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Chapitre 2 : La question environnementale, un double enjeu pour la logistique urbaine

2.1. Environnement urbain ou néohygiénisme: la qualité de vie en ville serait-elle une instrumentalisation de

Selon certains auteurs, l’émergence de la notion de « qualité de vie » en ville est très liée à l’hygiénisme comme le montrent entre autres les travaux de F. Choay (1965). Les réflexions hygiénistes en étaient déjà pour beaucoup dans l’aménagement de Paris conduit sous le Préfet Haussmann au 19ème siècle, mais aussi dans la rénovation de plusieurs villes où étaient décriées l’insalubrité de l’habitat ouvrier et l’absence d’espace vert dans les centres-villes denses et dégradés. Le combat contre la pollution atmosphérique et les nuisances sonores a ensuite succédé à la lutte remportée contre les épidémies. En France par exemple, l’augmentation du pouvoir d’achat dans la période d’après-guerre dite des « Trente glorieuses » renforce les exigences individuelles et collectives en termes de qualité de vie auxquelles on associe désormais les enjeux liés à la protection de l’environnement urbain. Les préoccupations environnementales dans les politiques urbaines s’imposent ainsi progressivement parce que la société prend conscience des nuisances et du tort causé aux éléments naturels. Le terme de nuisances décrit désormais cet ensemble ressenti comme une agression (Barbarino, 2005).

Les préoccupations environnementales se sont ainsi imposées en termes de qualité de vie, avant même que le choc pétrolier du milieu des années soixante-dix ne vienne les amplifier et faire prendre conscience de leurs conséquences qui dépassent le ressenti à l’échelle urbain.

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Aujourd’hui encore, la pensée urbaine et les politiques urbaines sont toujours empreintes d’exigences formulées sous le vocable de qualité de vie en ville. L’ensemble des théories qui font l’apologie de la ville dense et compacte, la reliant à son corollaire de mobilités douces et durables trouvent un excellent porte-étendard dans le « New Urbanism » qui s’est développé dans les années quatre-vingt-dix, et que nous évoquons un peu plus loin. Mais ces théories datent de plus longtemps. Elles remontent par exemple aux travaux de C. Buchanan (1964). Il proposait déjà d’imposer des contraintes à la fonction urbaine de circulation, afin de limiter les dommages qu’elle pourrait créer aux autres fonctions urbaines. Les politiques de modération du trafic automobile étaient déjà très répandues en Europe dès les années soixante-dix. Leurs effets bénéfiques se sont exprimés par exemple par la réduction du taux d’accident de la circulation. Une méta-analyse de ces effets a montré que ces accidents ont été réduits de 15% (R. Elvik, 2001). Ces expérimentations ont été les précurseurs des zones de limitation de vitesse telles que la piétonisation, les « zones de rencontre » limitées à 20km/heure et les « zones 30 » limitées à 30 km/heure. Elles expriment aussi une priorité donnée à la vie locale au détriment de la circulation (Hounwanou, 2015), et favorisent le partage de la voirie avec les modes doux (H. Reigner, 2013-c). Nous discuterons accessoirement (cette question n’étant pas centrale dans notre réflexion), avec le cas d’étude, si finalement elles présentent un intérêt environnemental aussi évident, en considérant l’émissions de polluants atmosphériques par exemple. La lutte contre l’étalement urbain, consacrée par le législateur français par les lois SRU en 2000 et Grenelle en 2009 (Légifrance, 2017) puis Grenelle 2 en 2010 (Legifrance, 2019) s’inscrit dans ce courant de pensées. Elle est basée sur quatre arguments principaux notamment explicités entre autres dans les travaux d’H. Reigner (2013-d). D’abord, l’étalement urbain augmente les coûts de déploiement des différentes infrastructures de réseau (route, télécom, électricité et eau potable) et notamment des transports en commun. Ensuite, l’étalement urbain provoque davantage d’artificialisation des sols au détriment de la nature, en concurrence avec l’agriculture. En troisième position vient le mitage provoqué par l’érection éparse de résidences pavillonnaires qui ne rendent pas service à l’esthétique urbanistique du territoire. Le quatrième argument, d’ordre environnemental, soutient que l’étalement urbain génère beaucoup plus de consommation d’énergie et de pollution atmosphérique que la ville dense. Ces arguments, défendus par des travaux scientifiques à l’image de P. Newmann et J. Kenworthy, (2009), connaissent aussi des pourfendeurs. J.P. Orfeuil et D. Soleyret (2002) proposent ainsi par exemple l’« effet barbecue » pour soutenir que les déplacements motorisés de loisir du week- end des habitants des centres urbains denses compensent largement la consommation d’énergie des mouvements pendulaires domicile-travail des habitants de la périphérie.

Derrière cette promotion de la ville verte et propre, certaines réflexions voient des non-dits néo- hygiénistes qui gouvernent la ville moderne. Une controverse scientifique oppose à ce sujet les théoriciens de la ville dense et des courtes distances, caractérisée par la mobilité douce et remontée contre la place de l’automobile et la périurbanisation d’une part, et les tenants d’une réflexion critique contre cette manière d’appréhender la durabilité urbaine. Pour le géographe F. Scherrer, « il est indéniable que bien des mesures, si évidentes ou urgentes qu’elles paraissent pour promouvoir l’usage des modes doux, le partage de la voirie, la sécurisation de l’espace publique, ou stigmatisant à l’inverse l’autosolisme et le cauchemar périurbain, ont une face cachée : le caractère socialement et spatialement sélectif » (F. Scherrer, 2013 :10). Pour Hélène Reigner, politiste française, « un ensemble de travaux récents soutiennent que l’objectif de qualité urbaine et sa déclinaison dans le développement urbain durable, sont utilisés par les acteurs des politiques urbaines comme un moyen de renforcer l’attractivité territoriale par l’image et la promotion d’une certaine qualité de vie » (H. Reigner, 2013 a :13/43). Ces réflexions rejoignent en partie les travaux de L. Bouzouina (2008) pour qui le desserrement de l’habitat urbain n’est pas forcément un choix des habitants de se retirer dans un entre-soi communautaire.

L’idée critiquée par ces argumentations se retrouve dans certaines mesures adoptées comme solution de logistique urbaine. Michel Savy (2014) décrit le Business Improvement District importé dans les villes anglaises depuis les Etats-Unis d’Amérique. Cette pratique consiste à délimiter une zone dans la ville où les entreprises peuvent payer davantage d’impôts locaux pour bénéficier des contreparties telles qu’un meilleur nettoyage de la ville, et un transport de marchandises plus propre (M. Savy, 2014). Ce type de politique qui a l’apparence d’une simple règlementation semble tirer son origine d’un courant d’urbanisme qui s’est développé aux Etats-Unis dans les années 1980, le New Urbanism (A. Béziat, 2017 ; P. Calthorpe, 1993).

Le Congress ouf New Urbanism (2001) et la charte de vingt-sept principes qui en a découlé sont les actes fondateurs du New Urbanism. Ils proposent comme projet pour ce dernier d’être un courant d’urbanisme qui vise l’intégration comme nouveau fondement dans les politiques publiques et les pratiques d’aménagement, de la mixité sociale et fonctionnelle, d’un partage multimodal de la voirie incluant modes actifs, transports en commun et automobile, de l’accessibilité, de la sécurité, et de la mise en valeur de l’histoire, l’écologie, le climat et les méthodes de construction locaux (The Congress of New Urbanism, 2001 traduit en Français par J.-M. Moulène). En tant que tel, le New Urbanism rejoint en partie le scénario « Ville Rhénan »

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(par opposition aux scénarios « Ville saint-simonienne » et « Ville californienne ») proposé par A.Bieber, J.-P. Orfeuil et M.-H. Massot (1993) dans leurs projections sur les futurs possibles de la mobilité urbaine en France. Ce scénario Ville rhénan ayant aussi inspiré par exemple les théories sur la ville cyclable.

C. Ghorra-Gobin (2006) en présentant une synthèse des enjeux et perspectives du New Urbanism, n’occulte pas les critiques auxquelles cette théorie fait face, qui lui reprochent de se limiter à un aspect purement esthétique de la ville et d’être influencée par un déterminisme spatial. Le New Urbanism serait donc d’après ces critiques, une stratégie marketing destinée à séduire les classes aisées avec un discours écologiste. Cependant, s’il ne règle pas la question de la dépendance automobile, le New Urbanism pourrait toutefois être le gage d’un développement urbain durable, à condition de s’associer à la métropolisation. La métropolisation étant à définir ici comme étant à la fois un processus d’étalement urbain, et de restructuration du marché de travail englobant les banlieues et le périurbain (C. Ghorra-Gobin, 2006). Cette question touche directement notre cas d’étude. Elle relance le débat sur l’opposition centre-périphérie, notamment en contexte de métropolisation et de compétition urbaine entre villes voisines, comme c’est le cas à Saint-Etienne notre terrain d’étude d’une part, et d’autre part entre Saint-Etienne et les villes qui l’entourent en termes d’offre commerciale. Mais elle questionne aussi ces politiques menées dans cette ville dont l’hypercentre reste a contrario habité par une population économiquement fragile.

Dans une réflexion sur l’impact environnemental de la logistique urbaine, prendre en compte la gentrification et la ségrégation spatiale potentiellement générées par cet ensemble de politiques urbaines permet de penser à la distribution urbaine en périurbain, et donc par exemple, à ne plus imaginer le centre-ville historique comme seule localisation acceptable du point de vente. Alors, on peut se demander par exemple comment varient les flux si la localisation des commerces change.

Revenons alors concrètement à cet éventuel parti pris en restant concentré sur la question de l’incidence des émissions dues au transport de marchandises.

2.2. L’incidence des émissions : faut-il opposer gaz à effet de serre et polluants