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L’un des enjeux de cette étude était d’élaborer une batterie d’évaluation des compétences émotionnelles complète. L’analyse de la force des relations entre les tâches permet ainsi d’appuyer ces choix et de pouvoir établir un profil précis des compétences émotionnelles chez les enfants.

Globalement, l’étude des relations entre les tâches au sein d’une même compétence nous montre que les trois tâches du SANAFE sont toutes corrélées positivement entre elles. La dépendance est relativement forte, et indique que les scores sont fortement susceptibles d’évoluer dans le même sens. Concernant les tâches d’expression des émotions, seule une corrélation modérée a été observée entre le score total du BEQ et le score total à la tâche EMOmime. Il y a donc une tendance à ce qu’une forte expressivité soit associée à un bon niveau d’expression volontaire. En revanche l’absence totale de relation significative entre le taux d’expression émotionnelle à la tâche EMOréa et les deux autres tâches semble montrer un manque de consistance dans le protocole à ce niveau. Enfin, aucune relation n’a été montrée non plus entre les deux tâches d’évaluation de la régulation émotionnelle. Ceci pourrait être lié au biais d’observation dans l’analyse du jeu de société. En effet les stratégies annotées sont nécessairement observables, et ce système de codage a pu notamment passer à côté d’un certain nombre de stratégies dites « mentales » ; ce qui pourrait tout à fait compromettre l’éventuelle dépendance avec le questionnaire.

Par ailleurs, il existe un certain nombre de corrélations positives et significatives entre les tâches de différentes compétences. Les résultats sont résumés dans la matrice de corrélation figurant en Annexe (p. ). Pour rappel, la partie supérieure de la figure présente les résultats au test de

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corrélation de Spearman ; la partie inférieure de la figure présente les représentations graphiques de ces corrélations. Sur la diagonale centrale figurent les représentations graphiques de la distribution des variables.

Les analyses révèlent alors que le score d’adaptation générale au PSA est corrélé positivement avec la tâche EMOmime (r = . , p < . ), le niveau en reconnaissance (r = . , p < . ), en compréhension (r = . , p < . ) et avec le questionnaire de régulation ERC (r = . , p < . ). En clair, ces résultats montrent qu’une faible adaptation sociale sera associée à un faible niveau d’expression volontaire, de reconnaissance, de compréhension et dans une certaine mesure de régulation des émotions. Ceci est totalement en adéquation avec la littérature. L’ensemble des compétences émotionnelles sont reliées aux capacités sociales et de régulations des relations inter- personnelles (Denham et al., ; J. J. Gross, ; Herbé et al., ; Izard et al., ; Lindsey & Colwell, ; Nader-Grosbois & Mazzone, ; Pons, Harris, et al., ).

On repère également que l’ensemble des quatre compétences émotionnelles sont corrélées positivement entre elles. Ainsi, la tâche EMOmime est positivement corrélée avec le niveau en reconnaissance (r = . , p < . ), en compréhension (r = . , p < . ) et avec le questionnaire ERC (r = . , p < . ). Le niveau en reconnaissance est aussi positivement corrélé avec le niveau en compréhension (r = . , p < . ) ainsi qu’avec le questionnaire ERC (r = . , p < . ). Enfin, le questionnaire BEQ est également positivement corrélé avec le questionnaire ERC (r = . , p < . ). Ces résultats confirment l’idée que l’ensemble des compétences doivent être prises en compte afin d’établir un profil précis des individus et pouvoir appréhender leur développement.

Nous repérons un cas particulier avec la compétence d’expression émotionnelle. Il se trouve que seule la tâche d’expression volontaire est corrélée avec les autres compétences ainsi qu’avec le PSA. Ces résultats sont dans la lignée des conclusions de Elfenbein et Eisenkraft ( ). Dans leur méta-analyse, les auteurs ont montré que l'association entre l'expression des émotions et la reconnaissance des émotions dépendait de la nature de la tâche expressive. Les résultats montraient une corrélation positive lorsque l'expression était provoquée par une communication intentionnelle, mais une corrélation nulle lorsque les expressions étaient spontanées. Les auteurs ont soutenu que les expressions volontaires reflètent les compétences à utiliser délibérément des comportements non verbaux pour transmettre des informations aux autres. Tandis que les expressions émotionnelles spontanées reflètent les traits de personnalité et ne relèvent pas spécialement d’une compétence.

