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La connaissance du développement atypique des émotions contribue grandement à l’augmentation de la compréhension du développement typique. C’est en effet par l’observation de fonctionnement émotionnel atypique que l’on a pu constater le rôle fondamental des émotions dans le développement global et le retentissement majeur qu’elles ont sur la vie quotidienne (Brun, ). Aussi, de nombreuses études ont été conduites pour mieux caractériser le développement émotionnel atypique selon le type de trouble ou de handicap. On retrouve alors une littérature abondante concernant les troubles du spectre autistique, les déficiences intellectuelles, les troubles neurodéveloppementaux ou encore les troubles du comportement et d’adaptation sociale. Naturellement, ces travaux ont aussi et surtout pour finalité de mieux comprendre la pathologie pour mieux la prendre en charge. La partie suivante vise à rendre compte de manière synthétique (non exhaustive) des travaux de recherche menés dans ce domaine.

Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des troubles neurodéveloppementaux caractérisés par des troubles de la communication sociale et de la cognition sociale. De nombreuses études ont été menées afin de mieux comprendre le fonctionnement émotionnel chez ces personnes. Les critères diagnostiques du TSA impliquent entre autres une altération dans l’utilisation des comportements non verbaux multiples (tels que le contact oculaire, la mimique faciale, les postures corporelles, les gestes) ainsi qu’un manque de réciprocité sociale ou émotionnelle. Le niveau des personnes avec TSA concernant les compétences émotionnelles est extrêmement dysharmonique. L’étude de McIntosh et coll. ( ) révèle que les adolescents et adultes avec TSA présentent nettement moins d’expressions faciales émotionnelles spontanément, tandis qu’ils démontrent un niveau équivalent au groupe contrôle pour ce qui est des expressions émotionnelles volontaires (sur demande). L’étude de

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Grossman et Tager-Flusberg ( ) montre en revanche des lacunes dans la reproduction faciale d’émotion (mime) pour les adolescents avec TSA. Concernant les capacités de reconnaissance faciale émotionnelle, les études divergent également (Harms, Martin, & Wallace, ). Certains travaux mettent en avant que les enfants et adolescents avec TSA identifient aussi bien les expressions faciales (statique ou dynamique) pour certaines émotions que leurs homologues neurotypiques (voir par exemple : Grossman & Tager-Flusberg, ; Lacroix, Guidetti, Rogé, & Reilly, ). A l’inverse, d’autres études mettent en évidence une altération dans les capacités de reconnaissance d’expressions émotionnelles chez les enfants avec TSA plus ou moins prononcée (voir par exemple : Ben Shalom et al., ; T. F. Gross, ; Rump, Giovannelli, Minshew, & Strauss, ; Tardif, Lainé, Rodriguez, & Gepner, ). L’hétérogénéité des résultats pourrait résulter de facteurs démographiques (i.e. culturels), méthodologiques ou être lié à la diversité inter-individuelle concernant la capacité à mobiliser des mécanismes compensatoires ou non (Harms et al., ). Les difficultés émotionnelles des personnes avec TSA sont particulièrement saillantes lorsqu’il s’agit de prendre en compte le contexte de la situation. La littérature rapporte unanimement que les personnes avec TSA sont en grande difficulté pour attribuer une émotion selon le contexte (d’autant plus lorsque celui-ci est complexe ou ambiguë), pour cerner les causes et les conséquences des émotions, et plus largement pour attribuer des états mentaux à autrui (défaut dans la théorisation de l’esprit). De ce fait, ces individus font preuve de peu d’empathie. Les travaux mettent en avant une corrélation positive entre les capacités de compréhension et d’attribution d’états mentaux avec l’âge et le niveau d’efficience cognitive (voir par exemple Golan, Sinai-Gavrilov, & Baron-Cohen, ; Salomone, Bulgarelli, Thommen, Rossini, & Molina, ; Thommen et al., ). Enfin, la littérature rapporte également que les mécanismes de régulation émotionnelle sont altérés chez les sujets avec TSA. Ceux-ci démontrent notamment une forte labilité émotionnelle ainsi qu’un défaut dans l’utilisation des stratégies de régulation (Berkovits, Eisenhower, & Blacher, ; Hurd, ; Samson, Hardan, Podell, Phillips, & Gross, ; Stel, van den Heuvel, & Smeets, ).

