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Le déterminisme du sexe et la différenciation testiculaire

Chez les mammifères, la différenciation des gonades dépend du sexe chromosomique. L’existence d’aneuploïdies des chromosomes (chr) sexuels a permis de montrer que quel que soit le nombre de chr X, la présence d’un chr Y induit un morphotype masculin (ex : XXY, syndrome de Klinefelter) (Jacobs et Strong, 1959 ; Welshons et Russel, 1959). La détermination du sexe est donc contrôlée par la présence ou l’absence du chr Y, et il a été émis l’hypothèse que le chr Y portait un facteur déterminant pour la différenciation testiculaire : le TDF (Testis Determining Factor). Dans les années 1990, l’existence de patients présentant des inversions sexuelles a permis sa caractérisation.

I. Caractérisation du déterminant testiculaire

A. Découverte de SRY/Sry

Chez l’Homme, le gène SRY (Sex-determining region of the Y chr) est localisé proche de la région pseudo-autosomale sur le bras court du chr Y. Il a été isolé et caractérisé grâce à l’analyse de fragments du chr Y transloqués sur un des chr X d’hommes 46, XX (Sinclair et al., 1990). La même année, Gubbay et collaborateurs identifiaient Sry chez la souris grâce au clonage de la région déterminant le sexe chez les mutants Sxr (Sex-reversed) (femelles XY) (Gubbay et al., 1990). Deux types d’études ont ensuite permis de démontrer que SRY/Sry était bien le TDF : (i) des mutations de SRY/Sry induisant des inversions sexuelles de type femmes ou femelles XY ont été trouvées dans l’espèce humaine (Berta et al., 1990 ; Harley et al., 1992) et chez la souris (Gubbay et al., 1992) et (ii) chez la souris, la surexpression de Sry dans des embryons XX est suffisante pour induire le développement de testicules et de mâles XX (Koopman et al., 1991). SRY/Sry est donc le seul gène du chr Y nécessaire et suffisant à la différenciation du testicule.

B. Expression de Sry/SRY

SRY est le facteur déterminant du testicule, il spécifie la cellule de Sertoli qui va ensuite orchestrer la morphogenèse de la gonade mâle. Des études réalisées chez la souris montrent que les cellules qui expriment Sry ont pour origine les cellules de l’épithélium cœlomique (Karl et Capel, 1998 ; Albrecht et Eicher, 2001). Chez cette espèce, l’expression de Sry est dynamique, transitoire et restreinte aux précurseurs des cellules de Sertoli pendant la vie fœtale (Koopman et

al., 1990 ; Albrecht et Eicher, 2001). Ainsi, Sry est détecté à partir de 10.5 jpc dans les crêtes génitales juste après leur formation, il marque un pic d’expression à 11.5 jpc et s’éteint à 12.5 jpc

Page | 35 (Koopman et al., 1990). Son expression n’apparait pas de manière homogène dans les crêtes génitales mais elle débute au centre du tissu. Elle s’étend ensuite aux pôles puis décroît, d’abord au centre, au pôle supérieur et enfin au pôle inférieur (Bullejos et Koopman, 2001).

La fenêtre et le niveau d’expression de Sry sont cruciaux pour son rôle de TDF. Une faible expression ou un retard d’expression de Sry dans des gonades XY conduisent au développement d’ovotesticules (Hiramatsu et al., 2009 ; Nagamine et al., 1999 ; Albrecht et al., 2003). Ainsi, la fenêtre d’action de SRY est réduite à environ 6 heures chez la souris, entre 11 et 11.25 jpc (Hiramatsu et al., 2009). L’induction de Sry dans une lignée de souris transgénique au-delà de cette fenêtre n’est plus capable de masculiniser les gonades. Par ailleurs, certaines souris de la souche B6 ne sont pas capables de développer des testicules lorsqu’elles possèdent l’allèle Sry de Mus

domesticus poschiavinus (YPOS) (Eicher et al., 1982). Chez ces souris, les niveaux d’expression de

SryPOS sont plus faibles que l’allèle Sry de la souche d’origine (Albrecht et al., 2003).

De façon remarquable, l’expression de Sry a été décrite dans le testicule adulte de souris (Koopman et al., 1990 ; Rossi et al., 1993). Il s’agit de l’expression d’une forme circulaire du transcrit dans les cellules germinales, à partir d’un promoteur différent de celui utilisé dans les précurseurs des cellules de Sertoli lors de la détermination testiculaire (Dolci et al., 1997). Cette forme particulière est liée à la structure du gène Sry chez la souris qui est flanqué de deux séquences répétées inversées (Capel et al., 1993). Ce transcrit circulaire n’est pas codant mais pourrait être impliqué dans la régulation post-transcriptionnelle de micro-ARN (Hansen et al., 2013).