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En conclusion de cette étude, il existe dans le SPW des déficits marqués dans l’ensemble des compétences émotionnelles, dont la plupart ne s’expliquent pas uniquement par le retard de développement cognitif. On note un cas particulier pour la colère où les écarts entre la population SPW et typique se réduisent concernant la capacité à l’exprimer et la capacité à la comprendre. On ne peut nier cette particularité et s’empêcher de faire un lien avec la forte propension de crises de colère chez les individus avec SPW. Glattard ( ) soulignait le fait que les personnes avec SPW sont manifestement en difficultés pour la reconnaitre, par contre moins pour l’attribuer. L’auteur expliquait cela par le fait que les personnes avec SPW expérimentent cette émotion plus fréquemment (corporellement, sentiment d’injustice) et les amène à être meilleurs à ces niveaux. En revanche ceci ne les amène pas à mieux reconnaitre cette émotion, bien au contraire. Les explications de Glattard ( ) semblent être confirmées par notre étude qui montre que les enfants présentent un niveau équivalent à leur âge développemental concernant l’expression corporelle de la colère. Enfin, cette étude confirme aussi le fait que, malgré leur important déficit, les enfants avec SPW semblent suivre une trajectoire développementale similaire à la population typique, ce qui nous permet d’envisager sur un retard développemental dans les émotions. Ce retard s’établit au-delà du déficit cognitif, et relève d’une spécificité du SPW. On repère néanmoins des atypies dans les expressions faciales spontanées (i.e. expressions confuses) pouvant compromettre la nature des relations inter-personnelles. Ces atypies sont cependant peu susceptibles de venir directement affecter les autres compétences émotionnelles étant donné l’absence de relation avec l’expressivité.

Compte tenu de ces déficits spécifiques, l’étude longitudinale du chapitre aura pour objectif d’évaluer l’effet d’un programme d’intervention thérapeutique centré sur les émotions auprès de ces enfants.

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CHAPITRE 3

ÉTUDE LONGITUDINALE SUR L’EFFET D’UN

PROGRAMME D’INTERVENTION THÉRAPEUTIQUE

CENTRÉ SUR LES ÉMOTIONS AUPRÈS D’ENFANTS

AVEC SPW : LE PROGRAMME EMOT

. INTRODUCTION

L’étude transversale présentée en chapitre révèle que les enfants avec SPW présentent un déficit marqué dans l’ensemble des compétences émotionnelles, et ce, au-delà du retard de développement cognitif. L’établissement des profils développementaux suggère que les enfants suivent néanmoins une trajectoire développementale typique, mais avec un retard important.

Concrètement, ces résultats mettent en avant une immaturité affective dans la population avec SPW même en ce qui concerne les compétences les plus précoces (i.e. expression des émotions). Indéniablement, il y a un retentissement majeur sur la qualité des relations sociales, d’interaction et de communication, et par extension sur l’adaptation générale. En effet, les capacités de régulations s’avèrent être un indicateur majeur des capacités d’adaptation sociale. De même les capacités de compréhension, de reconnaissance et d’expressivité sont cruciales dans l’établissement des interactions sociales, des relations avec les pairs ; elles motivent les échanges coopératifs et empathiques (Denham et al., ; J. J. Gross, ; Izard et al., ; Lindsey & Colwell, ; Pons, Harris, et al., ). On voit alors apparaitre la nécessité de prendre en charge précocement le déficit émotionnel, et ce, sur l’ensemble des compétences. Pourtant, à notre connaissance, aucun programme complet ne semble exister. De plus, la dimension affective semble actuellement très peu prise en charge chez les enfants avec SPW (Glattard, ).

La revue des programmes existants relatifs à la prise en charge des émotions effectuée dans la première partie nous amène à un certain nombre de conclusions. Tout d’abord, il y a une nécessité d’utiliser des contextes écologiques (support dynamique, multimodalité, situations réalistes et interactives) pour prétendre à un transfert des acquisitions sur d’autres domaines de la vie quotidienne. Secondement, il devient fondamental d’avoir une approche intégrative et d’une mise à contribution de l’ensemble des acteurs gravitant autour de l’enfant. Enfin, on constate l’intérêt de considérer les

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compétences comme un processus en perpétuel développement et en étroite dépendance les unes des autres ; un domaine ne peut être ni considéré ni entrainé de manière isolée.

En outre, nous l’avons évoqué à plusieurs reprises dans la première partie de ce manuscrit, les émotions engagent de nombreuses sphères telles que la cognition, le langage, la motricité, la perception. Les capacités dans chacun de ces domaines sont incontestablement corrélées. Ainsi il apparait que les capacités langagières détiennent un rôle dans le développement de la compréhension, de l’expressivité, de l’autorégulation des émotions (Beck et al., ; Fujiki et al., ; Roben et al., ; Vallotton & Ayoub, ). Par ailleurs, les capacités perceptives (visuelles, auditives) et cognitives sont centrales dans l’interprétation des situations émotionnelles et par conséquent dans la compréhension des émotions. Les capacités expressives sont dans une certaine mesure fonction des capacités motrices.

