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La distorsion de concurrence

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 87-90)

3. Les sept incertitudes de l’UMTS

3.2. La distorsion de concurrence

Si la dette de l’ensemble du secteur est globalement très élevée, elle n’est pas supportée de la même façon par tous les opérateurs, ni même par tous les équipementiers. Une explication majeure résulte de l’hétérogénéité des procédures d’attribution des licences. La distorsion est à ce niveau dou- ble : elle concerne le prix des licences et la distinction entre nouveaux et anciens opérateurs.

3.2.1. Des prix de licences différents

Les différences entre les modes d’attribution des licences selon les pays en fonction des différents buts recherchés a constitué une première distor- sion au niveau du support de la dette.

Au Royaume-Uni, en Allemagne et, dans une moindre mesure, en France47, la maximisation de la recette budgétaire issue de la cession des licences 3G semble avoir été l’objectif principal, au détriment de ses consé- quences industrielles et budgétaires au niveau européen. En particulier, la fragilisation financière des compétiteurs sélectionnés dans ces trois pays a

47. Au contraire des recommandations initiales de l’ART, militant pour une quasi-gratuité des licences UMTS.

probablement entravé leurs initiatives ultérieures en Europe [13] ; elle appa- raît aussi ex post comme une des causes principales de l’échec relatif des appels d’offre en Italie et aux Pays-Bas, où le nombre de compétiteurs est devenu égal à celui des licences proposées [14]. Ces risques de fortes va- riations dans l’évaluation du bien à acquérir étaient pourtant bien cernés par la théorie des enchères séquentielles (voir le rapport précité d’Élie Cohen et Michel Mougeot).

La diversité du prix des licences conduira tout d’abord à des distorsions dans l’ouverture et le fonctionnement des services 3G [1], [6]. Parallèle- ment, celle du mode d’attribution traduit le niveau d’implication (minimal dans le cas des appels d’offre) des autorités publiques dans la fixation du prix et la mutualisation du risque de l’investissement. Mais surtout, l’interdé- pendance entre pays européens, révélée à travers celle de la capacité d’in- tervention des opérateurs sur différents marchés, a apparemment été igno- rée. Les différences de prix de licences ont alors contribué à créer une situation de free riding entre pays européens48. Ce fait s’inscrit en totale contradiction avec les objectifs initiaux de création d’un marché unifié et, a

fortiori, au détriment des pays qui avaient explicitement favorisé les indus-

triels et les consommateurs européens, en adoptant une procédure adminis- trée avec de faibles prix de licences.

3.2.2. Des opérateurs avantagés

La seconde distorsion concerne le traitement inégal entre opérateurs selon l’existence a priori d’une clientèle captive. Selon [15], près de 60 % des abonnés envisageraient une migration 2G à 3G auprès du même opéra- teur. Si ce taux de fidélisation était approximativement respecté, les anciens opérateurs issus de la 2G disposeraient indéniablement d’un avantage déci- sif pour la rentabilisation des licences 3G. Mais cet argument n’étaie pas pour autant la thèse selon laquelle la soumission comparative à coût fixe, indépendamment de la part de marché 2G, mettrait surtout en péril les nou- veaux entrants et les petits opérateurs. Pour le vérifier, il faut en effet inté- grer le prix exigé pour la licence :

• pour un prix relativement faible, la soumission comparative apparaît au contraire comme le mode d’attribution le moins discriminatoire ;

• pour un prix relativement élevé de soumission comparative (cas de la France), l’appel d’offre est, en principe, relativement moins discriminatoire. Le compétiteur a en effet toujours la possibilité de se fixer une limite supé- rieure par soumission. Cependant, en pratique, la validité de l’argument est très discutable. Si la licence à attribuer est considérée comme stratégique, les opérateurs disposant d’une forte base de clientèle monopoliseront le pro- cessus d’appel d’offres. Cette configuration s’est notamment vérifiée lors des appels d’offres de janvier 2001 pour les licences 2G aux États-Unis : les petits opérateurs locaux n’ont pu soutenir la concurrence des cinq filiales

48. Un pragmatisme tardif a depuis conduit la majorité d’entre eux à assouplir les conditions de règlement.

des grands opérateurs nationaux (ATT Wireless, Vodafone et Verizon à tra- vers leur filiale commune Verizon Wireless, Sprint PCS, VoiceStream, SBC et Bell South à travers leur filiale Cingular).

