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Le coût de l’investissement pour les réseaux 3G

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 83-87)

3. Les sept incertitudes de l’UMTS

3.1. Le coût de l’investissement pour les réseaux 3G

Une première incertitude est relative au coût total de déploiement de la 3G. Le développement d’un tel système nécessite une surface financière importante. Il faut ajouter à cela le prix des licences qui peut avoir de lour- des conséquences sur la structure de l’industrie en Europe.

3.1.1. La nécessité d’infrastructures importantes

En plus des licences, qui représentent au sein de l’Union européenne une charge de près de 134 milliards € pour les opérateurs [1]41, il faut ajou- ter les dépenses d’infrastructures radio en raison de l’incompatibilité techni- que totale entre les réseaux GSM (noyau TDMA) et ceux de l’UMTS (noyau W-CDMA42) et du choix d’une fréquence plus élevée. D’autre part, les obligations43 de couverture géographique et d’aménagement du territoire sont beaucoup plus contraignantes que lors de l’attribution des licences GSM [2]. Des investissements importants devront être réalisés dans de nombreux territoires à faible densité de l’hexagone, actuellement démunis en termes d’infrastructures et de services mobiles. Or, le coût de la couverture margi- nale est très élevé : dans le cas du GSM, des évaluations menées dès 1996 pour le compte de la DATAR Massif Central ont montré que l’unité de compte était le milliard de francs [2]. Des accords d’itinérance nationale afin de passer d’un opérateur à un autre (roaming de complément de cou- verture) et de partage d’infrastructures, suffisamment encadrés pour con- trôler d’éventuelles collusions tarifaires [3], pourraient limiter le montant total des dépenses. Mais cette solution, qui se heurte aux pratiques assez isolées en Europe des opérateurs GSM français [2], n’exclut pas un coût minimal de coordination d’ingénierie des réseaux propriétaires.

41. Pour un détail par pays, cf. 34. 42. Cf. chapitre précédent.

43. Cf. les engagements des opérateurs.

23. Charges d’équipement du réseau UMTS prévues par FTM/Orange

Source: [5]. En milliards d’euros 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0,0 6 5 4 3 2 1 0

Investissements annuels (échelle de gauche) Investissements cumulés (échelle de droite)

Les charges d’équipement sont régulièrement révisées à la hausse, avec une fourchette évoluant, selon les différentes options de mutualisation envisa- gées, de 160 milliards € [1] à 185 milliards € sur 10 ans, soit un montant total de dépenses pour l’UMTS en Europe de plus de 300 milliards € [4]. En France, si FTM respecte ses objectifs d’offre de services et de couverture, ce coût total du réseau 3G serait de l’ordre de 10 milliards € sur la période 2001-2010. 3.1.2. Un prix de licence particulièrement élevé

Pour le simple lancement d’un service 3G, avant même tout objectif ambitieux de couverture, le seul prix des licences 3G constitue en soi un coût d’entrée sans commune mesure avec celui de la 2G, y compris pour les pays ayant procédé à des ventes par appels d’offre pour ces licences (États- Unis en 1999).

Le poids relatif de chaque composante dans le coût total de lancement des réseaux est ainsi inversé. Pour le PCS44 (2G), le coût des licences ne représenterait en moyenne que 40 % du coût total de lancement (contre 60 % pour les équipements de base initiaux), il s’élève à près de 70 % du coût total de lancement d’un service 3G (contre 30 % pour les équipements de base) [6]45. Une première conséquence de ces charges de lancement de la 3G est la dégradation des positions de trésorerie, de façon non homogène selon les opérateurs.

24. Soldes de trésorerie pour neuf opérateurs européens anonymes

En milliards de dollars

44. Personal Communications Service, terme qui désigne l’ensemble des technologies cellu- laires numériques déployées aux États-Unis.

45. Cette inversion est plus nuancée dans le cas, certes atypique, des appels d’offres de janvier 2001 pour les licences de téléphonie mobiles 2G aux États-Unis : le prix moyen des licences se serait établi à 4,08 USD/MHz et par point d’implantation, contre 4,40 USD pour l’UMTS en Allemagne ou au Royaume-Uni (Source : Reuters).

60 50 40 30 70 20 10 0 – 10 – 20 – 30

Coût des licences

Coût des équipements initiaux Besoins (–) / Excédent (+) Disponibilités (DLT + liquidités)

Cette situation pourrait être supportable si elle se limitait au court terme. Malheureusement, le décalage temporel entre, d’une part, les dépenses, concentrées pour moitié sur les deux premières années de vie de la licence, et, d’autre part, les flux de recettes associées au développement effectif du marché, est régulièrement révisé à la hausse. Ainsi, l’ART n’envisageait les premières recettes qu’à partir de 2004 (soit avec deux ans de retard par rapport aux prévisions d’origine), alors qu’il faudra progressivement ajouter les coûts consécutifs aux objectifs de couverture. Le délai de récupération de la mise de fonds initiale est donc régulièrement repoussé à un horizon plus lointain, augmentant de ce fait le risque de l’investissement [8]. Par ailleurs, le seul moyen d’envisager un retour sur investissement positif à long terme réside dans la réalisation de fortes économies d’échelle s’ap- puyant sur une large base d’abonnés. Ce qui rend l’opération d’autant plus dissuasive pour les opérateurs comme pour leurs créanciers [9]. Ceci étant particulièrement vrai pour les nouveaux entrants ou les petits opérateurs.

