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Chronologie dans l’émergence des compétences émotionnelles au cours du développement

Nous venons de le voir, chacune des compétences émotionnelles se développe progressivement, mais pas de manière indépendante (ou en parallèle). Elles relèvent d’un certain nombre de pré-requis et de précurseurs afin qu’elles puissent émerger. Aussi, dans cette partie nous allons tenter de spécifier les relations entretenues entre les différentes compétences sur le plan développemental.

Decety ( ) a élaboré un modèle développemental de l’empathie, qui intègre les compétences émotionnelles comme éléments fondateurs du processus. Selon l’auteur, l’empathie se décline en trois composantes : l’éveil affectif, la compréhension des émotions et la régulation émotionnelle.

L’éveil affectif (« affective arousal ») se réfère à l’aptitude de discriminer les stimuli (plaisant, déplaisant, etc) et produire une réponse concordante. Il fait également référence à la faculté à discriminer les expressions chez autrui. En d’autres termes, l’éveil affectif se réfère à la capacité à exprimer et discriminer les émotions. La compréhension des émotions correspond quant à elle à la

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capacité à prendre en compte et à intérioriser le phénomène émotionnel (utilisation de labels émotionnels). Cela renvoie également au fait d’appréhender à la fois les causes et les conséquences, de prendre en compte le contexte. Cette composante s’appuie sur un processus de représentation mentale et de théorisation du phénomène émotionnel (i.e. « théorisation de l’émotion »), ce qui requiert à la fois une conscience de soi et une prise en compte de l’autre. Enfin la régulation émotionnelle renvoie au fait de contrôler ses émotions de manière à se conformer aux règles et normes sociales de communication (on parle ici principalement d’auto-régulation).

D’après le modèle de Decety, (cf. Figure ci-dessous), l’éveil affectif est une composante présente dès la naissance. Elle englobe plusieurs prérequis nécessaires au développement de la compréhension des émotions, qui s’établit progressivement durant les trois premières années de la vie. Enfin, la maturation de cette compétence (à partir de ans) va motiver le développement de la régulation émotionnelle qui s’opère durant toute l’enfance et l’adolescence. Cette évolution est par ailleurs fonction du développement des fonctions cognitives (langagière, réflexive, exécutives, etc).

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Ce modèle corrobore l’ensemble des données présentées précédemment : l’expression et la discrimination des émotions apparaissent comme un pilier dans la construction et l’élaboration des autres compétences émotionnelles. Cette hypothèse avait également été avancée par le biais de l’hypothèse du feedback expressif (Izard, ) selon laquelle l’expression du visage joue un rôle central dans la régulation émotionnelle. Ainsi, l’expression semble une condition nécessaire pour la mise en place d’auto-régulation des émotions. Même dans le cadre d’hétéro-régulation, l’expression émotionnelle reste au cœur du processus. En effet, si les parents mobilisent une stratégie pour réguler l’émotion de leur enfant, c’est bien parce que ce dernier l’exprime.

De même, de nombreux auteurs soutiennent l’idée que la régulation émotionnelle nécessite une prise de conscience des règles sociales, de la situation, de soi, en d’autres termes une certaine connaissance du phénomène émotionnel et de son impact (Denham et al., ). Aussi, selon Pons, Doudin, Harris et De Rosnay ( ), les compétences de compréhension et de régulation des émotions se réfèrent à la métaémotion, c’est-à-dire à une capacité réflexive et une connaissance consciente du fonctionnement émotionnel. De ce point de vue, la métaémotion requiert une certaine compétence d’identification des émotions d’autrui, mais aussi et surtout de ses propres émotions. Ainsi, la capacité des enfants à utiliser leurs émotions dépend de leur connaissance des émotions. Selon Stegge et Meerum Terwogt ( ), pour que l’enfant accède à une forme aboutie de « théorisation des émotions » (nécessaire pour la régulation émotionnelle), deux niveaux de connaissances sont requis. Premièrement, la compréhension des caractéristiques du phénomène émotionnel et secondement la compréhension que l’activité régulatrice s’exerce sur une ou plusieurs composantes du phénomène émotionnel.

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ENCADRE n°

Précurseurs ou Pré-requis ?

Dans la littérature, ces deux termes sont fréquemment employés de manière interchangeable. Pourtant leur signification est très différente. Par définition, un précurseur est ce qui précède, ce qui est antécédent à quelque chose, tandis qu’un prérequis est une condition qui précède et est nécessaire à l’émergence d’un phénomène.

Dans le cadre d’une approche développementale, il apparait important de faire la distinction entre les deux termes. De manière générale, un précurseur représente un comportement, une capacité ou une compétence dont l’émergence dans le développement précède typiquement celle d’un autre comportement ; mais n’en est pas pour autant indispensable. C’est le cas de la marche à quatre pattes qui précède systématiquement l’acquisition de la marche debout. En revanche elle n’est pas systématique puisque bon nombre d’enfants font l’économie de cette étape pour marcher. A l’inverse, une compétence est un prérequis si elle apparait systématiquement avant une conduite donnée selon un ordre strict et incontournable ; sans quoi ladite conduite ne peut se produire. Dans l’exemple précédent, l’acquisition de la marche requiert avant toute chose que l’enfant soit en mesure de se tenir en position debout (Campbell & Richie, ).

Il est néanmoins difficile, voire un peu simpliste, de déterminer avec certitude si tel ou tel comportement constitue un précurseur ou un prérequis. Il existe bon nombre de situations où l’émergence d’une conduite requiert un ensemble de capacités. Prises individuellement (ou par petit ensemble), ces capacités peuvent être considérées comme nécessaires, mais non suffisantes au développement. De ce point de vue, on ne peut les considérées comme des prérequis. Néanmoins, lorsque l’une d’entre elles, ou un petit ensemble de ces capacités sont altérées ou absentes, le développement de la conduite reste possible, mais présente des atypies. Il est alors difficile de considérer ces capacités comme des simples précurseurs (Nader-Grosbois & Thirion-Marissiaux, b). C’est le cas typiquement de l’acquisition du langage. Beaucoup considèrent certaines capacités de communication non verbales (telles que le pointage ou l’attention conjointe) comme des prérequis à l’acquisition du langage. Or on observe dans différents troubles neurodéveloppementaux (notamment dans les troubles du spectre de l’autisme), que des enfants peuvent développer un langage sans pour autant avoir manifesté avant des comportements de pointage ou d’attention conjointe. Pourtant, ici le terme précurseur reste inadapté puisque l’absence de ces capacités engendre malgré tout des atypies dans le langage.

Cette problématique est particulièrement frappante dans le cas du développement des compétences émotionnelles. Les capacités d’expression, de reconnaissance et de compréhension semblent nécessaires au développement de la régulation des émotions. Or, elles ne semblent pas pour autant suffisantes puisque lorsqu’elles sont altérées, on observe tout de même l’émergence de formes de régulation. D’une certaine manière, ceci amène à reconsidérer l’interdépendance entre les compétences émotionnelles au cours du développement. On constate alors que l’étude du développement atypique des émotions peut apporter un éclairage majeur à cette question.

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. . Relations entre compétences émotionnelles et autres aspects