Nous attaquons maintenant le dernier cas de champ vectoriel libre : m2= 0. On observant les r´esultats obtenus dans la section pr´ec´edente, on constate imm´ediatement que la th´eorie du champ vectoriel devient singuli`ere pour cette valeur particuli`ere du param`etre. Certes, on peut simplement poserm2= 0 dans le Lagrangien
L =−1
4FµνFµν, (4.57)
mais ceci est impossible tant dans l’Hamiltonien que dans les diverses expressions obtenues pour les champs. On est donc oblig´e de reconsid´erer compl`etement la th´eorie.
En bref, on atteindra les conclusions suivantes : dans toutes les expressions ci-dessus, il suffira de remplacerε(k) par|~k|, et d’annuler tous les termes avec un indice de polarisation (3). Si la premi`ere partie de la proc´edure semble logique, la seconde l’est moins, puisqu’on supprime encore un degr´e de libert´e du champ. C’est qu’il apparaˆıt dans le cas non massif une nouvelle sym´etrie : la sym´etrie de jauge. Mais analysons la situation en d´etails.
4.2.1 Th´ eorie classique
L’action associ´ee `a (4.57) produit les ´equations du mouvement
∂µFµν = 0, (4.58)
que l’on peut r´e´ecrire en composantes : (ν= 0) ∂iFi0= 0
⇐⇒ ∂i∂iA0−∂i∂0Ai= 0 ; (4.59)
(ν =j) ∂µFµj = 0
⇐⇒ ∂0∂0Aj+∂i∂iAj−∂0∂jA0−∂i∂jAi= 0. (4.60) D´ecomposons alors le champ vectorielAjen parties transverse et longitudinale2:Aj=∂jφ+A(tr)j. Les ´equations du mouvement deviennent alors :
(4.59) =⇒ − ∇2A0+∂0∇2φ= 0, car ∂iA(tr)i= 0, (4.60) =⇒
∂0∂0A(tr)j+∇2A(tr)j = 0,
∂0∂0∂jφ− ∇2∂jφ−∂0∂jA0+∂j∇2φ = 0. On obtient donc le syst`eme
A0=∂0φ , (4.61)
∂0∂0A(tr)j+∇2A(tr)j = 0, (4.62)
∂0∂0∂jφ−∂j∂0A0= 0. (4.63)
Mais (4.61) et (4.63) ne sont pas ind´ependantes. En effet, (4.63) ⇒ ∂0∂j(∂0φ−A0) = 0, qui est forc´ement satisfaite sachant (4.61). L’ensemble de quatre ´equations pour les quatre champsA0,φ, A(tr)1et A(tr)2 n’est donc pas pr´edicitif pour deux d’entre eux. D’un point de vue math´ematique, on r´esoud le probl`eme en choisissant arbitrairement une fonction φ, dont on d´eduit A0 = ∂0φ et A(l)i = ∂iφ. Il suffira alors de r´esoudre les ´equations dynamiques pour les deux composantes
2On sait d´ej`a de l’analyse pr´ec´edente queA0n’est pas ind´ependant, raison pour laquelle il suffit de d´ecomposer la partie spatiale deAµ.
transverses du champ. D’un point de vue physique, ce choix arbitraire apparaˆıt tout `a fait naturel, puisque le champ φ disparaˆıt totalement du Lagrangien, et que c’est dans cette derni`ere fonction qu’est contenue toute l’information physique. En effet
F0i=∂0Ai−∂iA0=∂0
∂iφ+A(tr)i
−∂i∂0φ=∂0A(tr)i ; (4.64) Fij =∂iAj−∂jAi=∂i
∂jφ+A(tr)j
−∂j
∂iφ+A(tr)i
=∂iA(tr)j −∂jA(tr)i . (4.65) En particulier, les champs physiquement mesurables que sont le champ ´electrique E~ et le champ d’induction B~ ne d´ependent pas de la composante longitudinale φ. On fera donc le choix parti-culi`erement simple :
φ= 0 =⇒ A0= 0, A(l)i = 0, et donc Ai=A(tr)i . (4.66) On vient de montrer de mani`ere tout `a fait p´edestre mais explicite que le champ vectoriel sans masse est un champ purement transverse. En particulier, cela implique qu’il ne lui reste que deux degr´es de libert´e, et non plus trois comme dans le cas du champ massif.
4.2.2 Une nouvelle sym´ etrie : la sym´ etrie de jauge
Montrons que ce qu’on vient d’observer n’est pas une pure co¨ıncidence, mais la cons´equence plus fondamentale d’une nouvelle sym´etrie du Lagrangien. Consid´erons les transformations suivantes :
xµ −→ x0µ=xµ,
Aµ(x) −→ A0µ(x0) =Aµ(x) +∂µα(x). (4.67) On montre facilement que le tenseurFµν est invariant sous cette transformation. Comme∂µ0 =∂µ, on a en effet
Fµν0 (x0) =∂µAν(x) +∂µ∂να(x)−∂νAµ(x)−∂ν∂µα(x) =Fµν(x), (4.68) et donc le Lagrangien et l’action sont invariants par rapport `a ces transformations. Cette invariance est connue sous le nom desym´etrie de jauge. Dans les termes utilis´es dans la section pr´ec´edente, on constate bien que la partie longitudinale peut ˆetre modifi´ee `a volont´e par un choix judicieux de la fonctionα(x). En particulier, on peut ajusterα(x) de sorte `a l’annuler partout : c’est ce qu’on appelle lajauge de Coulomb.
En r´esum´e, nous avons obtenu les conclusions suivantes. Le choix m2 = 0 dans le Lagrangien fait apparaˆıtre cette nouvelle sym´etrie de jauge qui rend la partie longitudinale du champ vectoriel absolument absente des champs physiques. On peut donc arbitrairement la choisir nulle et la th´eorie ne contient donc plus quedeux degr´es de libert´e transverses, i.e. perpendiculaires `a~k.
On verra lorsqu’on traitera l’´electrodynamique quantique que le photon est pr´ecis´ement un champ de ce type. Le fait que le photon soit non massif est donc la cause des seulement deux ´etats de polarisation (bien connus en optique classique), alors mˆeme que le champ est de ‘spin’ 1. C’est pourquoi on parlera en g´en´erald’h´elicit´e, plutˆot que de spin pour les particules sans masse.
On a ainsi r´esolu compl`etement le probl`eme du champ vectoriel sans masse. On peut donc reprendre l’expression (4.25) de l’Hamiltonien, et simplement abandonner les termes longitudinaux.
On peut alors librement poser m2 = 0 pour obtenir l’expression de la densit´e hamiltonienne du champ vectoriel sans masse
H =1 2
Bi(tr)2
+1
4(Fij)2 , (4.69)
qui a d´ej`a ´et´e r´esolu. On peut donc utiliser tous les r´esultats trouv´es pour m2 6= 0, en tracer les parties d´ependantes de l’indice (3), i.e. tous les termes longitudinaux, puis poserm= 0 : on obtient la th´eorie classique puis quantique pour le cas non massif. En particulier :
Aˆµ(x) =
Z d3k (2π)32ε(k)
2
X
n=1
e(n)µ (k)h ˆ
a(n)e−ikx+ ˆa†(n)eikxi
, o`u e(m)i (k)ki= 0. (4.70)
Finalement, Hˆ =
Z d3k
(2π)32ε(k)ε(k)
2
X
n=1
ˆ
a†(n)aˆ(n) et P~ˆ =
Z d3k (2π)32ε(k)
~k
2
X
n=1
ˆ
a†(n)ˆa(n). (4.71) En se r´ef´erant aux ´equations (4.54)-(4.56), on constate finalement que l’h´elicit´e ne peut plus qu’ˆetre soit parall`ele, soit antiparall`ele `a la quantit´e de mouvement, la valeur propre 0 de l’op´erateur de spin ayant ´et´e supprim´ee dans ce cas-ci. Voil`a qui conclut notre discussion du champ vectoriel.
Chapitre 5
Le champ spinoriel
Nous avons jusqu’ici d´ecrit et classifi´e les champs en fonction de leurs propri´et´es par rapport au groupe de Lorentz. Nous avons essentiellement travaill´e avec la repr´esentation directe du groupe de Lorentz sur l’espace de Minkowski, et pu ainsi mettre en ´evidence le champ scalaire, le champ vectoriel, et il serait possible de continuer ainsi avec des champs tensoriels d’ordres sup´erieurs. On verrait en particulier qu’un champ tensoriel d’ordre n sera toujours un champ bosonique de spin entier n. Afin de pouvoir d´ecrire des champs de spin demi-entier, et ceci est essentiel puisque la plupart des particules ´el´ementaires sont des fermions de spin 12, il faut faire appel `a une autre repr´esentation du groupe de Lorentz. On verra dans ce chapitre que la repr´esentation SL(2,C) de L↑+ nous permettra de d´ecrire un nouveau type de champ, le spineur, qui est pr´ecis´ement un champ de spin demi-entier. Nous entamons donc ce chapitre par quelques ´el´ements suppl´ementaires importants concernant le groupe de Lorentz.
5.1 Groupe de Lorentz et SL(2, C )
5.1.1 Repr´ esentation matricielle de l’espace de Minkowski
Nous commen¸cons par montrer que l’espace de Minkowski, i.e. l’ensemble des vecteurs xµ ∈ R4 muni du produit scalaire (x, y) = ηµνxµyν, est isomorphe `a un certain espace de matrices hermitiennes 2×2. En effet, introduisons un ensemble complet de matrices hermitiennes 2×2, les matrices de Pauli :
˜ σ0=
1 0 0 1
, σ˜1=
0 1 1 0
, σ˜2=
0 −i i 0
, σ˜3=
1 0 0 −1
. (5.1)
On montre ais´ement qu’elles forment une base de MH(2,C), l’espace des matrices complexes her-mitiennes 2×2, vu comme R-espace vectoriel. On pourrait aussi consid´erer l’ensemble ´equivalent1
σµ= ˜σ0,−˜σ1,−˜σ2,−˜σ3
. (5.2)
L’espace MH(2,C) est isomorphe `aR4. En effet, M :R4 −→ MH(2,C)
xµ 7−→ C=M(x) =x·˜σ=σµxµ≡
x0+x3 x1−ix2 x1+ix2 x0−x3
1Les conventions de signe et de placement des indices en haut ou en bas varient selon les auteurs.
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est un isomorphisme. Apr`es quelques manipulations, on trouve que l’application inverse est donn´ee par
M−1: MH(2,C) −→ R4
C 7−→ xµ =M−1(C)µ= 1
2Tr (˜σµC) .
En relation avec le groupe de Lorentz, on observe directement de l’expression de la matrice C que l’invariant de Lorentz fondamental, `a savoir le carr´e d’un quadrivecteur est repr´esent´e sur MH(2,C) par un simple d´eterminant :
x·x=xµxµ= detC . (5.3)