3. Les sept incertitudes de lUMTS
3.6. Lincertitude sur les besoins réels
Létendue des services qui devraient être offerts par la 3G laisse son- geur. On peut légitimement se demander si celle-ci répond à une véritable attente du marché et donc si la demande sera en mesure dabsorber loffre. 3.6.1. Les scénarios dévolution de lARPU
La demande exprimée pour des services 3G est incertaine sur les plans quantitatif et qualitatif. Tout dabord, la divergence des prévisions de taux de pénétration des services 3G au niveau mondial est très importante : elles séchelonnent de 28 %, cas étudié en détail par le Forum UMTS [37], à 70 % selon les analystes et les pays77. Ce taux, égal au nombre dabonne- ments souscrits rapportés à la population, est la première variable qui condi- tionne la recette moyenne anticipée par abonné (ARPU). Sous les hypothè- ses de prix moyens des services retenues dans lanalyse de lUMTS Forum [37], lARPU évolue à lhorizon 2010 dans une fourchette de 20 à 32 dollars, pour un taux de pénétration de 28 à 70 % : (voir graphique suivant)
76. Qui, en septembre 2001, a fusionné avec HP, associé par ailleurs avec NTT pour des applications 4G.
77. En particulier, alors quOvum envisage une pénétration de lUMTS au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, respectivement, de près de 80 % et de 70 % en 2010, Lehman Brothers anticipe au contraire moins de 25 % pour le Royaume-Uni et Goldman Sachs moins de 30 % pour les Pays-Bas.
Les prévisions sur lévolution de lARPU sont en fait mitigées.
Globalement, le Forum UMTS se veut optimiste : en 2010, les revenus générés par lUMTS seraient de 322 milliards USD ; les services hors voix seraient majoritaires dès 2006 et représenteraient 66 % des revenus de la 3G en 2010 ; les revenus publicitaires représenteraient 20 % des revenus totaux. Les opérateurs partagent cette perception du marché et escomptent un accroissement de lARPU de 25 %, grâce au développement des servi- ces de transfert de données et daccès Internet mobile.
Néanmoins, un retour rapide à la rentabilité de lUMTS pour les opéra- teurs européens nécessiterait plutôt un quasi-doublement de la facture moyenne dun abonné GSM et une substitution de la 3G à la 2G (part de marché supérieur à celle de la 2G après 5 ans, puis de 80 % après 10 ans) qui apparaît maintenant excessivement optimiste. En particulier, lintérêt du déploiement dune technologie alternative moins onéreuse, le GPRS, ralen- tirait celui de la 3G.
Surtout, les prévisions dARPU sont régulièrement remises en cause par les analystes en raison de la surestimation des recettes des différents servi- ces : les revenus traditionnels (voix) diminueraient sous leffet du prépayé et sous la pression de la concurrence, en particulier en Europe, et ne se- raient compensés par les revenus des services Internet quà hauteur de 60 %. Pour les plus pessimistes, lARPU européen diminuerait de 15 % entre 2000 et 2005 [38] et ne se stabiliserait quen 201578.
28. Conséquence sur lARPU mondial du déploiement de la 3G
Source : Telecompetition, février 2001, in [37].
78. La même source propose des prévisions de lARPU pour tous les pays européens jusquen 2005. Par souci de synthèse, seules les données les plus récentes, en particulier [40] et [5], sont présentées dans le texte. Le détail chiffré de [38] est cependant disponible en annexe 1.
ARPU mensuel mondial, en dollars
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 35 30 25 20 15 10 5 0 70 % en 3G 28 % en 3G 50 % en 3G 0 % en 3G
La marge dexploitation des opérateurs baisserait à partir de 2003, de- viendrait négative en 2007 et ne redeviendrait positive quen 2013 [38]. LARPU minimal doit satisfaire plusieurs types de contraintes.