En clair, les difficultés émotionnelles manifestées par les personnes avec SPW concernent de nombreux domaines de prises en charge et peuvent même entraver le travail thérapeutique et de rééducation. Les travaux menés par Glattard ( ) amènent l’auteur à conclure qu’il est dorénavant nécessaire de proposer une prise en charge précoce des habiletés sociales, de la compréhension des situations sociales et des états émotionnels d’autrui dans un objectif de prévention aux troubles du comportement et psychopathologiques. L’auteur souligne également la nécessité d’inclure activement les familles dans les dispositifs de soins et former les thérapeutes. Le programme de prise en charge sur les compétences émotionnelles doit ainsi s’inscrire dans un parcours de soin global. Les thérapeutes semblent actuellement manquer d’outils et de protocoles complets pour traiter la problématique des émotions avec ces enfants. Il convient alors de répondre à ces besoins et de concevoir ces types d’outils afin d’améliorer la qualité des prises en charge et de leur bénéfice sur la vie quotidienne.

L’objectif de cette étude est donc de tester l’effet d’un programme d’intervention thérapeutique englobant l’ensemble des compétences émotionnelles (programme EMOT) auprès des enfants avec SPW. Le programme a été proposé par un des thérapeutes habituels des enfants et s’est établi sur six semaines. L’effet du programme est mesuré sur la base d’une comparaison entre l’évaluation pré-test (cf. étude transversale) et deux évaluations post-tests. Une attention particulière est portée sur l’évolution des compétences émotionnelles au travers des trois évaluations (robustesse) et mise en perspective avec le niveau de référence des enfants au développement typique de l’étude transversale.

Compte tenu de cet objectif, nous faisons l’hypothèse générale selon laquelle le programme EMOT permettra aux enfants qui en ont bénéficié de s’améliorer sur l’ensemble des compétences émotionnelles et ainsi de réduire leur retard de développement dans ces domaines.

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. MÉTHODE

. . Population

La population d’étude est composée de enfants avec SPW10 (sujets identiques à la population

de l’étude transversale) répartis en deux groupes : le groupe expérimental (GE) et le groupe contrôle (GC). La répartition dans les groupes s’est réalisée de manière semi-aléatoire. Le recrutement ayant duré près d’un an et demi et les inclusions étant très dispersées, la répartition a été effectuée de manière à avoir à tout instant un nombre équivalent dans les deux groupes ainsi qu’une proportion semblable de fille et de garçon. Les données descriptives pour chacun des groupes sont présentées dans le Tableau

ci-dessous.

Tableau . Effectifs, âges et niveau socio-affectif des participants selon le groupe

GE GC

Test d’équivalence des groupes (test t de Student) Effectif n (F/G) ( / ) ( / ) n : DEL / DIS (n donnée manquante) / ( ) / ( ) Age chronologique (années ; mois) m (sd) (min-max) ; ( ; ) ( ; – ; ) ; ( ; ) ( ; – ; ) t ( ) = - , ; p= . , ns QI m (sd) (min-max) , ( , ) ( - ) , ( , ) ( - ) t ( ) = - , ; ns Age développemental (années ; mois) m (sd) (min-max) ; ( ; ) ( ; – ; ) ; ( ; ) ( ; – ; ) t ( ) = - , ; ns PSA (Adaptation Générale)

m (sd) (min-max) , ( , ) ( - ) , ( , ) ( - ) t ( ) = , ; ns m : Moyenne ; sd : Écart-Type ns : non significatif

10 Comme indiqué dans le chapitre , la population d’étude était initialement composée de enfants SPW.

Quatre sujets ont été exclus des analyses pour cette étude, du fait de leur incapacité à réaliser la majorité des tâches proposées. Ces cas seront discutés en discussion générale.

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Ainsi le groupe GE est composé de enfants d’âge chronologique moyen de ; ans (étendue de ; ans à ; ans). Le groupe GC est composé de enfants d’âge chronologique moyen de ; ans (étendue de ; ans à ; ans). Les QI moyens dans chacun des groupes sont de et sont donc extrêmement similaires. L’âge développemental moyen du groupe GE est de ; ans (étendue de ; ans à ; ans) et celui du groupe GC est de ; ans (étendue de ; ans à ; ans).

Il apparait que les âges chronologiques ont tendance à différer entre les deux groupes, mais le test t de student indique que cette différence n’est pas significative. Les groupes peuvent ainsi être considérés comme équivalents à ce niveau. Les QI sont quant à eux extrêmement proches entre les deux groupes. Finalement, l’écart des âges développementaux moyen entre les deux groupes est beaucoup plus resserré. La différence n’est pas significative et les groupes peuvent être considérés comme équivalent. En outre, les scores au PSA sont extrêmement proches entre les deux groupes.

En somme, on peut considérer que les deux groupes ont un niveau cognitif et socio-affectif similaire.