• Aucun résultat trouvé

L’établissement de conditions de concurrence entre sources d'énergie fossiles et renouvelables qui refléteraient l’ensemble des coûts privés et sociaux ne garantit toutefois pas qu'une dynamique de diffusion des énergies renouvelables cohérente avec l'objectif collectif de préservation de l'environnement local et global pourra se mettre en place. Les énergies renouvelables, confrontées aux barrières classiques à l'entrée de toute nouvelle technologie face aux technologies en place, restent dans une position défavorable. Elles n’ont pas atteint leurs performances optimales en termes de coût et de fiabilité lorsqu'elles sont mises sur le marché. L’action publique peut alors être requise pour supprimer les barrières à l’entrée sur le marché électrique des filières renouvelables dans un premier temps, puis pour leur permettre de progresser sur leurs courbes d’apprentissage dans un second temps.

II.1. Marché électrique, barrières à l’entrée et spécificités des renouvelables

Quel que soit le marché considéré, les firmes en place ont tendance à préférer les technologies établies, conventionnelles. Même si elles sont conscientes des opportunités que sont susceptibles d’offrir de nouvelles technologies, elles peuvent être réticentes à l’adoption de ces dernières pour diverses bonnes raisons de leur point de vue. Elles peuvent notamment considérer que l’apprentissage et les délais associés à celui-ci avant d’obtenir les bénéfices escomptés de l’adoption sont trop incertains ou encore que leurs investissements dans l’apprentissage bénéficient également à leurs concurrents. Elles sont donc plus enclines à choisir des technologies qui ont déjà parcouru une bonne partie de leur courbe d’apprentissage. Cela peut alors se traduire par un cumul des effets d’apprentissage sur une ou plusieurs technologies de telle façon qu’une autre option technologique est évincée dès le

début du processus de la compétition. Cette situation est nommée verrouillage ou « lock-in »

(Foray, 1989) et signifie que ce n’est pas parce qu’une technologie est technologiquement supérieure qu’elle se diffuse et occupe la plus grande partie du marché. En d'autres termes ce n'est pas parce qu'une technologie est efficace qu'elle est adoptée, mais parce qu'elle est adoptée qu'elle deviendra éventuellement efficace (Arthur, 1989).

Une telle inertie est susceptible de caractériser les marchés bien établis basés sur des technologies énergétiques conventionnelles en place depuis de longues années. Tel est le cas des marchés électriques et les raisons de cette situation de verrouillage sont multiples : aux

attitudes enracinées des consommateurs s’ajoutent les fortes dépenses à engager pour tenter de les réorienter ou encore les avantages que retirent les vendeurs existants si leurs technologies sont basées sur des infrastructures coûteuses en capital déjà, ou en partie, rentabilisées. Dans ces conditions, le marché peut être réfractaire ou lent à l’accueil de nouvelles technologies, comme on le constate pour les techniques efficaces (AIE, 2003).

La diffusion des énergies renouvelables se heurte aussi à d'autres barrières spécifiques liées à leurs caractéristiques technico-économiques : leur profil capitalistique, la nécessité de mobiliser des effets de série plutôt que des effets de taille en raison de leurs limites de taille, et, pour certaines, leur défaut de régularité dans la production d’énergie. Les nouveaux acteurs des marchés électriques libéralisés ont tendance à privilégier les technologies les moins capitalistiques et aux apports sûrs, tandis que la culture technologique des entreprises électriques en place les conduit à privilégier les systèmes de grande taille. L'électricité provenant d'énergies renouvelables ne présente donc pas la même valeur pour un participant au marché que, par exemple, une centrale thermique au gaz dont la puissance serait disponible de façon permanente. Dans cette configuration de concurrence entre techniques électriques, il est justifié d'accompagner le processus de maturation des nouvelles technologies énergétiques, dans une perspective d’efficience dynamique qui vise à révéler les performances ultimes de la technologie (Foray, 1996) et à élargir le panier des technologies qui sont mobilisables pour la préservation de l'environnement global.

Il faut donc des cadres incitatifs adaptés pour que les technologies d'énergie renouvelable puissent se diffuser au-delà de niches de marché trop limitées et progresser sur leurs courbes d'apprentissage.

II.2. Courbes d’apprentissage et maturité des filières renouvelables

Les performances ultimes des énergies renouvelables en matière de production d’électricité n’ont pas encore été atteintes et elles se révèleront progressivement par l'effet des processus d'apprentissage par l'usage ou par la pratique (Arrow, 1962 ; Dosi, 1988).

La théorie du « learning by doing » a été énoncée pour la première fois par Arrow en

1962 dans l’optique d’améliorer la compréhension du changement technique (cf. Chapitre 2). Elle décrit un processus de diffusion basé sur l’expérience dans le cadre des modèles

macroéconomiques de croissance. « The crux of diffusion theory is that technology develops through a diffusion process that includes improved efficiency and cost reduction. The observed pattern is often the same. The unit cost decreases concurrently with an increase in the accumulated production. There is a learning effect – the more you produce the better you become to make the technology » (Jensen et al., 2002). Cette idée de l’apprentissage par la

pratique a ensuite été reprise pour la traduire en courbe d’apprentissage ou « learning curve »

afin de décrire la réduction de coût dans une usine (Boston Consulting group, 1968). A l’origine, le terme de courbe d’apprentissage représentait la décroissance du nombre d’heures de travail requis suite à l’accroissement des volumes de production.