Tout dabord, lamortissement du prix des licences supposerait un ARPU déquilibre de lordre de 61 /mois, alors que les prévisions optimistes du Forum UMTS évaluaient lARPU à environ 33,6 /mois. De fait, le cabinet NorthStream estimait, en mai 2001, que lARPU nécessité par les opéra- teurs qui nont pas dû payer leurs licences 3G est inférieur à 70 % de celui requis par ceux qui en ont acquis en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Ensuite, le coût des impératifs de couverture est à relativiser selon la densité de la population. Pour des pays à forte densité comme lAllemagne, lARPU déquilibre pour couvrir 99 % de la population est à peu près équi- valent à celui nécessaire pour en couvrir 80 % de la même population. À linverse, pour les nordiques, lARPU déquilibre représenterait environ 125 % de celui nécessaire en Allemagne. Les opérateurs qui ont acquis des licences en Allemagne, au Royaume-Uni et en France et qui sont par ailleurs globalement les plus engagés sur les 5 grands pays européens doivent donc faire face à la dégradation prévisionnelle de lARPU sur ces mêmes mar- chés : (voir graphique suivant)
Les raisons de la baisse tendancielle de lARPU sont à trouver dans la pratique commerciale des opérateurs et, plus généralement, une inertie de la consommation envers une diffusion de masse effective en labsence de forte baisse des prix. Cela a conduit les opérateurs à reconsidérer leurs stratégies. France Espagne Grèce Belgique Allemagne Pays-Bas Royaume-Uni Portugal Italie Suisse Suède Irlande Finlande Norvège Danemark Luxembourg Autriche 75 % 60 % 45 % 30 % 0 % 15 % Croissance du marché
Révision à la baisse de lARPU
Faible Forte
Source : [39].
3.6.2. Les stratégies commerciales des opérateurs
Dans le cas du GSM, la volonté des opérateurs délargir sans cesse leur base dabonnés sest traduite par de nouveaux modes dabonnement qui conduisent à diminuer le coût dacquisition par abonné, en particulier, les cartes prépayées [21]. Cette stratégie commerciale savère nécessaire, du point de vue des opérateurs historiques européens, pour que les revenus du mobile deviennent proportionnellement significatifs (seuil de 15 % des re- cettes moyennes par usager), alors que limpératif des nouveaux entrants du GSM est lamortissement de leur infrastructure mobile. De fait, face à la saturation du marché de la téléphonie mobile, le pré-paiement est devenu le principal moteur de la croissance du marché mobile européen et, en particu- lier, du marché français : (voir graphiques suivants).
La baisse régulière du prix de vente sur le marché du GSM correspond aux stratégies décrémage discriminant, caractéristiques des structures oligopolistiques soumises simultanément à un choc concurrentiel (de nou- veaux entrants) et à une volonté de diffusion auprès du grand public (le prépayé).
Enfin, louverture progressive à la concurrence internationale et lappa- rition dopérateurs privés sappuyant sur une clientèle exclusivement cons- tituée dentreprises a accéléré la baisse des prix depuis 1998 en Europe et en France, en particulier pour les utilisateurs intensifs.
Contrer la baisse tendancielle de lARPU lors de lintroduction de la 3G sera donc difficile. On assiste en effet à une diminution des revenus traditionnels couplée à une croissance lente et très progressive des nouveaux services.
30. Comparaison des ARPU prévisionnels en France, Europe, moyenne des cinq grands marchés européens
Sources : Rapports de sociétés et Bernstein Research (05/01), in [40], Morgan Stanley
(08/01), in [5].
En euros par mois
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 45 40 35 30 25 20
Ancienne estimation 5 marchés France
Europe
0 30 60 90 120 150 parc postpayé parc prépayé
31. Parcs de mobiles prépayés et postpayés en Europe
Sources : ART, Rapports annuels, Merrill Lynch, Morgan Stanley, Deloitte Consulting
Analysis, in [41].
32. Part du prépayé dans les ventes totales en France
Source : [5]. SFR 50 France Télécom Bouygues Telecom 1997 1995 1996 1998 1999 2000 2001 2002 2003 En % 40 30 20 10 0 1997 1998 1996 1999 2000
Outre les effets de la concurrence (prépayé, pression à la baisse des prix), la volonté délibérée, tant des autorités nationales et communautaires que des équipementiers de favoriser le roaming international se traduira pour tous les opérateurs par la disparition dune rente sur les appels interna- tionaux. Bien que celle-ci ne constitue pas une cible sur le marché des mo- biles, sa disparition demeure préjudiciable aux opérateurs.
Le succès apparent des premiers produits de transition (non vocaux) vers la 3G, en loccurrence le SMS, semble traduire, dans un premier temps, une tentative des usagers pour limiter leur facture au détriment des commu- nications traditionnelles plus onéreuses (motivation évoquée par près des 2/3 de léchantillon dun sondage IPSOS/Kiwee début 2001). Lévolution à moyen terme de lARPU reste ambiguë. Sur le modèle japonais, un redres- sement est envisageable. La diffusion de lI-mode aurait effectivement en- traîné une augmentation de 10 % du nombre dappels vocaux, essentielle- ment de la part des utilisateurs de lInternet mobile après lenvoi dun mes- sage électronique. Inversement, ce service est un succès commercial auprès dune clientèle assez jeune, dotée dun revenu inférieur, ce qui tend à dimi- nuer lARPU. Indépendamment de la clientèle, de nombreuses applications, fixes ou mobiles (voix, vidéo, téléchargement, transfert de données), sus- ceptibles dun transfert sur la 3G, sont soumises à une concurrence techno- logique potentielle (DVD, VHS, CD, TV, câble, satellite, ADSL), ce qui limite les possibilités de hausses des prix.
