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Comparaison des effets des instruments de politique environnementale sur le changement technique : quelques faits stylisés

POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE ET CHANGEMENT TECHNIQUE

III. Comparaison des effets des instruments de politique environnementale sur le changement technique : quelques faits stylisés

Les économistes soutiennent généralement l'utilisation des instruments économiques

qui permettent de stimuler le changement technique et l'innovation : « continuous incentives

for allocating efforts and financial investments in innovative activities » (Jaffe et Stavins, 1995); cependant, les preuves empiriques de l'efficience dynamique des approches économiques restent peu nombreuses.

Les travaux menés par Ashford et Heaton (Ashford et al., 1979) aux Etats-Unis, comme les études allemandes (Hartje, 1985 ; Hemmelskamp, 1997 ; Klemmer, 1999), par exemple, traitent de l’innovation technique sans tenir compte de l’innovation organisationnelle. Plusieurs tentatives d’étudier l’incitation des firmes à l’innovation dans le cadre du changement climatique sous différents régimes d’instruments ont également été entreprises, mais leur portée pratique est jugée limitée du fait que la réponse technologique ne dépend pas simplement de la pression de la régulation. On peut voir en effet que la non prise en compte des interrelations dynamiques existant entre innovation et régulation explique les limites rencontrées par certaines politiques.

Dans cette section, nous établissons une synthèse des enseignements issus de l’examen des conceptions néoclassique et évolutionniste via la comparaison des effets des politiques environnementales sur le changement technique sur la base de faits stylisés. Pour cela, en nous situant à la convergence ponctuelle des deux courants, nous nous référons à la fois aux éléments d’efficacité dynamique introduits par la théorie néoclassique, et à l’analyse de la dynamique technologique que l’inspiration institutionnaliste de l’économie du changement technique et de l’innovation permet d’intégrer.

a. les subventions

Les subventions à l’investissement en technologies propres affichent des résultats limités en terme d’impact sur les décisions des acteurs. Au Pays-Bas, où cet instrument a largement été utilisé, les études concernant le « Wet Investeringsregeling » (WIR) montrent

ainsi que les subventions à l’investissement (15% des coûts totaux d’investissement) n’ont

incité que 8% des firmes à entreprendre des investissements en technologies propres : « … the

subsidies provided applicants with a windfall gain. It is unclear to what extent they encouraged technological innovation, but given that the subsidies hardly influenced adopter decisions, the innovation effects are likely to be small » (Kemp, 2000). D’autres facteurs d’incitation jouent un rôle plus important que la subvention dans le processus de décision de l’agent. Les firmes innovatrices développent des technologies propres, non pas parce qu’elles peuvent bénéficier d’une subvention, mais parce qu’elles anticipent un marché pour cette nouvelle technologie.

L’incertitude concernant la demande de technologies propres peut cependant requérir l’utilisation de prêts ou subventions à la R&D. Dans ce cas, l’agence responsable de leur mise en œuvre possède la responsabilité de ne pas stimuler des technologies de second rang. L’utilisation des subventions doit de plus être réservée aux technologies environnementales pour lesquels un marché n’existe pas encore (notamment pour les technologies à développement lent comme les énergies renouvelables ou encore celles comportant des problèmes d’appropriation des bénéfices). Enfin, le risque est grand qu’elles procurent une faible incitation effective compte tenu de la présence d’effets d’aubaine.

b. taxes et permis négociables

Les effets des taxes environnementales et des permis sur l’innovation constituent un sujet rarement étudié par une approche évolutionniste. Parmi les avantages que les évolutionnistes soulignent, le danger que les firmes échouent au développement de nouvelles technologies pour des raisons stratégiques est ici faible, puisqu’elles sont constamment incitées à comparer le coût de cette innovation au montant de la taxe ou du permis. De plus, les instruments économiques tendent à stimuler « les solutions intégrées au processus » par rapport aux technologies « end-of-pipe » qui ont été choisies en masse dans un passé même récent pour une adaptation aux normes réglementaire (Kemp, 2000).

Dans le cas des permis négociables, l’existence d’une incitation financière à diminuer la pollution au-delà du quota fixé crée une demande constante d’innovation de la part des agents soumis à l’obligation. De plus, un tel système requiert une moindre information de la

part du régulateur autant sur l’état des technologies que sur les questions économiques, allégeant ainsi les coûts décisionnels (Stewart, 1981).

Le désavantage principal des taxes provient du manque d’information possédée par le décideur public qui l’incite à minimiser le taux de la taxe afin de ne pas entraîner des coûts totaux - coût de la taxe + coût de réduction des émissions - trop élevés à l’industrie. Ce faible niveau auquel elles sont généralement fixées ne préfigure pas de forts impacts sur l’innovation. Ensuite, toujours du fait du contexte d’incertitude des effets politiques environnementales, les réponses en terme de dépollution, et donc d’innovation, ne peuvent être connues a priori. Les études menées à ce sujet tendent à montrer que les incitations par les prix sont plus efficaces pour les modifications de comportement des firmes que pour celles concernant les décisions d’achat des consommateurs. Cet inconvénient s’applique également aux permis.

L’intérêt principal des instruments économiques tient donc dans la liberté qu’ils laissent à l’acteur d’engager ou non un processus innovant selon le coût attribué à la pollution via le prix du permis ou le montant de la taxe et dans l’incitation continuelle qu’ils produisent à dépasser les normes de dépollution imposées et donc à innover. Cependant, ces instruments présentent en fait de meilleurs résultats en terme de diffusion des nouvelles technologies qu’en terme d’innovation proprement dite (Kemp, 1997).

c. les accords volontaires

Cet instrument est politiquement attractif car il offre une grande liberté à l’industrie concernant la méthode et le moment de mise en conformité, ce qui réduit d’autant la charge du régulateur tout en créant une relation plus coopérative entre les pouvoirs publics et les industriels. Cependant, le désavantage principal des accords volontaires réside dans le danger d’une exploitation stratégique des accords par les firmes qui peuvent facilement se comporter en passager clandestin ou sous-exploiter volontairement les opportunités d’innovation. On trouve ici le problème général de l’influence des industries dans le design des politiques

environnementales que les évolutionnistes dénomment « institutional capture of policies by

Tableau 4 : Conclusions sur l’utilisation des instruments de promotion des technologies respectueuses de l’environnement dans différents contextes (Kemp, 1997)

Instrument Caractéristiques générales Utilisation Contexte d’utilisation

Normes technologiques environnementales

-Efficaces dans la majorité des cas (quand elles sont correctement mises en oeuvre)

-Normes uniformes inefficaces quand pollueurs hétérogènes

Diffusion technologique et innovation incrémentale

Quand les différences de coûts marginaux de réduction de la pollution sont petites et que des solutions économiquement viables sont disponibles Normes

« technology-forcing »

-Efficaces (in focusing industry’s minds on environmental problem) -Danger de forcer l’industrie à investir dans des technologies chères et sous optimales

-Problèmes de crédibilité

Innovation technologique

Quand les opportunités technologiques disponibles peuvent être développées à coûts suffisamment bas

Taxes -Efficaces

-Incertitude concernant la réponse de l’industrie

-Danger qu’elles procurent un stimulus trop faible et indirect -Risque de coûts environnementaux élevés pour l’industrie

-Attractivité politique limitée

Diffusion technologique et innovation incrémentale

En cas d’hétérogénéité des pollueurs qui répondent au signal prix quand il différentes technologies procurant des bénéfices environnementaux

Permis échangeables -Efficaces

-Efficacité allocative (les bénéfices environnementaux sont atteints au moindre coût)

Innovation technologique et diffusion

Idem que les taxes Coûts de contrôle et de

transaction ne devraient pas être prohibitivement hauts

Accords volontaires et « conventions technologiques »

-Incertitude concernant le respect des engagements de l’industrie ; doivent être assortis d’une pénalité pour non-respect

Diffusion technologique

Quand les pollueurs sont nombreux et qu’il existe plusieurs solutions technologiques Quand le contrôle de la performance environnementale est coûteux Subventions à la R&D

-Risque de financer des projets de second rang

-Risques d’effets d’aubaine

Innovation technologique

Quand les marchés de

technologies environnementales sont inexistants et quand il y a incertitude sur les politiques futures

En cas de problème

d’appropriation des bénéfices de l’innovation

Subventions à l’investissement

-En conflit avec le principe de pollueur-payeur

-Risques d’effets d’aubaine

Diffusion technologique

Quand l’industrie souffre de désavantage compétitif dû à une réglementation moins stricte dans les autres pays

Communication Aide à attirer l’attention des firmes

et des consommateurs sur les problèmes environnementaux et les solutions disponibles Diffusion technologique Quand il y a un manque de conscience environnementale Quand il y a déficit d’information Government as a match-maker

-Solutions adaptées à des besoins spécifiques

-Requiert la maîtrise des processus

Diffusion technologique et innovation

Quand il y a déficit d’information

Les accords volontaires mis en œuvre dans un objectif environnemental précis présentent ainsi l’inconvénient majeur de reposer la plupart du temps sur des engagements de réduction de pollution via des technologies existantes de la part des entreprises. L’impact en terme d’incitation à innover apparaît très faible, mais peut se révéler plus important pour stimuler la diffusion des innovations.

Leur utilisation dans le futur devrait donc être plus clairement orientée vers la promotion de l’innovation. La mise en place de contrats d’implémentation de changement technique de long terme entre les décideurs publics et les firmes peut constituer un des moyens d’atteindre cet objectif (Banks et Heaton, 1995). Avec ces contrats, l’industrie s’engage dans des objectifs de performance qui requièrent une nouvelle technologie en échange de la mise en application de mesures de flexibilité. Là encore, l’asymétrie d’information concernant ce qui est techniquement possible est en faveur des industriels qui peuvent exploiter cette connaissance dans la définition des contrats.

d. les « technology-forcing » standards

La définition de normes d’innovation environnementales strictes constitue une autre stratégie de promotion du développement de nouvelles technologies. Cependant, elles doivent être réservées aux situations où le risque environnemental est grand et où il existe un consensus concernant la trajectoire ou technologie ayant le plus de chances de réussir. De fait, si un tel consensus n’existe pas, le danger est grand que ces normes bloquent l’industrie dans des solutions techniques sous optimales. Les décideurs politiques doivent ainsi porter une grande attention à la définition de ces normes : leur sévérité, la différenciation, le timing, la flexibilité et la mise en application (Hahn, 1989).

L’exposé des avantages et inconvénients des divers instruments passés en revue ci-dessus mène à la conclusion qu’il n’existe pas un seul meilleur instrument de politique environnemental pour promouvoir le changement technique. Il en découle que ces derniers

doivent être combinés afin de bénéficier d’effets de synergie. « A combination of standards

with economic instruments is particularly useful since it combines effectiveness with efficiency » (Kemp, 1997). Les marchés de permis d’émissions négociables, ou les politiques

basées sur le modèle du CAFE (Corporate Automobile Fuel Economy, US) associant des normes à des objectifs progressifs d’économie de carburant pour les constructeurs automobiles américains de 1979 à 1985 renforcés par une pénalité en cas de non respect, apparaissent donc comme les voies à suivre pour les économistes. Cependant, les apports analytiques et recommandations en termes de politique environnementale incitant à l’innovation dépassent largement le cadre du design des instruments utilisés.

La synthèse des effets des instruments de politique environnementale sur le

changement technique (cf. Tableau 4), obtenue par une comparaison des résultats de leur mise en œuvre sur la base de faits stylisés, constitue donc une source d’enseignements pertinents pour notre recherche concernant l’efficacité des instruments de soutien aux énergies renouvelables. De fait, en s’appuyant sur les apports des deux courants dominants, que sont les théories néoclassique et évolutionniste, elle établit une convergence entre les deux cadres analytiques. Celle-ci nous permet maintenant de définir les critères d’efficacité et de performances des instruments de politique d’environnement centrés sur le changement technique.

IV. Les critères d’efficacité et de performances des instruments de politique