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L’incertitude technologique

Dans le document Enjeux économiques de l'UMTS (Page 90-95)

3. Les sept incertitudes de l’UMTS

3.3. L’incertitude technologique

Si la dimension financière rend plus incertain l’avenir de l’UMTS, il en va de même pour l’aspect technologique. Le chapitre précédent nous avait permis d’appréhender le caractère complexe de cette technologie. Dans les faits, sa mise en œuvre se révèle effectivement problématique.

3.3.1. Des retards dans le calendrier de l’UMTS

Alors que les licences sont attribuées dans la majorité des pays euro- péens, la technologie UMTS accuse des retards successifs. Les projets des opérateurs les plus dynamiques, Vodafone au Royaume-Uni et NTT DoCoMo au Japon, atteindraient la phase de tests à la fin 2001, alors qu’ils devraient déjà être opérationnels. Vodafone envisage au mieux l’installation de 750 stations UMTS au Royaume-Uni d’ici la fin 2001, au lieu de 1200 initiale- ment planifiées. De même, NTT a repoussé le lancement des services 3G de mai à octobre 2001, en ne mettant à disposition du marché que 20 000 appareils et quelques milliers de téléphones-vidéo à cette dernière date. En

France, FTM annonce l’équipement progressif d’une dizaine de villes, le déploiement de réseaux tests et une éventuelle amorce du service dans le courant de l’année 2002 [16]. La date butoir fixée par l’Union européenne au 1er janvier 2002 apparaît donc beaucoup trop optimiste pour le déploie- ment d’un service UMTS de masse.

Le plus plausible paraît le lancement, dans un premier temps, du GPRS avec les premiers terminaux disponibles à des prix compétitifs fin 2001 pour les modèles à bas débit [16], mi-2002 pour les modèles plein débit et bi- modes GSM/GPRS [18], début 2003 pour les premiers terminaux bi-modes GPRS/EDGE [18]. Sachant que la technologie GPRS est compatible avec l’amortissement de l’essentiel des infrastructures GSM pour un faible coût d’évolution, son retard laisse dubitatif quant à l’UMTS.

La mise à disposition des premiers terminaux UMTS recouvrirait en par- tie celle des terminaux 2,5 et 2,75G : début 2002 pour les terminaux mono- modes [17], dont la fiabilité technique ne serait pas garantie, 2003 pour les premiers terminaux bi-modes GPRS/UMTS avec une technologie maîtrisée [18], 2004 pour les terminaux bi-modes aptes à la visiophonie (service spécifi- quement 3G) et 2005-2007 pour des terminaux fiables à des prix grand public. Une distinction supplémentaire dans la 2,5 et la 3G tient aux utilisations majeures des terminaux selon que l’on utilise majoritairement ou unique- ment la voix, la voix et les données ou majoritairement les données. Il y aura donc une segmentation sur le marché des terminaux selon les usages sollicités. Le graphique suivant décrit le type et la date d’utilisation du terminal en fonction du service utilisé.

25. Disponibilité des terminaux selon le service

Source : Entretiens constructeurs, [16], [17] et [18]. UMTS prototype UMTS Données majoritaires Voix/ Données Voix majoritaire Voix uniquement 2002 T2 T3 T4 2003T 2 T3 T4 2004 GPRS Bas débit GPRS Haut débit UMTS/ GPRS GPRS/ EDGE UMTS GSM/GPRS GSM/ GPRS UMTS/GPRS Haut débit UMTS UMTS GPRS/TDMA /EDGE Revenu/usage

Plusieurs incertitudes conduisent à avancer ces dates avec beaucoup de prudence. Tout d’abord, le délai de mise en service, une fois les terminaux disponibles (offres commerciales, derniers réglages des relais radio), peut atteindre un an [18].

Ensuite, le recouvrement partiel des deux technologies successives, à savoir le GPRS et l’UMTS, pourrait inciter certains opérateurs à attendre la relative maturité de la seconde (vers 2004) pour proposer des offres com- merciales complètes. Ainsi, ils pourraient utiliser la capacité d’achat de leur clientèle potentielle afin de concentrer leurs recettes de trésorerie à l’amor- tissement de l’investissement de l’UMTS. Le GPRS pourrait donc assurer la transition temporelle entre la 2G et la 3G, sous condition de disposer de terminaux bi-modes GSM/GPRS.