Les opérateurs espèrent que leur marque deviendra un repère assez fort pour modifier progressivement les habitudes de consommation. Toutefois,
0,25 0,35 0,45 0,55 0,65 0,75
Ponctuel (10mn) Faible (25mn) Moyen (75mn) Intensif (150mn) -40% -35% -30% -25% -20% -15% -10% -5% 0% /mn D prix 1998-1999 France Europe
33. Évolution du prix moyen dune minute de communication selon lutilisateur
une stratégie de marque demande beaucoup de temps et de communication efficace et nécessite une maîtrise de lévolution de paramètres techniques qui ne dépendent pas uniquement des opérateurs (facturation du commerce mobile, ergonomie des terminaux et des sites, sécurité de paiement). 3.6.3. Une offre de services inadaptée
Lexemple du GSM suggère quune diffusion réussie de la 3G sera peut être davantage conditionnée à une couverture suffisante et une offre de produits et de services suffisamment large à des prix concurrentiels. Ceci renvoie à la pertinence de lanalyse qualitative des besoins. Les capacités techniques de lUMTS, qui justifient lampleur de linvestissement, sem- blent surdimensionnées par rapport à la demande exprimée. Les explica- tions sont à rechercher dune part, dans le comportement des usagers et les analyses erronées de la part des opérateurs et des équipementiers.
En fait, les projections ne semblent pas réellement favorables à lémer- gence de la 3G. Actuellement, seuls 2 % des abonnés utilisent de façon régulière les possibilités offertes par les opérateurs ; les succès commer- ciaux effectifs (GSM vocal, Minitel, I-mode) ont un contenu technologique assez faible (le débit actuel de lI-mode79 est comparable à celui du GSM, soit 9,6 kb/s). Une enquête SOFRES, réalisée en France en 2000, révèle que les attentes des usagers concerneraient en priorité la simplicité dutilisa- tion, une tarification attractive (prépayée, forfait illimité, facturation au vo- lume et non au temps de connexion), lutilité et la diversité des services proposés. Les services spécifiques à la 3G, comme laccès à la vidéo ou le commerce mobile, ne semblent pas rencontrer le succès escompté. Ainsi, les usages du type SMS/MMS peuvent se satisfaire dune compression vi- déo en 2G (version améliorée du e-mail), alors que limage (cinéma ou sport) ou lécrit ne se concoivent guère en labsence, respectivement, dun écran large (TV) ou dune imprimante. Pour le MIT Media Labs, le débit de 64 Kb/s du GPRS serait suffisant pour les applications mobiles sollicitées par les consommateurs, compte tenu du coût rédhibitoire de la 3G [42].
NTT procède de fait à la même analyse de fond. Lopérateur estime que les services 3G, proposés au Japon à partir doctobre 2001, ne devraient être adoptés quau plus par 0,25 % de sa clientèle la première année, pour at- teindre 10 % après trois ans (soit 6 millions dabonnés). Cette clientèle se recruterait essentiellement parmi les abonnés des entreprises des grandes villes (Tokyo, Osaka et Nagoya) [43]80. Surtout, les revenus de ces services resteraient marginaux pendant plusieurs années en regard de ceux des com- munications vocales, les réseaux 3G à 384 Kb/s nassurant pas la rentabilité des projets de musique ou de vidéo à la demande.
79. Il ne sera porté à 20 Kb/s (moins que le GPRS) quen 2001, soit bien après sa réussite commerciale.
80. La phase test dun service 3G (FOMA), dont le lancement était prévu le 30 mai 2001, a suscité un très grand intérêt auprès des 20/30 ans (35 % des demandes) et des 30/40 ans (42 % des demandes), soit une population en moyenne sensiblement plus âgée que celle utilisatrice du I-mode.
Parallèlement, les prévisions initiales des opérateurs paraissent en déca- lage avec les enseignements de léchec du WAP et du succès de lI-mode. En ce qui concerne le WAP, le bilan apparent auprès des utilisateurs euro- péens est très négatif : en Finlande, alors que 65 % de la population est équipée en mobile, seuls 1 % des possesseurs utilisent le WAP. Une étude menée par Forrester Research en août 2000 auprès de 9 000 utilisateurs de services WAP en France et en Allemagne révèle que 70 % dentre eux seraient déçus des prestations proposées. Léchec semble patent sous deux aspects dues notamment à des problèmes de réseau :
le modèle de services : services lents, peu nombreux et présélectionnés par lopérateur, accès imposé par le portail de lopérateur, manque dergo- nomie des terminaux (écran trop petit) et des sites (navigation malaisée, con- tenu surchargé), absence de protocole assurant la sécurité des transactions ;
le modèle de tarification : facturation au temps de connexion, alors que laccès aux sites non optimisé est particulièrement lent.
