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La compréhension des émotions renvoie à la faculté à cerner les causes et les conséquences d’un état émotionnel. À l’image de l’identification des émotions, la compréhension des émotions implique un processus de catégorisation des éléments externes et internes précédent ou consécutif à un état émotionnel. Selon la situation, l’individu doit être en mesure d’attribuer une émotion à une personne en fonction des divers éléments contextuels. Cette capacité a également une importante fonction d’adaptation sociale, mais elle est une aptitude qui dépend davantage de la capacité à conceptualiser et raisonner (e.g. établir des liens de cause à effet) (Denham et al., ; Pons, Doudin, et al., ; Stegge & Meerum Terwogt, ).

Cette compétence émerge relativement tôt chez l’enfant malgré le fait qu’elle soit étroitement liée au développement des capacités cognitives et langagières. Les enfants de - ans montrent une certaine compréhension des émotions de base telles que la joie, la colère ou la tristesse en employant des termes appropriés en fonction du contexte et en décrivant les situations qui peuvent causer une émotion. Ceci s’applique autant à leurs émotions propres qu’à celles d’autrui ou même dans le cadre du jeu avec des

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personnages imaginaires. Les enfants peuvent ainsi faire référence à des émotions passées, présentes et futures. Les descriptions restent cependant sommaires et les enfants éprouvent des difficultés pour donner des exemples (Decety, ; Denham, ; Gosselin, ; Luminet, ; Pons, Harris, & de Rosnay, ). Ce n’est que vers ans que l’enfant va commencer à être capable d’effectuer une réflexion sur les émotions que lui ou les autres éprouvent. Il va être davantage en mesure de comprendre les conséquences d’un état émotionnel en termes de réactions et de comportements. Ceci s’établit en lien avec l’acquisition des règles et des conventions sociales. Néanmoins, à ce niveau, et jusque tardivement, la conceptualisation des émotions reste limitée à la connaissance des situations sources d’émotions et des manifestations comportementales. Ce ne serait que vers ans que les enfants semblent intégrer réellement les états mentaux et la dimension expérientielle dans leur conceptualisation des émotions (Gosselin, ; Stegge & Meerum Terwogt, ).

Dans leur étude Pons, Harris et de Rosnay ( ) ont tenté de caractériser le développement de la conceptualisation des émotions en utilisant le Test of Émotion Comprehension (TEC) élaboré et validé par leurs soins. L’étude met en évidence que l’intégration des différents paramètres internes et externes est progressive. Ainsi, dès ans, l’enfant intègre progressivement le rôle des désirs et des croyances dans l’émergence d’une émotion. Il est également en mesure de prendre en compte que l’évocation des souvenirs peut amener à une émotion. À cet âge, l’enfant commence à comprendre que l’émotion exprimée n’est pas forcément celle éprouvée, elle peut être dissimulée ou modifiée volontairement pour tromper l’autre (Bradmetz & Schneider, ; Harris, de Rosnay, & Pons, ; Pons et al., ).

Cela est notamment rendu possible avec le développement de la théorisation de l’esprit2 (Decety,

; Grazzani, Ornaghi, Conte, Pepe, & Caprin, ; Stegge & Meerum Terwogt, ; Thommen, ). En effet, une compréhension complète de la notion de dissimulation des émotions se traduit par la compréhension qu’une expression émotionnelle dissimulée peut générer une fausse croyance chez autrui. Il s’agit d’un raisonnement complexe qui met en relation trois représentations mentales : l’émotion réelle de la personne qui l’exprime, l’intention de cette même personne et la connaissance de la personne qui observe (Grazzani et al., ; Perron & Gosselin, ). Certaines études ont notamment montré que dès ans, l’enfant est en capacité de comprendre la différence entre émotion réelle et émotion apparente avec une meilleure compréhension pour les émotions négatives que pour la joie. Cette capacité augmenterait au cours du développement jusqu’à ce qu’il soit en capacité d’articuler les trois représentations mentales vers l’âge de ans (Banerjee, ; Grazzani et al., ; Perron & Gosselin, ; Pons et al., ; Stegge & Meerum Terwogt, ).

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Le développement de la compréhension n’est toutefois pas homogène selon le type d’émotion. Elle s’établit tout d’abord sur un plan binaire de type « content / pas content ». Dans une de leur étude, Thommen et coll. (voir Thommen, ) montrent que dès ans, l’enfant attribue parfaitement la joie. À ans, les enfants sont parfaitement en mesure d’attribuer correctement la tristesse, la peur et la colère. Ce n’est qu’à partir de ans que la surprise est bien cernée. Avant ans, la honte et la culpabilité ne sont pas bien maitrisées.

Selon l’étude de Pons et al. ( ), dès ans, l’enfant commence à cerner les émotions complexes, qui typiquement contiennent différentes composantes contradictoires. À cet âge, l’acquisition des règles sociales est grandissante et l’enfant est en mesure de prendre en compte les aspects moraux des situations pour attribuer une émotion. Enfin, il intègre progressivement les différentes stratégies pour réguler ses émotions, notamment la stratégie par réévaluation cognitive (cf. partie suivante).

En conclusion, des changements importants dans la compréhension des émotions chez les enfants s’oppèrent pendant la période préscolaire et primaire. Il apparait que ce n’est que vers ans que l’enfant semble disposer d’une conceptualisation des émotions relativement complète (s’apparente au processus de « théorisation de l’émotion »3). Durant cette période, les enfants sont progressivement

capables d'analyser plus en détail les situations émotionnelles et d'acquérir des connaissances sur les causes, les conséquences et les modes d'expression d'une gamme croissante d'émotions. Ils apprennent aussi beaucoup sur la nature de l'émotion en tant que telle. Une étape cruciale du développement consiste à adopter une perspective « mentaliste » du processus émotionnel. La prise en compte des désirs, des croyances et de la distinction entre émotion réelle et apparente en tant que composants centraux permet aux enfants de mieux expliquer et prédire les réactions émotionnelles. A noter que cette compétence relève également des capacités réflexives de type méta-émotionnelle, et qu’elle présente de fortes variations individuelles dans son développement (Harris et al., ; Stegge & Meerum Terwogt, ; Widen, ). Par ailleurs, elle représente une compétence cruciale dans le développement de l’empathie (Decety, ).