3.3.2. La maîtrise technologique des terminaux

Enfin, l’incertitude principale est relative à la maîtrise technologique des terminaux. Dans le cas du GPRS, l’offre des terminaux reste limitée (Erics- son, Motorola, Nokia50), alors que la fiabilité du réseau est relative (Suisse et Allemagne), voire faible (Suède et Royaume-Uni) et les applications peu développées. Ceci contribue au retard d’ouverture du service qui leur serait essentiellement imputable [18]. Dans le cas de l’UMTS, les problèmes rela- tifs aux terminaux se couplent avec ceux du cœur de réseau UMTS (com- posants, protocoles logiciels51). Selon Reuters (21 mai 2001), le retard du projet de l’île de Man serait imputable à une défaillance du logiciel du Radio

Network Controler (RNC), qui ne prendrait pas en charge la continuité de

la connexion lors des changements de cellule (handover) ; NTT évoque de même des problèmes techniques liés à l’instabilité des connexions.

Compte tenu des impératifs techniques (compatibilité GSM/GPRS/ UMTS, reconnaissance vocale, scripturale, visiophonie) et ergonomiques (autonomie, miniaturisation, échauffement, handover) que doivent satisfaire les terminaux, ces derniers apparaissent cependant comme l’ultime con- trainte d’une offre commerciale de services spécifiques 3G.

Le retard dans le déploiement des réseaux 3G est essentiellement impu- table à ses premiers promoteurs, ce qui peut paraître paradoxal en regard de la genèse du projet UMTS en Europe. Ceux-ci semblent avoir largement surestimé leurs capacités et leur autonomie technologiques. En Europe, hor- mis une bonne maîtrise théorique, l’expertise dans le déploiement des systè- mes radio CDMA est inexistante [19].

50. Au CeBit de Hanovre de mars 2001, les nouveaux terminaux compatibles GSM (tri- bandes 900, 1800 et 1900 MHz), Bluetooth, HSCSD (28.8 Kb/s), GPRS (56.6 Kb/s), WAP ont été annoncées pour fin 2001.

51. Les succès mi-septembre 2001 de FTM/Orange, en collaboration avec Alcatel et Fujitsu, concernent des prototypes de systèmes radio, cœurs de réseau et plate-forme de services, mais pas les terminaux. Seule l’ouverture technique du réseau est envisagée à partir de la fin 2002.

Les difficultés technologiques ne se limitent pas au seul développement du logiciel, mais recouvrent surtout le développement des composants élec- troniques adéquats, en particulier des processeurs sans erreur résiduelle de conception. Or, l’extrême technicité de ces produits les expose, par nature, à des défauts d’élaboration52. De plus, le coût de la R&D constitue une barrière à l’entrée très élevée (Panasonic-Matsushita aurait investi 350 mil- lions de dollars sur une période totale de 7 ans). Le délai de mise au point de composants fiables a donc été très largement sous-estimé.

Ces problèmes concernant les terminaux ne sont toutefois pas uniques. L’exploitation des capacités promises par la 3G dépendent fortement de la diffusion du protocole Internet IPv6 (sécurité, configuration automatique de routage et de réseau, nombre quasi-illimité d’adresses), ainsi que de la coor- dination en amont. Selon AziaBizTech, les premiers services d’accès à Internet via le protocole IPv6 seront proposés, comme option de l’accès ADSL53, fin 2001 par NTT au Japon, pour un abonnement mensuel de 20 000 yens environ (166 USD).

3.3.3. L’hétérogénéité du marché de l’UMTS

En l’absence de position monopolistique, la diffusion réussie des services 3G nécessite une fiabilité réelle des services connexes. Un accord sur le débit minimal assuré et désiré par l’ensemble des opérateurs doit donc être trouvé.

A priori, le débit moyen des premiers réseaux UMTS (64 à 144 Kb/s),

bien que supérieur à celui proposé par le GSM, semble plus proche des débits accessibles aux réseaux télécoms avec des modems connectés au PC54 que de ceux initialement annoncés à 2 Mb/s [6]. Les spécifications de la version aboutie de l’UMTS (release’5) sont en cours de réalisation au sein du 3GPP et ne seront achevées qu’au plus tôt en juin 2002 [19]. Il est donc prématuré d’afficher plus d’ambition. Le délai moyen entre la disponi- bilité des normes et celle des produits étant de 2 à 3 ans, la version finale de l’UMTS serait donc proposée au public, hors tout contingentement de ren- tabilité économique, vers 2004-2005.