La nouvelle version du WAP (WAP 2), développée par le WAP Forum en compatibilité avec les terminaux Nokia, Ericsson et Motorola, présente des améliorations techniques (nouveau protocole assurant laccès par navi- gateurs PC, meilleure optimisation pour le GPRS) qui résolvent partielle- ment les problèmes du modèle de services, mais ne changent pas fonda- mentalement le modèle de tarification.
Source : Daprès documents Motorola.
UMTS/CDMA2000 6X + 144-384 EDGE/CDMA2000 3X 40-100 GPRS/CDMA2000 1X 30 HSCSD/IS95B 2G Taux de données (Kbps) 9,6 14,4 32 64 128 384 2 000 Applications Performance de l’application
Voie, SMS Email Accès Internet Accès base de données Synchronisation Transfert de document Localisation
Transfert d'image Vidéo basse résolution Vidéo haute résolution
Piètre Raisonnable Excellente
34. Applications GPRS/EDGE/UMTS
Vitesse maximum de transmission Technologie
Inversement, le succès de linternet mobile81, outre des caractéristiques globalement à linverse de celles du WAP, repose aussi sur des spécificités difficilement transposables à la 3G en Europe.
3.6.4. Une réussite conditionnée à des spécificités nationales Tout dabord, lusage du mobile au Japon est favorisé par le prix élevé de la téléphonie fixe (3 à 4 fois plus chère que le mobile conventionnel), au détriment de laccès Internet fixe (par PC), dont la diffusion est bien infé- rieure à celle constatée en Europe et, surtout, aux États-Unis. Cela résulte dune concurrence, entre opérateurs, dordre technologique et dinnovation de service, et non tarifaire (absence de carte prépayée), soutenue par une structure oligopolistique du marché. La contrainte géographique semble per- tinente82. Lachat dun PC dédié à Internet est peu fréquent, en raison du prix de lespace en ville et de celui des PC portables. De plus, une partie importante de la population urbaine utilise les transports collectifs sur de longues distances (consommation instantanée). Laspect sociétal peut être évoqué, avec toutefois une certaine prudence. Les japonais seraient plus enclins à communiquer par mobile (jeux, mangas83, dialogues en direct) pour compenser le formalisme des relations sociales84 et pour satisfaire une forte sensibilité à la technolologie, jusquà lengouement pour le gadget. Enfin, il y a une différence fondamentale dans la démarche commerciale, typique des groupes japonais délectronique grand public, pour laquelle la segmenta- tion vise dabord la création de la base de clientèle la plus large possible.
À la grande différence du WAP, pour lequel se manifeste la volonté des opérateurs den faire une offre de services contrôlée, lI-mode est un ter- minal « propriétaire » avec une offre de services ouverte : laccès est réa- lisé par un portail paramétrable, avec des accès directs aux sites choisis par lutilisateur. Il y a donc véritable adéquation du service proposé à un besoin latent non satisfait.
Les applications futures de la 3G présentées par les équipementiers euro- péens (le mobile comme télécommande universelle pour sidentifier, choisir, sinformer, communiquer, contrôler la domotique) ne correspondent peut être pas à un modèle sociétal européen homogène, au contraire du concept de base du mobile (être potentiellement en communication où que ce soit). Léchec du WAP rappelle la capacité de résistance du consommateur à un modèle de consommation auquel il naspire pas spontanément, quil sagisse de la confidentialité des informations relative à sa personne, de son autono- mie par rapport à son opérateur ou de sa demande en contenu personnalisé (ce qui exclurait a priori lactuelle domination de langlais).
81. La version la plus répandue, lI-mode, ne génère cependant que 10 % du chiffre daffaires de NTT.
82. Elle pourrait tout aussi bien être évoquée dans le cas des pays scandinaves. 83. Mangas : bandes dessinées, dessins animés, déclinés en jeux vidéo.
84. Au crédit de cet argument, lARPU japonais est de 83 , soit plus du double de son équivalent européen. Selon NTT, la composante i-mobile pourrait en représenter 50 % vers 2005.
Une croissance significative de lARPU suppose donc une évolution quantitative et qualitative. Mais il nest pas certain que loffre de produits, potentiellement performants, suffira à la susciter, alors que les moyens de communication ont traditionnellement été détournés de lusage conçu initia- lement par leurs promoteurs.