La déficience intellectuelle – très présente dans le cadre des troubles neurodéveloppementaux - amène à des déficits d’adaptation sociale et par conséquent des altérations dans les compétences émotionnelles. De manière générale, la littérature rapporte que les individus avec déficience intellectuelle peuvent présenter des lacunes dans la reconnaissance des émotions qui sont susceptibles d’être causées ou liées par un défaut dans le traitement de l’information qui relève des habilités cognitives (Moore, ). Néanmoins, l’hétérogénéité dans les profils et la méthodologie fait que ces lacunes ne sont pas systématiquement mises en évidence. L’étude menée par Lacroix et coll. ( ) montre un déficit marqué dans les tâches d’identification des expressions faciales émotionnelles pour les enfants avec un syndrome de Williams (SW) ; tandis que Deruelle et Santos ( ) n’observent aucune difficulté majeure. Les travaux menés auprès d’individus avec syndrome de Down (SD) sont

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aussi mitigés. Pochon, Brun et Mellier ( ) ont effectué un suivi longitudinal de ans sur les capacités d’identification des émotions en comparant un groupe SD, un groupe avec retard mental (sans origine définie) et un groupe neurotypique. Lors de la première année, le niveau des enfants avec SD est inférieur aux deux autres groupes. Lors de la seconde année, le niveau des enfants avec SD et neurotypiques sont équivalents (progression), tandis que le groupe avec retard mental n’a montré aucune évolution et a donc un niveau inférieur aux deux autres groupes. Enfin, l’étude de T.F. Gross ( ) montre un déficit dans la discrimination d’expressions faciales émotionnelles pour le groupe d’enfants avec retard mental. Par ailleurs, le peu de travaux sur la compréhension et la régulation des émotions nous montre que les enfants avec déficience intellectuelle présentent des lacunes par rapport aux enfants du groupe témoin du même âge chronologique. En revanche leur niveau est sensiblement proche des enfants du groupe témoin ayant le même âge de développement. De plus, il apparait que les difficultés de régulation sont d’autant plus fortes lorsque les enfants sont placés dans un contexte compétitif. Ces résultats corroborent avec les déficits exécutifs présents dans la déficience intellectuelle (Baurain & Nader-Grosbois, ; Thirion-Marissiaux & Nader-Grosbois, ). Ces résultats viennent aussi appuyer l’idée que la déficience intellectuelle est fréquemment associée à un retard dans le développement des compétences émotionnelles.

Les troubles du comportement, également très présents dans les pathologies neurodévelopementales, renvoient à l’ensemble des attitudes qui apparaissent inadaptées à la vie sociale quotidienne. Ces troubles sont fréquemment (mais pas systématiquement) associés à une déficience intellectuelle. On repère alors deux grandes classes : les troubles intériorisés correspondant à des comportements de type introverti (inquiétude, peurs, plaintes somatiques, isolement et faible sociabilité) ; et les troubles extériorisés correspondant à des comportements de type extraverti (agressivité, désobéissance, colères, agitation motrice, distractibilité, impulsivité). Les deux types se caractérisent par un défaut majeur de régulation émotionnelle. Dans le cadre des troubles intériorisés, les émotions sont peu exprimées et peu extériorisées, autant sur le plan corporel que verbal. La régulation émotionnelle fait défaut dans le sens ou la personne présente des réactions dysfonctionnelles aux situations affectives et développe des stratégies inadaptées typiquement observées dans la symptomatologie dépressive (e.g. rumination) ou anxieuse (e.g. somatisation). Les troubles extériorisés chez l’enfant sont beaucoup plus saillants et font l’objet de nombreuses plaintes par les familles. Les émotions sont exprimées de manière brusque et intense et le défaut de régulation consiste en une incapacité à contrôler son expression (voir par exemple: Eisenberg et al., ; Galéra & Bouvard, ). Les travaux de recherches révèlent également que les enfants présentant ces types de troubles démontrent des difficultés dans la compréhension des émotions, et plus largement dans la compréhension des situations sociales. Précisément, une mauvaise appréhension des situations amènerait l’individu à « sur-réagir » par des crises de colères ou de frustration ; comme c’est le cas dans

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les troubles déficitaires de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) (Graziano & Garcia, ). Ces données viennent ainsi corroborer l’hypothèse selon laquelle les capacités de compréhension des situations émotionnelles constitueraient une forme de prérequis pour accéder à une régulation adaptée. Par ailleurs, les excès d’empathie sont plus fréquemment associés aux problèmes intériorisés et les déficits, aux problèmes extériorisés et troubles du spectre de l’autisme (Eisenberg et al., ).