Chez les autres espèces de mammifères comme l’Homme (Hanley et al., 2000 ; Salas-Cortés

et al., 1999), le porc (Parma et al., 1999), le chien (Meyers-Wallen, 2003), la chèvre (Pannetier et

al., 2006a ; Montazer-Torbati et al., 2010), le mouton (Payen et al., 1996) ou les marsupiaux (Harry

et al., 1995), le profil d’expression de SRY est différent de celui de la souris. Il marque un pic d’expression au moment de la détermination testiculaire mais ne s’éteint pas par la suite et reste exprimé jusqu’à l’âge adulte.

La localisation de la protéine SRY chez ces différentes espèces n’est cependant pas toujours très claire. La faible conservation de la protéine SRY impose le développement d’anticorps spécifiques à chaque espèce. Chez l’Homme, grâce au développement d’un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine SRY humaine, Salas-Cortés et collègues montrent que SRY est exprimée dans le noyau des cellules de Sertoli et des cellules germinales pendant la vie fœtale et après la naissance. A l’âge adulte, son expression est conservée dans le noyau des cellules de Sertoli et des spermatides rondes, suggérant que SRY joue un autre rôle que celui de TDF à d’autres stades du développement et dans les cellules germinales (Salas-Cortés et al., 1999).

Dans l’espèce caprine, notre laboratoire a montré que l’expression de SRY n’est restreinte ni à la période de détermination testiculaire, ni aux précurseurs des cellules de Sertoli (

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Torbati et al., 2010). Au moment de la détermination testiculaire, SRY est exprimée dans le noyau de tous les types cellulaires du testicule. Son expression se restreint ensuite progressivement aux cellules de Sertoli et aux cellules germinales au cours de la vie fœtale. A l’âge adulte, la protéine est encore fortement détectée dans les cellules de Sertoli mais très faiblement dans les spermatogonies souches. Ainsi chez l’homme et le bouc, la protéine SRY est détectée dans plusieurs types cellulaires, alors que dans l’espèce murine son expression est restreinte aux précurseurs des cellules de Sertoli. Ces données soulèvent l’existence de divergences possibles dans les mécanismes impliqués dans la différenciation gonadique entre la souris et les autres mammifères.

C. Structure et conservation de SRY

Le gène SRY est mono-exonique et code pour une protéine de 204 acides aminés chez l’Homme. La protéine peut être divisée en trois régions : la boîte HMG (High mobility group) qui contient par ailleurs deux signaux de localisation nucléaires, et les régions N et C-terminales situées de part et d’autre de la boîte HMG (Clepet et al., 1993 ; Su et Lau, 1993). La boîte HMG confère à SRY la possibilité de lier et de courber l’ADN. Ainsi, des études réalisées in vitro ont montré que SRY est capable de lier une séquence consensus A/TAACAAT/A avec une haute affinité (Harley et al., 1994). SRY donne par ailleurs son nom à une famille de protéines, les protéines SOX (SRY-type HMG box) qui sont caractérisées par un domaine HMG possédant au moins 50% d’homologie avec celui de SRY. Les SOX sont capables de reconnaitre le motif consensus de SRY avec des affinités différentes, le degré d’affinité étant dépendant des séquences adjacentes au motif de liaison (Mertin et al., 1999). Ainsi, des protéines chimériques où le domaine HMG de SRY est remplacé par celui d’une protéine SOX sont capables d’induire une inversion sexuelle chez des souris XX transgéniques (Bergstrom et al., 2000), mais cette compensation nécessite une surexpression importante du transgène.

La fixation de l’ADN par SRY induit par ailleurs une torsion de l’ADN. Ces phénomènes de torsion sont impliqués dans le remodelage de la chromatine, et peuvent par exemple, déplacer un nucléosome pour rendre une séquence génomique accessible à d’autres facteurs de transcription (Ng et al., 1997). Le degré de torsion induit par SRY varie en fonction de la séquence reconnue et des espèces (Giese et al., 1994).

Des mutations affectant le domaine HMG de SRY qui diminue ses capacités de liaison (Harley et al., 1992 ; Pontiggia et al., 1994 ; Schmitt-Ney et al., 1995 ; Tho et al., 1992), ou de torsion de l’ADN (Scherer et al., 1998) représentent la majorité des mutations affectant SRY et sont largement retrouvées chez des femmes XY.

La protéine SRY est très peu conservée chez les différentes espèces de mammifères en dehors du domaine HMG où l’homologie est de l'ordre de 70-80% (Figure 5). L’espèce murine

Figure 5 : Structure et conservation de la protéine SRY chez plusieurs espèces de

mammifères.