Dès lors, on peut se demander si le coût d’attribution n’a pas été fixé à un niveau dangereusement élevé dans certains pays. Dès 1998, le Forum UMTS estimait qu’un coût de licence supérieur à 50 USD par habitant dégradait sérieusement la rentabilité de l’investissement 3G [7].

3.1.3. Un endettement général du secteur

Pour faire face à cette contrainte financière, un mécanisme d’endette- ment s’est mis en place, qui a fragilisé le secteur. Dans un premier temps, les opérateurs ont financé ce découvert par endettement massif auprès des banques (près de 60 milliards € pour France Télécom ou Deutsche Telekom) et des marchés financiers.

Il est probable que ces émissions sur les marchés financiers ont d’abord alimenté la hausse des valorisations boursières des opérateurs, en les assi- milant à des « valeurs de croissance ». L’endettement total des opérateurs a ainsi régulièrement augmenté dans un climat de confiance sans doute excessif, avant d’atteindre, pour les seules compagnies européennes de com- munications, près de 325 milliards € [11].

14. Soldes de trésorerie pour 9 opérateurs européens anonymes

Source : D’après Motorola/Chase Manhattan, septembre 2000.

En millions de dollars

Coût des Licences 18,5 24,2 3,3 0,3 22 22 9 16,7 9 Coût des équipements

initiaux 10,2 11,2 1 0,5 10,1 9,1 4,7 6,7 4,6 Disponibilités (DLT + liquidités) 61,7 48,5 10,2 8,5 25,8 9 8,5 6,4 5,1 Besoin (–) / Excédent (+) 33 13,1 5,9 7,7 – 6,3 – 22,1 – 5,2 – 17 – 8,5

Passée cette première phase, l’ampleur de la dette du secteur a enclen- ché un cercle « vicieux » [8]. L’importance de la dette s’est avérée telle que les agences de rating ont modifié à la baisse leurs appréciations sur les opérateurs. Ceci a entraîné une augmentation du coût de la dette, puis du coût du capital. La capacité d’investissement et la rentabilité prévisionnelle de l’UMTS en ont été fortement affectées, ce qui a conduit à l’effondre- ment de la valorisation boursière des opérateurs. Ainsi, France Télécom qui était valorisé à 350 milliards de francs en mars 2000 a vu sa valeur chuter à 130 milliards de francs en mars 2001.

L’endettement des opérateurs s’est logiquement diffusé à d’autres ac- teurs du secteur, en particulier aux fournisseurs en amont [8]. Pour assurer la pérennité de leurs débouchés, les équipementiers se sont en effet substi- tués aux banques, de plus en plus réticentes à financer les opérateurs. Cette pratique, courante dans l’industrie, s’est généralisée à un niveau très élevé : les opérateurs dépendent de crédits fournisseurs accordés par les équipe- mentiers pour près de 150 % des achats prévus.

Cette immobilisation de liquidités peut s’avérer très importante pour les constructeurs. Si le crédit fournisseur accordé par Nokia ne représente que 2 à 4 % de son chiffre d’affaires, il est de 7 à 8 % pour Ericsson et Alcatel et s’élève jusqu’à 27 % pour Lucent46.

Devant l’importance de ces sommes, les équipementiers aussi ont fina- lement été contraints de recourir au crédit bancaire. L’endettement de l’en- semble du secteur télécom a donc régulièrement augmenté : le seul con- cours bancaire mondial était de 22,75 milliards € en 1998, puis 36,18 mil- liards € en 1999 pour atteindre 48,85 milliards € pour les 10 premiers mois de l’année 2000 (cf. Bulletin des Autorités de la Banque de France).

15. Émissions d’obligations en 2000

Source : D’après [10].

Émetteur Montant Février et mars Vodafone 10,5

Mai et juin Deutsche TeleKom 28,4

Mai et septembre KPN 10,9

Septembre Telefonica 6,8

Octobre France Tel 5

Décembre Bristish Tel 11,4

En millions de dollars

46. Le recours au financement par crédit fournisseur était même envisagé par FTM (auprès de Nokia et Alcatel) et SFR (non spécifié) dès le dépôt de leur candidature auprès de l’ART en janvier 2001 [12].

L’ensemble du secteur apparaît donc extrêmement fragilisé en raison de la double situation de dépendance des opérateurs par rapport aux équipe- mentiers.

Il existe deux types de relations qui pourraient entraîner ces derniers dans des difficultés financières [8] :

• un canal direct : la limitation des concours bancaires et des appels aux marchés financiers induit une extrême sensibilité au crédit fournisseurs. Or, ces derniers subissent une baisse de leur chiffre d’affaires qui est la conséquence du report des investissements des opérateurs, ce qui conduit par la suite à une dégradation de leur valorisation boursière (Nokia, Erics- son, Lucent, Alcatel) et donc à une remise en cause de ce financement ;

• un canal indirect : le retour à la rentabilité des opérateurs dépend de la mise à disponibilité de nouveaux produits (en particulier les terminaux) par leurs fournisseurs. Or, ces derniers, immobilisant d’importantes liquidi- tés pour accorder des crédits fournisseurs, doivent contracter leurs budgets de recherche-développement (R&D). Dans le meilleur des cas, ceci con- duit à un report de mise au point des nouveaux produits (Nokia), au pire à une externalisation ou un abandon de la production de certains produits (Alcatel). Sur ce point, les équipementiers japonais disposent d’un avantage décisif dans le nouveau rapport de forces entre industries européennes et japonaise : ils n’ont pas eu à supporter de tels crédits fournisseurs car leurs opérateurs ont bénéficié de la gratuité des licences 3G.

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 83-87)