En supposant ce calendrier respecté, les terminaux des technologies in- termédiaires, en particulier EDGE55, pourraient être marginalisés par les équipementiers en l’absence d’un marché suffisamment large et réservés à des services professionnels. C’est notamment la position défendue par Erics- son. Ce risque relatif à la disponibilité des terminaux pourrait perturber le plan de charges des équipementiers.

52. L’exemple de la technologie spatiale soviétique, comparée à la nord-américaine. 53. Asymmetrical Digital Subscriber Line, technologie utilisant l’installation téléphonique et permettant les connexions à haut-débit.

54. Les modems conformes à la norme V92, dont certains modèles sont disponibles sur le marché français depuis septembre 2001, assurent un débit de 56 Kb/s en réception et jusqu’à 48 Kb/s en envoi.

55. Enhanced Data GSM Environment, version améliorée des services GSM sans fil et qui permet un débit de 384 Kb/s.

Dans un premier temps, l’absence d’offre alternative de terminaux à prix grand public conduirait les opérateurs à opter directement pour l’UMTS. Ceci conduirait à la convergence des commandes de près de cinquante opérateurs aboutissant à un pic d’activité chez les équipementiers. Inverse- ment, après une phase de pénurie de terminaux, sujette à une augmentation artificielle des prix et une discrimination entre opérateurs commanditaires, les équipementiers assisteraient à un effondrement de leur activité dès le premier équipement réalisé. La simultanéité des achats imposée par le ca- lendrier fixé pour le déploiement de la 3G s’avère dangereuse pour la stabi- lité à terme de la structure de marché du secteur (équipementiers et opéra- teurs) et contraire à une rapide diffusion de masse.

Pour faire face à ce problème, l’éclatement de l’apparente homogénéité du marché de la norme UMTS pourrait constituer une réponse implicite du marché. Le haut débit généralisé paraît improbable, en raison du coût de déploiement dans certaines zones. Il conviendra donc d’effectuer des arbi- trages entre les systèmes GPRS, EDGE et UMTS. Mais le marché pourrait être éclaté, d’une part, en raison de l’alternative proposée par les versions japonaises successives de l’Internet mobile (I-mode de NTT, EZWeb de KDDI, J-Sky de J-Phone), d’autre part, par la fausse unicité de l’UMTS.

En dépit de ses limitations qui l’apparente fondamentalement à la 2G, le succès de l’Internet mobile à bas débit (9,6 Kb/s), développé sur un marché protégé, a permis aux opérateurs et aux équipementiers japonais d’acquérir une avance commerciale et technique (économies d’échelle) sur leurs ho- mologues européens. Fort de son expérience domestique, NTT DoCoMo annonçait en septembre 2001 son intention de tripler la vitesse de transfert de l’I-mode (soit 28,8 Kb/s) pour les appareils commercialisés à partir du printemps 2002. Le groupe japonais pourrait introduire cette version de son service en Europe en association avec KPN (via leur filiale commune KPN Mobil), Bouygues Telecom56 ou Telecom Italia Mobile.

Simultanément, la version du W-CDMA que NTT DoCoMo proposerait à ses clients japonais dès octobre 2001 présente un taux de transfert de 384 Kb/s, soit la vitesse minimale de l’UMTS mais sans garantie de totale compatibilité avec la version européenne57 à défaut d’achèvement de la

release’5. De plus, selon l’opérateur, ces réseaux n’assureraient pas de

viabilité aux projets de musique ou de vidéo à la demande, ce qui renforce la confusion des utilisateurs quant à la réalité de la 3G.

Enfin, la Chine, qui comptait 120 millions d’abonnés en avril 2001 [21], a fait valider le TD-SCDMA (variante de l’UMTS) au 3GPP propre à son marché pour soutenir l’industrie nationale.

Malgré une normalisation souhaitée à un niveau global, on constate donc que les différentes versions de l’UMTS contribuent à créer une unicité de l’UMTS en trompe l’œil.

56. Bouygues Telecom a annoncé début septembre 2001 qu’il pourrait adopter la technologie I-

mode, en association avec DoCoMo ou KPN [20]. Bouygues est par ailleurs associé à Telecom

Italia dans la holding BDT, cette dernière détenant 55 % de l’opérateur Bouygues Telecom. 57. J-Phone attendrait par contre juin 2002 pour adopter la même définition de la 3G que les Européens.

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