Cette notion a ensuite été élargie pour décrire la relation empirique liant les coûts et les capacités de production accumulées. La courbe d’apprentissage (ou « experience curve » « … helps to illustrate the technical progress as a function of the cumulative production. Thereby, the experience curve is estimated by observed historical data » (Jensen et al., 2002), soit, par exemple, 20 à 30% pour chaque doublement de ce volume. Les réductions dans les coûts de production n’ont pas été uniquement attribuées aux effets de la courbe d’apprentissage (c’est à dire à la réduction du nombre d’heure de travail requis), mais aussi à

d’autres facteurs : « cost control, shared experience, improved product design, better choices

about make or buy, improved procurement negotiation and other. » (Aldersey-Williams, 2002).

Figure 3 : Courbe d’apprentissage et maturité de la filière

Source : Alderley-Williams, 2002

Les phénomènes d’apprentissage s’appliquent de plusieurs façons aux filières renouvelables (Jensen et al., 2002) :

€/kWh

taux de décroissance des coûts

seuil de rentabilité prix du marché écart de prix initial courbe d’apprentissage rente unités produites

• lorsqu’une certaine homogénéité du produit permet une amélioration incrémentale de la rentabilité et l’utilisation de moyen de production de masse. Que ce soit la production de panneaux photovoltaïques ou celle d’aérogénérateurs, les deux filières présentent toutes les caractéristiques nécessaires à la production de masse. Aucune spécificité n’apparaît lors de leur installation et la production en série est même recherchée afin de diminuer les coûts puisque. Par contre, l’effet taille joue ici très peu (Antolini et Chartier, 2002). A l’inverse, une filière comme celle du biogaz requiert un design trop différent d’une installation à l’autre pour pouvoir répondre à ce critère.

• lorsqu’existent des conditions de marché stable afin d’obtenir une diffusion continue

du produit et éviter les ruptures dans son déploiement. Cette condition concerne les trois filières renouvelables (photovoltaïque, éolien, biomasse) considérées dans l’étude de Jensen et al. (2002), puisque toutes trois sont sujettes aux variations politiques influençant les niveaux d’aide publique. Toutefois, les auteurs montrent que dans une perspective internationale, l’existence de marchés dynamiques compense celles de marchés stagnants et de politique irrégulière.

Figure 4 : Analyses prévisionnelles des industriels du photovoltaïque

source : EPIA (European Photovoltaic Industry Association), in Ademe, 2003.

Les études montrent que les technologies photovoltaïque et éolienne sont déjà

engagées dans cet apprentissage : « la courbe d’apprentissage du photovoltaïque observée sur

les 30 dernières années montre une diminution du prix de vente de 18% chaque fois que les livraisons de l’industrie mondiale doublent » (Ademe, 2003). En outre, en ce qui concerne l’énergie éolienne, une étude danoise (Hansen et Andersen, 1999) avance une division par 4 des coûts de production en 16 ans. Enfin, l’application de ces courbes à la prévision de

décroissance des coûts de production permet d’obtenir des projections de long terme (cf. Figure 4).

La seconde partie de ce chapitre a donc mis en lumière la justification en terme de changement technique d’une intervention publique pour soutenir le développement des énergies renouvelables. La présence d’une situation de verrouillage technologique du marché électrique, renforcée par la nécessité d’offrir l’opportunité à ces filières de parcourir leurs courbes d’apprentissage et de révéler leurs performances ultimes, requiert de fait une politique gouvernementale afin que, via un effet levier, les fonds publics puissent attirer les fonds privés nécessaires à leur développement.

A travers ce chapitre, nous avons identifié et conceptualisé les deux principaux éléments de justification de l’intervention publique en matière de promotion des énergies renouvelables pour la production d’électricité, et donc les finalités générales de la politique de soutien. D’une part, il s’agit d’intégrer à la valorisation de la production d’électricité à partir de sources renouvelables les composantes externes, c’est-à-dire non prises en compte par le marché, que sont les bénéfices nets issus de cette production : externalités positives (réduction des émissions de gaz à effet de serre, diversification et sécurité d’approvisionnement énergétiques, développement économique) déduites des externalités négatives (intermittence, impacts paysagers et emprise au sol). D’autre part, étant donné l’immaturité économique caractérisant encore aujourd’hui les filières renouvelables, le second pan de l’intervention consiste, dans un premier temps, à supprimer les barrières à l’entrée sur le marché électrique pour ces filières, puis, dans un second temps à leur permettre de progresser sur leurs courbes d’apprentissage.

Notre problématique se situe par conséquent à l’intersection des champs de l’économie de l’environnement et de celle du changement technique et nécessite que nous étudiions à présent plus précisément les interactions les caractérisant.

CHAPITRE 2

POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE