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I. La morphogenèse ovarienne

Tout comme le testicule, l’ovaire possède deux fonctions de reproduction : la gamétogenèse et la stéroïdogenèse. La fonction stéroïdogène est à l’origine de la synthèse d’œstrogènes. Ceux-ci vont agir au sein de l’ovaire pour contrôler la folliculogenèse, mais ils vont aussi réguler la physiologie de plusieurs tissus impliqués dans la fonction de reproduction à l’échelle de l’organisme, comme l’hypophyse ou l’utérus. En parallèle, la fonction de gamétogenèse conduit à la formation d’un ovocyte fécondable. Ces deux fonctions sont réalisées au sein des unités fonctionnelles de l’ovaire, les follicules.

La morphogenèse ovarienne est marquée par deux grandes étapes : l’entrée en méiose des cellules germinales XX et la formation des follicules. En plus de ces deux étapes, il existe notamment chez les ruminants une phase de morphogenèse précoce qui précède l’entrée en méiose des cellules germinales où une organisation typique de l’ovaire apparait. Cette phase de morphogenèse précoce fait l’objet du paragraphe suivant.

A. La morphogenèse précoce de l’ovaire

Chez différentes espèces de mammifères et notamment chez les ruminants, l’ovaire commence à s’organiser dès sa différenciation et avant même l’entrée en méiose des cellules germinales. Cette phase précoce de morphogenèse est marquée par la mise en place de deux zones distinctes au sein de la gonade femelle : le cortex et la médulla. Dans le cortex, les cellules germinales sont majoritaires et prolifèrent activement. Les nids ovigères se forment ainsi en périphérie. Dans la médulla sont présentes essentiellement des cellules somatiques, et notamment des cellules stéroïdogènes qui sont responsables d’une production d’œstrogènes dès la vie fœtale. La phase de morphogenèse précoce dure plusieurs semaines chez la femme, la chèvre et la brebis, alors qu’elle est restreinte à une journée chez la souris (12.5-13.5 jpc) (Figure 12). Par ailleurs, chez la souris, l’ovaire ne possède pas de structure particulière avant l’entrée en méiose des cellules germinales et on parle de blastème indifférencié jusqu’à ce stade (13.5 jpc). Chez cette espèce, aucune production de stéroïdes n’est par ailleurs observée au cours de cette période. Dans ce paragraphe, je décrirai d’abord les caractéristiques de cette phase précoce de morphogenèse : la production de stéroïdes et la formation des nids ovigères. Je présenterai finalement l’existence de plusieurs lignées cellulaires au sein de l’ovaire précoce.

Page | 61 A1. La production de stéroïdes par l’ovaire fœtal

Chez plusieurs espèces de mammifères (ruminants, lapin, Homme), une activité stéroïdogène est détectée dans l’ovaire fœtal dès les premiers stades de son développement (Juengel et al., 2002 ; George et al., 1978 ; George et Wilson, 1978). Le dosage de l’activité enzymatique de l’aromatase (l’enzyme qui convertit les androgènes en œstrogènes) a été réalisé à partir d’ovaires de brebis pendant la vie fœtale. Celle-ci commence dès la différenciation ovarienne (32-35 jpc), est maximale entre 39 et 49 jpc, puis chute vers 55 jpc lorsque la méiose débute (Payen

et al., 1996). CYP19 (le gène codant l’aromatase) suit le même patron d’expression chez la chèvre

(Pannetier et al., 2006b ; Pannetier et al., 2012 – Annexe 1). Chez l’Homme et le lapin, des dosages de l’activité de l’aromatase ont été réalisés dans le milieu de culture d’ovaires fœtaux à différents stades après l’ajout d’un substrat androgénique radiomarqué (George et Wilson, 1978 ; Milewich et

al., 1977). Chez ces deux espèces, les résultats montrent qu’une activité aromatase existe dans l’ovaire fœtal au stade où le testicule commence à produire de la testostérone. Par ailleurs chez le lapin, l’équipe de Jean Wilson réussit à doser les oestrogènes directement dans les ovaires fœtaux ; les auteurs démontrent que l’ovaire et le testicule commencent à produire des stéroïdes sexuels au même stade (George et al., 1978).

Le rôle exact de cette production fœtale d’œstrogènes n’est pas connu. Différentes études suggèrent que les œstrogènes pourraient jouer un rôle dans la prolifération et la survie des cellules germinales. En effet, la production d’œstrogènes coïncide avec une prolifération importante des cellules germinales chez les petits ruminants, une vague d’apoptose des cellules germinales étant observée au moment de la méiose lorsque la synthèse d’œstrogènes diminue à partir de 55 jpc. La production de stéroïdes reprendra ensuite entre 75 et 90 jpc avec la formation des follicules (Juengel et al., 2002).

A2. La formation des nids ovigères

Les nids ovigères se forment entre 38 et 45 jpc chez la brebis (Juengel et al., 2002). Ce sont des structures en cordons qui renferment les cellules germinales en prolifération et des cellules de la pré-granulosa dans une organisation radiale du centre de l’ovaire vers sa périphérie. Les nids ovigères sont isolés des autres types cellulaires de l’ovaire par une membrane basale, sauf au niveau du cortex où ils restent ouverts ce qui permet le recrutement des cellules de la pré-granulosa à partir de l’épithélium de surface ovarien (Juengel et al., 2002 ; Hummitzsch et al., 2013). Les cellules germinales XX entrent en méiose vers 55 jpc, alors qu’elles sont « enfermées » au sein des nids ovigères. La folliculogenèse démarrera vers 80 jpc.

Page | 62 A3. Les différentes lignées somatiques de l’ovaire fœtal

Pendant la phase de morphogenèse précoce, l’ovaire des petits ruminants présente une organisation particulière. Cinq types cellulaires différents peuvent déjà être distingués dans l’ovaire de brebis par microscopie électronique (Juengel et al., 2002) : les cellules germinales, les cellules de la pré-granulosa, les cellules mésenchymateuses (futures cellules du stroma ovarien), les cellules mésothéliales qui comprennent les cellules de l’épithélium de surface, et les cellules endothéliales qui vont former les vaisseaux sanguins.

L’origine des cellules de la granulosa, qui fera l’objet du paragraphe Chap3_I-C3-1, a été établie et est claire chez plusieurs espèces de mammifères comme la brebis, la vache et la souris (Juengel et al., 2002 ; Hummitzsch et al., 2013 ; Albrecht et Eicher, 2001 ; Mork et al., 2012). En ce qui concerne les autres types cellulaires somatiques, il a été montré chez la brebis qu’ils provenaient de la migration de trois types cellulaires du mésonéphros (Zamboni et al., 1979 ;

Juengel et al., 2002) : les cellules mésenchymateuses, les cellules mésengliales et épithéliales du « glomérule géant » situé dans le tiers proximal du mésonéphros, et les cellules épithéliales des tubules du mésonéphros en régression. Dans l’ovaire fœtal bovin, l’utilisation de différents marqueurs cellulaires a permis de démontrer que les cellules venant du mésonéphros sont à l’origine des cellules du compartiment stromal qui est strictement séparé des nids ovigères par la membrane basale. Dans ce stroma se différencieront notamment les cellules endothéliales (Juengel

et al., 2002 ; Hummitzsch et al., 2013) et les cellules de la thèque (Hummitzsch et al., 2013 ; Liu et

al., 2015).

Dans une étude récente, l’équipe de Dagmar Wilhelm montre que l’ovaire fœtal murin possède plusieurs types cellulaires somatiques distincts grâce à l’utilisation de souris transgéniques et de différents marqueurs. Dès 14.5 jpc, les auteurs montrent que l’ovaire possède deux lignées de précurseurs de cellules de la granulosa, l’une positive pour FOXL2, l’autre pour LGR5, et une troisième lignée de cellules positives pour NR2F2 dont la descendance n’est pas établie (Rastetter et al., 2014). Chez la souris, la formation des nids ovigères a lieu vers 16.5 jpc (Appert et al., 1998), donc après l’initiation de la méiose, et la synthèse d’œstrogènes ne démarre qu’après la naissance (Greco et al., 1994).

Ainsi, cette phase de morphogenèse précoce est très différente entre les petits ruminants et la souris, et implique l’existence de divergences dans les mécanismes génétiques de la différenciation ovarienne entre ces modèles.

B. La méiose des cellules germinales

Chez les mammifères, la méiose a lieu pendant la vie fœtale chez les femelles – sauf chez la lapine chez qui la méiose démarre aux alentours de la naissance (Daniel-Carlier et al., 2013) – et à

Page | 63 la puberté chez les mâles. Elle conduit à la formation de gamètes haploïdes, les ovocytes chez les femelles, les spermatozoïdes chez les mâles (Figure 13). Les mécanismes qui régissent la méiose sont très conservés chez les eucaryotes, de la levure à l’Homme.

B1. Les grandes étapes de la division méiotique

Après la réplication de son génome, la cellule germinale mère va subir deux divisions successives (méiose I réductionnelle et méiose II équationnelle), chacune constituée de 4 phases :

- lors de la prophase, le génome se condense et les chromosomes homologues (formés de 2 chromatides sœurs) s’apparient grâce au complexe synaptonémal. Des recombinaisons entre les chromosomes homologues surviennent alors et sont à l’origine du brassage du matériel génétique ; - lors de la métaphase et de l’anaphase, les chromosomes homologues se séparent et chacun migre à un pôle de la cellule via le réseau de microtubules ;

- au cours de la dernière étape, la télophase, les homologues atteignent un pôle de la cellule, l’enveloppe nucléaire se reforme autour de chaque pôle et la cellule mère est alors divisée en deux cellules filles.

Les phases de la méiose II sont similaires à la méiose I mais la prophase II n’est pas précédée d’une réplication du génome. Il faut également noter que les ovocytes restent reliés entre eux par des ponts cytoplasmiques lorsqu’ils sont localisés au sein des nids ovigères. Chez les femelles, la méiose est initiée mais les ovocytes restent bloqués en prophase I jusqu’à la puberté, puis la méiose reprendra peu avant l’ovulation suite au pic des gonadotropines jusqu’en métaphase II. C’est à la fécondation que l’ovocyte terminera finalement la méiose.

B2. Aspects génétiques de l’entrée en méiose

Les cellules germinales XX prolifèrent jusqu’à leur entrée en méiose. Alors qu’elles entrent dans un processus de différenciation, elles perdent l’expression des marqueurs de pluripotence comme OCT4 (Octamer-binding transcription factor 4) et acquièrent celle des marqueurs pré-méiotiques DAZL (Deleted in azoospermia-like) et STRA8 (Stimulated by retinoic acid 8).

Chez la souris, Dazl code pour une protéine de liaison aux ARN. Ce gène est exprimé spécifiquement par les cellules germinales à partir de leur arrivée dans les gonades (Seligman et Page, 1998). Les études fonctionnelles réalisées chez la souris montrent que DAZL est primordial à l’acquisition de la compétence des cellules germinales à initier la méiose. Les souris invalidées pour Dazl sont stériles en raison d’un défaut de différenciation des cellules germinales (Lin et al., 2008 ; Gill et al., 2011). En effet, les cellules germinales des ovaires Dazl-/- restent dans un état indifférencié ; elles maintiennent l’expression des marqueurs de pluripotence (Oct4…) et de

Figure 13 : Chronologie du développement et progression de la méiose de la lignée