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Chapitre 2 : La question environnementale, un double enjeu pour la logistique urbaine

3.1. Le desserrement logistique: de quoi s’agit-il ?

Faisant l’historique des relations entre le transport de marchandises et la ville, J.G. Dufour (2000) rapporte qu’en France, une tentative d’éviction du transport de marchandises de la ville a bien existé au cours des années soixante-dix avec un succès relatif. La problématique alors consistait à comprendre comment rendre le TMV moins pénalisant pour le déplacement des voitures particulières. Ces réflexions n’auraient pas été poursuivies longtemps parce que ne promettaient pas de grands résultats. Elles ont cependant débouché, dans plusieurs grandes villes à la limitation du tonnage de véhicules de fret autorisés à circuler en zones denses. Il s’en est suivi comme conséquence, la délocalisation en périphérie de plusieurs installations logistiques, les plateformes de groupage-dégroupage notamment (J.G. Dufour, 2000). J. Gonzalez-Feliu (2017) ajoute que des initiatives homologues ont aussi existé en Europe dans la même période, par exemple en Allemagne avec la même problématique.

Aujourd’hui, la ville est à l’heure de la transition postfordiste. Les anciens foyers industriels qu’étaient les villes se transforment en économies tertiaires. Cette mutation de l’économie urbaine que l’on caractérise désormais par la notion de capitalisme cognitif, est le lieu de la promotion de la ville dense et compacte, propre, verte et sûre comme évoqué plus haut, et les préoccupations liées à la qualité de vie en ville s’amplifient. Un des corolaires en est le renchérissement de la rente foncière notamment en centre-ville. Ce renchérissement n’épargne pas l’immobilier commercial. Les commerces restent alors dans les centres-villes, étant l’un des socles de cette mutation de l’économie urbaine (R. P. Desse, 2001). L’espace dont disposent ces commerces est alors de plus en plus réduit. Les espaces logistiques sont désormais rejetés presque systématiquement dans les zones périurbaines, à la fois pour juguler les nuisances déjà évoquées causées par les gros porteurs qui approvisionnent ces plateformes logistiques, et pour bénéficier d’un foncier plus disponible et à coût plus accessible (D. Guerrero et L. Proulhac, 2016). C’est le desserrement logistique qui se met ainsi en place, rapprochant du même coup ces lieux logistiques des grands axes routiers, mais se déployant dans des contextes locaux,

avec des rythmes et des temporalités différentes, et de manière généralisée dans la plupart des villes d’Europe. C’est notamment le cas en France, comme le montrent les travaux de D. Andriankaja (2014), de L. Dablanc et D. Andriankaja (2011), de D. Diziain et al. (2012) et de D. Guerrero et L. Proulhac (2016). L’INSEE confirme en 2017 cette tendance en affirmant que pour le cas de la Région Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, la filière logistique se concentre en périphérie des villes (INSEE, 2017).

D. Andriankaja (2014) explique le desserrement des plateformes logistiques par deux raisons essentielles : l’accessibilité pour le transporteur et la rentabilité de la localisation. La localisation en périphérie permet de se rapprocher des grands axes routiers et d’être ainsi plus accessibles aux transporteurs. Quant à la rentabilité économique, elle est à la fois fonction du coût du transport qui est d’autant plus réduit qu’on minimise la partie urbaine du trajet, et du prix du foncier plus abordable loin du centre-ville. N. Raimbault (2015-b) qui s’est aussi intéressé à la région francilienne pense cependant que c’est davantage les enjeux fonciers que l’accessibilité qui priment, et qui expliquent, dans le cas de cette région, la concentration de ces plateformes logistiques dans un croissant au sud-est en périphérie de Paris.

En résumé, le desserrement logistique présente un ensemble d’avantages pour la ville et les acteurs de la distribution urbaine. Il permet notamment de réduire la circulation en zone urbaine des véhicules gros-porteurs qui sont source de nuisances telles que les accidents, le bruit, la congestion, et l’émission de polluants. La qualité de vie en ville pourrait s’en trouver ainsi préservée. Il permet du même coup de réduire la partie urbaine plus lente et plus coûteuse pour les transporteurs qui acheminent les marchandises jusqu’à ces plateformes, et permet aussi de réduire le coût du foncier pour les promoteurs de ces espaces logistiques. Mais ces espaces logistiques de périphérie ne constituent que des points de rupture de charge et non le point d’arrivée, la marchandise étant destinée à la distribution urbaine et devant atteindre le consommateur final ou tout au moins le commerce urbain. Mais le bilan environnemental de l’acheminement des marchandises sur la partie urbaine de son trajet en direction du consommateur final n’est pas forcément le meilleur. D. Boudouin et C. Morel (2015) résument la problématique du desserrement logistique en ces termes :

« Les points d'articulation des flux urbains comme les zones de stockage des produits nécessitant de fortes rotations vers ou depuis les villes ont, dans la très grande majorité des cas, quitté les zones denses. Ce mouvement qui a débuté dans les années 1970 s'explique par de multiples raisons : urbanistiques (impossibilité réglementaire de s'installer), politiques (rejet d'outils jugés créateurs de nuisances), économiques (coût du foncier prohibitif). Pourtant, un positionnement éloigné du barycentre urbain induit un allongement des distances

89 parcourues impliquant une participation accrue à la saturation du réseau viaire, une perte d'efficacité globale entrainant un accroissement des couts de desserte, une augmentation des GES et autres émissions de polluants engendrant une dégradation de l'environnement » (D. Boudouin et C. Morel, 2015).

3.2. Le desserrement logistique comme source de dégradation du bilan environnemental