• Aucun résultat trouvé

L’approche du changement technique sous l’effet de la politique environnementale

POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE ET CHANGEMENT TECHNIQUE

II. La contrainte environnementale dans les théories évolutionnistes du changement technique

II.2. L’approche du changement technique sous l’effet de la politique environnementale

Le traitement des choix technologiques des firmes et des processus de diffusion des technologies dans la théorie économique traditionnelle est insuffisant pour les économistes évolutionnistes. En matière d’innovation, le comportement des agents économiques ne résulte pas d’un processus de maximisation, mais de procédures d’adaptation imparfaites et de découvertes aléatoires dans un environnement donné. C’est dans ce cadre d’analyse que s’intègre l’environnement naturel comme un des éléments de sélection aux côtés d’un environnement institutionnel construit dépendant des décisions passées (Freeman, 1992). Cette position conditionne le mode normatif d’appréhension des politiques publiques, et plus particulièrement environnementales.

II.2.1. Les difficultés de l’intervention publique dans les choix technologiques

Face à un processus de compétition technologique, où l’efficience des technologies en compétition est imparfaitement connue, du fait de l’incertitude et d’une information coûteuse ou indisponible pour le moment, toute politique publique intervenant dans les choix technologiques rencontre plusieurs difficultés (David et Foray, 1994) :

- le risque de la « fenêtre étroite » : période courte durant laquelle l’intervention peut se faire sans engendrer d’ « orphelins » (entreprises ayant basé leur développement sur la technologie finalement abandonnée) ;

- le risque du « géant aveugle » : la meilleure période d’intervention se situe en début de processus, au moment où l’information est la plus imparfaite ;

- le risque de « l’orphelin enragé » : les adopteurs précoces d’une technologie finalement non retenue sont pénalisés.

L’existence de rendements croissants d’adoption élevés réduit la fenêtre d’intervention de la puissance publique et accroît les coûts de la maintenir ouverte. Par contre, en accélérant le processus de standardisation technologique, elle réduit le nombre d’orphelins créés. A

l’inverse, si l’incertitude augmente, le décideur public doit intensifier son effort en matière de connaissance des phénomènes afin de découvrir la technologie intrinsèquement supérieure. Il appartient donc à la puissance publique de déterminer le meilleur moment pour passer de la phase d’exploration (apprentissage des mérites respectifs des diverses options) à celle d’exploitation (amélioration des performances économiques de la « meilleure » option) (David et Foray, 1994). Dans ce schéma, en ramenant la préoccupation publique de protection environnementale, la prise en compte de l’incertitude concernant l’impact environnemental futur des technologies en compétition doit conduire les décideurs publics à adopter une politique de maintien de la diversité technologique. Cependant, une telle politique tend à diminuer les performances économiques en réduisant les opportunités d’économies d’échelle, d’externalités de réseau et de réduction des coûts lié à l’apprentissage d’une des technologies. Cette politique entre alors en contradiction avec la nécessité, exprimée par la société, d’une réponse rapide et lisible (Moreau, 1997). C’est à la lumière des ces paradoxes que les économistes évolutionnistes étudient donc l’impact des politiques environnementales sur le changement technique.

II.2.2. Adéquation de la dynamique de changement et de la politique publique

Les économistes évolutionnistes offrent une vision alternative à la politique gouvernementale environnementale en se basant sur les idées issues des études

technologiques dynamiques. Cette vision alternative, baptisée « modulation approach », part

de la conception selon laquelle les points d’entrée des interventions des pouvoirs publics sont les aptitudes, intérêts, interdépendances et interactions des acteurs concernant un problème environnemental et non le problème environnemental lui-même ou la façon dont il peut être résolu via l’utilisation des instruments de politique. Ainsi, si les instruments n’offrent pas de bons résultats en terme d’efficience, c’est parce qu’ils ne correspondent pas au contexte économique et social dans lequel ils sont appliqués. L’incertitude sur les déterminants et les effets des pollutions entraîne certaines catégories d’acteurs à contester le problème environnemental soulevé et/ou les solutions proposées, du fait principalement de l’existence de divergences de conceptions du monde et de valeurs. Il en résulte des luttes incessantes dans un cadre sociotechnique en perpétuelle évolution.

Ces luttes ne sont pas considérées par les évolutionnistes comme un aspect périphérique au problème. Au contraire, ils exercent une influence significative sur le choix et la mise en place pratique des instruments (Hahn, 1989). D’après Majone (Majone, 1976), la performance des instruments politiques dépend plus du cadre institutionnel dans lequel ils

sont utilisés que de leurs caractéristiques techniques : « the actual outcomes of environmental

policies are affected more by the institutional arrangements emerging from the political process than by the technical characteristics of the instruments employed (…). The significant choice is not among abstractly considered policy instruments, but among institutionally determined ways of operating them”.

Les économistes néoclassiques appréhendent l’influence des acteurs sur le mode de fonctionnement des instruments comme un obstacle à l’atteinte de l’objectif de bien-être recherché. A l’inverse, les économistes évolutionnistes préconisent de les prendre en compte comme des éléments incontournables, inhérents au problème, et sur lesquels il convient d’agir

également. « Within a modulation view, the task for government is to modulate the dynamics

of socio-technical change into desirable directions, to ensure that the outcome of interactions – between firms and other actors in market and policy arenas – lead to desirable outcomes from a societal point of view » (Rip et Schot, 1999).

Les économistes évolutionnistes considèrent deux types de politique d’intervention : celles qui tiennent explicitement compte des processus d’apprentissage et d’innovation et celles qui ne le font pas. Les taxes, permis, subventions et autres accords volontaires tombent dans la seconde catégorie puisqu’ils ne s’intéressent qu’indirectement aux phénomènes d’apprentissage et de changement technique. Ils ont tout de même un rôle important à jouer dans la mise en œuvre des politiques environnementales afin de modifier les conditions légales et économiques à partir desquelles les agents prennent leurs décisions. Or, s’ils

peuvent promouvoir une amélioration environnementale (environmental upgrading) à

l’échelle d’un secteur, ce qu’Elzen (Elzen et al., 1996) appelle l’optimisation du système, ils ne sont pas en mesure d’engendrer une transformation du système et des trajectoires de développement existants, qui est pourtant nécessaire à l’atteinte des objectifs de soutenabilité. Les possibilités d’intervention des pouvoirs publics pour créer ce renouvellement complet du système tiennent dans la création d’espaces d’apprentissage des nouvelles technologies, dans

la fixation d’objectifs de long terme ou encore dans l’orientation des investissements privés et publics dans de nouvelles voies.

L’approche alternative qu’il propose requiert donc la mise en œuvre de politiques plus adaptatives et ouvertes aux nouvelles opportunités, ainsi que des décideurs politiques appréhendant les problèmes environnementaux de manière plus globale et participative. La mise en œuvre de politiques visant à promouvoir l’efficience dynamique et le changement technique, en opposition à la recherche d’objectifs environnementaux de court terme, est donc loin d’être une tâche aisée. Les interrelations existant entre l’innovation et la régulation

rendent la gouvernance du changement technique ardue : « it is difficult to design instruments

that to do the job and to do it well – in the sens that society as a whole is better off » (Kemp, 1997).

L’idée générale d’influer sur le changement technique pour préserver l’environnement constitue un autre pilier de cette approche modulée. Les politiques environnementales doivent aller au-delà de la recherche de changement de coûts et de la structure de la demande pour s’intéresser à la stimulation des échanges entre l’industrie et le gouvernement. En d’autres termes, les décideurs politiques adoptent un comportement plus ouvert sur les possibilités de

l’avenir et moins réactif ex post. Parmi les solutions préconisées, la définition et la mise en

œuvre collectives de solutions (game management) consistent à rechercher des solutions

environnementales et à sélectionner la meilleure, par un changement des règles du jeu : augmentation du nombre de participants, allongement de la durée du jeu en cas de résultat insatisfaisant, création de marchés protégés, etc… Selon les situations, les pouvoirs publics agiront alors en « matchmaker » pour rassembler les acteurs sur un problème précis ou en médiateur pour organiser les discussions entre groupes opposés.

Cette approche alternative ne condamne pas pour autant l’utilisation des instruments « traditionnels » de politique environnementale. Ces derniers sont toujours requis pour modifier les conditions du comportement économique et du changement technique.

L’approche présentée ici « helps to identify useful points for intervention and exercise some

leverage and helps to fine-tune policy instruments to the techno-economic and institutional contexts in which they are applied » (Kemp, 2000) (cf. infra).

En conclusion de cette section, il convient de souligner l’importance accordée par les auteurs à la considération du cadre institutionnel et des interactions entre acteurs. Ainsi, l’analyse de l’efficacité dynamique d’un instrument nécessite non seulement une réflexion théorique sur son mode de fonctionnement, mais également la prise en compte du poids des contraintes institutionnelles, politiques et sociales :

« The potential long-run consequences of today’s policy choices create a high priority for broadening and deepening our understanding of the effects of environmental policy on innovation and diffusion of new technology. Unfortunately, these issues cannot be resolved at a purely theoretical level, or on the basis of aggregate empirical analyses. For both benefit-cost and benefit-cost-effectiveness analysis, we need to know the magnitudes of these effects, and these magnitudes are likely to differ across markets, technologies, and institutional settings »

III. Comparaison des effets des instruments de politique environnementale