage d’améliorer

l’équité dans la distribution des ressources. Ils montrent également le gap éventuel entre

ressources disponibles et ressources nécessaires. Ils fournissent ainsi aux décideurs un outil

valide pour évaluer et objectiver les besoins financiers réellement nécessaires et de

programmer l’effort à fournir pour obtenir la solution la plus idéale possible.

2.2 Domicile.

Nous avons insisté sur la nécessité d'évaluer des besoins en soins de populations pour

permettre une efficacité maximale des instruments d'évaluation à des fins de financement. Par

population, il faut entendre un nombre minimal de personnes. Actuellement, le financement

des soins à la dépendance des personnes séjournant à domicile est réalisé au niveau individuel

vers des prestataires de soins individuels. Il est donc nécessaire de modifier l'approche des

soins à domicile vers des équipes soignantes.

Deux types de prestataires effectuent les soins à domicile: les équipes salariées de soins à

domicile, le plus souvent proches des organisations mutuellistes, et les prestataires

indépendants. Pour les premières, un passage vers le financement d'une prise en charge de

population de personnes dépendantes est théoriquement possible. Pour les prestataires

indépendants, une telle évolution est subordonnée à une nouvelle approche de la réalité du

terrain. En effet, les prestataires indépendants fonctionnent obligatoirement en collaboration

pour les soins à une population de personnes dépendantes qui nécessitent des contacts

quotidiens, pour assurer la continuité des soins

Depuis 1999, le Service Public Fédéral de la santé publique (SPF) mène une réflexion (certes

chaotique) pour favoriser le regroupement des infirmiers indépendants en pratiques de

groupes. Ce sujet dépasse le cadre de cette dissertation, mais il s'agit à nos yeux d'une

approche inéluctable pour l'organisation des soins de première ligne. Ces pratiques de groupe

permettraient le financement par population prise en charge.

Nous n'entrerons pas ici dans le détail des problèmes à résoudre. Nous n'aborderons que les

problèmes liés à l'utilisation d'une échelle de dépendance pour le financement des soins qui

s'y rapportent.

Comme pour les institutions, ce financement sera basé sur un indicateur de besoins en soins

de la population prise en charge: score RIDIT en cas d'utilisation de l'échelle de Katz, GPM

en cas d'utilisation de la grille AGGIR. Comme nous l'avons montré, l'intensité de la prise en

charge par les infirmières dépend de l'activité des aidants proches. Les infirmières ne réalisent

qu'une partie des aides nécessaires au maintien à domicile des personnes dépendantes, de

manière prépondérante, les soins d'hygiène. Les autres aides sont assurées par le réseau

d'aidants proches d'une part et des professionnels de l'aide aux AIVJ d'autre part. Il est donc

nécessaire de connaître la part des soins effectués par les infirmières au domicile et de

calculer le temps moyen (ou médian) de soins requis imputable aux infirmières. Il sera dès

lors théoriquement possible de définir des normes et d'ensuite financer les équipes de soins à

domicile en fonction de l'indicateur retenu.

Pour les raisons évoquées en ce qui concerne les institutions, nous préconisons l'utilisation de

la grille AGGIR. L'utilisation des variables illustratives de la grille est un argument

supplémentaire au regard de l'organisation des aides à domicile, particulièrement dans la

partie francophone du pays. Celle-ci s'articule sur la coordination des soins et des aides par

des centres de coordination chargés d'organiser la prise en charge des aides professionnelles:

infirmières, aides familiales, gardes malades etc. Les variables discriminantes et illustratives

de la grille AGGIR fournissent une évaluation des besoins globaux de la personne et une aide

à la décision des prestations à effectuer par les différentes disciplines de la coordination

(Falez F, Gillain D, Gillet P, Swine C, Lucas P, 2003) 15.