En dehors du domaine HMG, les domaines N- et C-terminal sont peu conservés. La protéine de souris se démarque par la quasi-absence de son domaine N-terminal (seulement 3 aa) et par la composition de son domaine C-terminal riche en répétitions glutamines.

La taille de la protéine en acides aminés (aa) est indiquée pour chaque espèce. Les séquences protéiques ont été obtenues à partir à la base de données NCBI. Les domaines HMG ont été bornés grâce à la même base de données (les chiffres indiquent le premier et le dernier aa du domaine), et les différents domaines ont été alignés. Les chiffres représentent le pourcentage d’identité avec la protéine humaine qui sert de référence.

N-terminal HMG C-terminal

Homme 204 aa

59 130

50% 77% 40%

Bouc 240 aa

64 135

46% 83% 42%

Porc 236 aa

61 132

74% 29%

Souris 230 aa

Page | 37 présente la particularité de posséder un domaine riche en résidus glutamine (répétitions CAG) dans sa partie C-terminale. Ce domaine stabilise la protéine et lui confèrerait une activité trans-activatrice intrinsèque (Dubin et Ostrer, 1994 ; Coward et al., 1994 ; Zhao et al., 2014). De façon notable, le faible nombre de répétitions CAG a été corrélé avec la survenue d’inversions sexuelles chez la souris (Coward et al., 1994) et il a été déterminé in vitro un nombre minimal de 3 répétitions CAG nécessaires pour assurer à SRY son rôle de déterminant testiculaire (Chen et al., 2013).

Ce domaine riche en glutamines n’existe pas chez les autres mammifères. Néanmoins, des souris XX transgéniques surexprimant SRY humain (Lovell-Badge et al., 2002) ou caprin (Pannetier

et al., 2006a) subissent une inversion sexuelle bien que le domaine C-terminal soit absent. Ces résultats suggèrent que les protéines SRY humaines et caprines ont conservé cette activité trans-activatrice ; comme elles ne possèdent pas le domaine C-terminal, cette activité pourrait nécessiter le recrutement de co-facteurs.

D. Rôles de SRY

Depuis la découverte de SRY en 1990 et sa caractérisation en tant que facteur de transcription, plusieurs études ont cherché à préciser son rôle, via l’identification de ses cibles ou de ses partenaires.

D1. Un activateur de la cascade génétique testiculaire

En 2004, l’équipe de Robin Lovell-Badge montre que l’expression de SRY est suivie de quelques heures par celle de SOX9 dans les cellules de pré-Sertoli (Sekido et al., 2004). Comme je le présenterai dans le paragraphe III-A1 de ce chapitre, SOX9 est un gène central dans la différenciation testiculaire. En 2008, la même équipe montre que SRY possède plusieurs éléments de fixation dans une région localisée entre 10 et 13 kb en amont du site d’initiation de la transcription de Sox9. Cette région fait 1.4 kb, elle est conservée chez plusieurs espèces de mammifères, dont l’Homme (Sekido et Lovell-Badge, 2008 ; Knower et al., 2011). Ils l’appellent TESCO pour « Testis-specific enhancer core element » et montrent qu’elle est suffisante pour induire l’expression de Sox9. Ainsi SRY en synergie avec SF1, active l’expression de Sox9 au niveau de l’élément TESCO à 11.5 jpc, et ce mécanisme serait à l’origine de la détermination testiculaire (Sekido et Lovell-Badge, 2008)

Par ailleurs, des expériences de ChIP-on-chip ont été réalisées à partir de cellules isolées de gonades murines au cours de la détermination testiculaire afin d’appréhender les cibles de SRY et de SOX9. Les résultats ont été comparés (Li et al., 2014). Les auteurs mettent en évidence plus de 3

Figure 6 : Contrôle génétique de la détermination du sexe chez les mammifères :

l’hypothèse du gène Z (d’après McElreavey et al., 1993 - Proc. Natl. Acad. Sci. USA).

Le gène Z est situé sur un autosome et code pour une protéine capable d’inhiber les gènes spécifiques de la différenciation testiculaire. (A) Chez les mâles XY, SRY réprime l’expression de Z ou l’activité de sa protéine. Les gènes mâles s’expriment et la gonade se différencie en testicule. (B) Chez les femelles XX, l’absence de SRY permet l’expression de Z qui réprime les gènes de la voie mâle. La gonade se différencie en ovaire. (C) Les mâles XX sans SRY possède une mutation homozygote de Z. Les gènes mâles ne sont pas réprimés et la gonade se différencie en testicule. (D) Des femelles XY malgré la

présence de SRY possèderaient une mutation de Z rendant le locus insensible à SRY (Zi). Zi réprime

les gènes mâles et la gonade suit une voie de différenciation femelle.

Mâles XY

Femelles XX