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Le Centre de musique baroque de Versailles

Chapitre 1. La mise en place de structures baroques en France

3. Le Centre de musique baroque de Versailles

Après la révélation baroque de Philippe Beaussant devant le clavecin de Dene Barnett en 1965, le romancier et musicologue découvre vraiment (selon ses propres mots dans Vous

avez dit Baroque ?) ce qu’est la « musique baroque » en 1973, en écoutant Jean-Claude

123 Après ces expériences fondatrices, c’est en 1977 que Philippe Beaussant fonde l’Institut de musique et danse anciennes, une des premières institutions de musique baroque en France (mais n’utilisant pas encore le terme « baroque » pour se définir). C’est plus tard, précisément en 1987, que cette structure devient le Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), dont il est le conseiller artistique jusqu’en 1995. Une note du ministère de la culture, datant du 22 juin 1992, précise les objectifs de cette institution :

Le centre de musique baroque de Versailles a été créé en 1987 à l'initiative du ministère de la Culture. Ses vocations sont la recherche, l'enseignement et la diffusion du patrimoine musical français des XVIIe et XVIIIe siècles qui fait partie intégrante de l'histoire de Versailles.159

Cette note montre, là aussi, le rôle important joué par l’Etat dans le développement de la musique baroque. C’est en effet grâce à l’aide du ministère de la Culture que le CMBV est né. Le gouvernement de Mitterrand dans les années 1980, et notamment le ministère de la culture au sein de ce gouvernement, ont permis au phénomène baroqueux de prendre de l’ampleur. Catherine Massip nous a appris dans notre entretien le rôle de Maurice Fleuret, directeur de la musique et de la danse au ministère de la Culture de 1981 à 1986, dans l’installation de la musique baroque en France. Au sein du ministère de Jack Lang, l’aide financière que Fleuret a apporté aux Arts Florissants, mais aussi à d’autres structures, leur a permis de vivre et de se développer dans les années 1980.

Cette politique culturelle s’est appliquée par la suite au CMBV, créé en 1987 quand la musique baroque commençait déjà à être bien implantée en France. D’ailleurs, les Arts Florissants et le CMBV présentent des liens assez forts à cette période, par l’intermédiaire du musicologue et bibliothécaire François Lesure. Ce dernier dirige alors le département de musique de la Bibliothèque nationale de France (BNF), où sont conservés les anciens traités et anciennes partitions dont les musiciens baroqueux ont besoin pour leurs interprétations. En plus de cette activité de bibliothécaire, il a à la fois présidé les Arts Florissants et l’Institut de musique et danse ancienne (ancêtre du CMBV) – il a donc aidé William Christie et Philippe Beaussant dans leur travail de recherche et d’organisation de ces deux structures majeures de la musique baroque. D’ailleurs, si le ministère s’est intéressé aux baroqueux et a financé leurs projets, surtout celui des Arts Florissants, c’est

159 20040043/16. Archives Nationales (désormais AN), Ministère de la Culture, Service national des

124 aussi parce que Maurice Fleuret était ami avec François Lesure, comme nous le dit Catherine Massip.

Il est par ailleurs intéressant de constater dans cette note que le « patrimoine musical français » est mis en avant. C’est aussi la volonté de William Christie avec « Les Arts Florissants ». En parallèle de l’institutionnalisation de la musique baroque, donc, il y a un regain d’intérêt envers la musique baroque spécifiquement française. D’ailleurs, créer une telle institution à Versailles n’a rien d’anodin : cela évoque bien sûr la cour du roi, les ballets, la musique qui y était jouée à l’époque. Il y a donc un retour sur l’histoire française qui est aussi susceptible de séduire un public plus large dans ce pays. Le directeur du Centre, Vincent Berthier de Lioncourt, insiste d’ailleurs sur l’importance de l’histoire de Versailles dans le cadre de l’émergence de la musique baroque en France :

La formation en France et à l'étranger de jeunes musiciens et danseurs à l'interprétation de l'art baroque ont très largement concouru depuis plus de dix ans à transformer le paysage musical français. Ainsi le public mélomane a-t-il pris peu à peu conscience de la richesse extraordinaire du patrimoine musical lyrique et chorégraphique lié à l'histoire du château de Versailles […].160

Le Centre de musique baroque de Versailles devient rapidement une référence en termes de formation baroque. Il parvient à réunir les plus grands musiciens baroques du moment tout en formant des nouveaux interprètes. Voilà donc ce qu’écrit Vincent Berthier de Lioncourt dans la même note :

Les mardis musicaux du château de Versailles » commenceront le mari 4 octobre 1988 et, chaque semaine à 17h30 à la Chapelle Royale jusqu'au mardi 27 juin 1989, seront consacrés à la musique de chambre vocale et instrumentale autour des clavecinistes et des violistes. Y participeront les plus grands interprètes de réputation internationale comme William Christie, Christophe Coin, Jordi Savall, Wieland Kuijken, Blandine Verlet... mais aussi de jeunes chanteurs et instrumentistes appartenant à des ensembles de musique de chambre qui consacrent leur vie professionnelle à l'interprétation de cette musique.161

Faire résonner le baroque musical à Versailles, au moment où il commence à vraiment rayonner en France et à l’étranger. Pour cela, il faut bien sûr créer de nouvelles formations,

160 20040043/16. AN, Vincent Berthier de Lioncourt, Directeur du Centre de Musique Baroque de

Versailles, 1888. Centre de musique baroque de Versailles.

125 par la création prévue, toujours dans la même note, de la Maîtrise Nationale de Versailles pour l’automne 1988. L’ambition est grande :

Dans notre esprit elle doit surtout constituer le fer de lance d'une politique nationale de renouveau des maîtrises sur l'ensemble du territoire français.162

L’idée fondatrice du CMBV est bien d’être un guide de la musique baroque en France ; en proposant un projet à l’échelle nationale. Et ce n’est pas tellement une posture idéaliste : l’aide du ministère, à ce moment, permet en partie de répondre à ces ambitions. Un autre article du Monde du 17 février 1987 montre plus précisément comment les formations sont alors pensées lors de la création du Centre de musique baroque (voir annexe 2).

Ainsi, le Centre de musique baroque de Versailles a été un grand projet d’institutionnalisation de la musique baroque, et avant tout de la musique française baroque, pétrie de symboles. En faisant converger les artistes internationaux en France et en réformant les formations classiques pour construire des futures générations de baroqueux, cet exemple montre bien à quel point la fin des années 1980 est marquée par un rayonnement sans précédent de la musique baroque en France.

Ce rayonnement au niveau national, que s’attachent à montrer les notes que nous avons commentées concernant le CMBV, reste quand même à nuancer, comme on va le voir. Mais il reste important de dresser cet état des lieux : la rupture entre les années 1970 et 1980 est bien plus importante encore que celle entre les années 1960 et 1970 en termes de développement et popularisation réelle de la musique baroque. La multiplication des structures au sein desquelles les baroqueux peuvent s’exprimer avec une certaine visibilité – festivals, ensembles et autres institutions comme l’Atelier Lyrique de Tourcoing, leur permet de s’installer dans le paysage culturel français. Le Centre de musique baroque de Versailles, quant à lui, est fondé à ce moment où la musique baroque a déjà commencé à s’installer, en 1987 – et rappelons qu’il n’a pas non plus été créé ex nihilo : il portait auparavant le nom d’Institut de musique et de danse anciennes, à l’initiative de Philippe Beaussant, ce musicologue ayant découvert l’esprit baroque par le geste et la musique dans

162 20040043/16. AN, id.

126 les années 1960 et 1970, au contact de Dene Barnett puis des organistes et de Jean-Claude Malgoire. Le CMBV porte le projet ambitieux – mais rendu possible, l’institut étant encore aujourd’hui une référence en la matière – de présenter une formation nationale et attractive de musique baroque en France. Les événements qu’il organise ont aussi une prétention internationale, par l’invitation d’artistes étrangers notamment : car le mouvement baroqueux est, rappelons-le, avant tout un phénomène européen. Philippe Beaussant et le CMBV, mais aussi William Christie et les Arts Florissants, avec leurs soutiens indispensables – François Lesure, Maurice Fleuret en première ligne – sont les emblèmes d’une troisième renaissance de la musique baroque, par le biais cette fois de son institutionnalisation.

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