Il semblerait donc que ce soit la capacité financière des opérateurs qui crée des inégalités de traitement plutôt que le mode d’attribution des licences.

Le débat sur les inconvénients de la soumission comparative au détri- ment des nouveaux entrants apparaît donc pour une large part mal posé. En fait, les processus d’appels d’offres favorisent certains opérateurs, plus se- lon un critère d’assise financière que d’ancienneté dans l’activité, en leur donnant l’opportunité de limiter à terme la concurrence par la création de barrières à l’entrée. Il reste cependant qu’ancienneté dans l’activité et as- sise financière vont fréquemment de pair dans ce secteur, en raison de la forte fidélisation a priori au bénéfice des opérateurs historiques titulaires d’une licence GSM. Si cet argument est valide, l’attribution quasi-automati- que des licences 3G au Japon aux opérateurs déjà titulaires d’une autorisa- tion 2G, associée à une faible redevance proportionnelle à l’activité, traduit une forte volonté de consolidation de son secteur des télécoms à l’occasion de la 3G, éventuellement au détriment du consommateur. Cette attribution pourrait même s’apparenter à une subvention indirecte, dans la mesure où elle permet à un oligopole de se renforcer.

À l’inverse, la démarche européenne apparaît incohérente. Alors que l’objectif était d’ouvrir le marché à la concurrence, on aurait dû assister à la généralisation de soumissions comparatives avec de faibles prix de licen- ces. Ceci aurait alors permis de soulager les nouveaux entrants de certains handicaps. Au contraire, les prix élevés des licences s’apparentent à une forme de taxation de l’innovation qui s’accommode mal à un soutien actif de l’industrie européenne et d’une maximisation du bien-être social.

3.2.3. Une restructuration du secteur

Une autre conséquence du prix élevé des licences sera certainement une recomposition du secteur.

Il est en effet probable qu’en l’absence de collusion, le coût des licences entraînera des faillites au sein des opérateurs et/ou des équipementiers [6]. Ceci semble évident pour les petits opérateurs qui ont participé aux appels d’offres. Mais il faut probablement généraliser cette conclusion à ceux qui dépendent des financements extérieurs pour leur développement. Alors que les marchés financiers et les concours bancaires semblent taris à court terme pour le secteur, les équipementiers privilégieront pour leur part les clients potentiellement les plus importants à terme.

La dernière modification structurelle du secteur est liée à l’apparition des opérateurs virtuels. Celle-ci va se traduire par un nouveau partage de la valeur ajoutée au sein du secteur au détriment des opérateurs considérés dans leur ensemble.

Au niveau actuel de prévisions de recettes, l’ampleur des déséquilibres financiers, accumulés en raison du coût total de déploiement, et la diminu- tion simultanée de la valeur ajoutée potentielle conduisent inéluctablement à la réduction du nombre d’opérateurs viables en Europe.

Ceci conduit finalement à réinterpréter le nombre accordé de licences 3G, supérieur à celui existant pour le GSM, comme la réponse à trois moti- vations [14] :

• la maximisation des recettes budgétaires ;

• une logique d’ouverture à de nouveaux entrants, conformément aux recommandations ex ante ;

• le possible renouvellement des intérêts des opérateurs GSM nationaux49. En particulier, la viabilité financière à terme des candidats retenus n’ap- paraît être qu’un élément très secondaire de l’attribution des fréquences 3G. Alors que les licences nationales GSM en Europe avaient été attribuées gratuitement, il aura suffit de deux années pour que le nombre d’opérateurs diminue de près de 30 % et que la majorité d’entre eux soit contrôlée par sept grands groupes. Le nombre supérieur et les conditions financières plus astreignantes des licences 3G vont donc probablement accentuer la con- centration dans ce secteur [14]. Pour les opérateurs « survivants », leur capacité financière dictera en grande part leurs orientations stratégiques.

La variable financière devrait maintenant apparaître de manière expli- cite comme une source de perturbation au niveau structurel et qui pèse pour une grande part sur l’avenir incertain de l’UMTS.

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 87-90)