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Chapitre 2. L’effort des maisons de disque

1. L’apparition du microsillon

La diffusion de la musique ancienne en France est permise par le disque microsillon (ou vinyle), qui se développe dans la seconde moitié du XXe siècle. L’histoire de

l’enregistrement de ce répertoire commence bien avant la création du microsillon comme le rappelle Bruno Sebald, notamment avec l’apparition de l’enregistrement électrique dès 192564. Mais le vinyle donne bien un grand coup d’accélérateur à ce phénomène émergent.

Il devient un objet de consommation courant pour les Français : comme le rappelle Vincent Casanova en contextualisant une émission de l’ORTF du 7 avril 1961 sur « L’industrie du disque », 7 millions de disques sont vendus en 1948, et après l’apparition du vinyle en France en 1952 on note une augmentation importante : 18 millions en 1956, 41 millions en 1963 et 100 millions en 1973.

On ne peut pas, en effet, penser le développement de la musique baroque en dehors de son enregistrement et de sa diffusion par le microsillon : paradoxalement, un art ancien qu’on avait oublié depuis deux siècles revient grâce à des moyens techniques alors très modernes. De nombreux disques faisant référence ont vu le jour dans les années 1960, et même parfois avant. Avant même de citer les productions françaises, nous pensons qu’il faut évoquer les travaux de Nikolaus Harnoncourt et de Gustav Leonhardt, deux grands pionniers du renouveau baroque en Europe ayant bien sûr influencé de nombreux artistes, français et autres, à leur suite. Ces deux musiciens, un Autrichien et un Néerlandais, ont permis la redécouverte du répertoire baroque en Europe avec une très grande discographie, comprenant plusieurs centaines de références partagées entre différents labels (Philips,

Harmonia Mundi, Amadeo, Archiv Produktion…).

Il ne s’agit pas de faire un panorama de ces larges productions. Rappelons simplement que dès sa création en 1953, et avec une accélération dans les années 1960, l’ensemble

Concentus Musicus de Harnoncourt a enregistré un bon nombre d’œuvres baroques jouées

avec des instruments anciens. Il a aussi permis de rendre plus populaires quelques compositeurs qui n’étaient pas connus, comme Heinrich Biber et Georg Muffat en 196565.

Mais l’une de ses premières créations utilisant les moyens anciens et déclenchant une

64 Histoire de l'enregistrement de la musique baroque [Images animées] : journée d'étude du 15 juin 2016,

Bibliothèque nationale de France, Paris

49 polémique a été l’enregistrement des Concertos Brandebourgeois de Bach en 196466. Il est

clair que c’est par l’intermédiaire du disque que la vague baroque se propage, tout comme le débat sur les instruments et les moyens qui l’accompagnent.

Gustav Leonhardt a lui aussi commencé cette œuvre très tôt, par exemple avec son enregistrement au clavecin de L’Art de la Fugue de Bach en 195367. En plus de favoriser

la diffusion du répertoire baroque mais aussi de l’interprétation qu’on appellera plus tard « baroqueuse » en Europe, le développement du disque présente aussi d’autres avantages généraux qui changent la manière traditionnelle d’écouter en allant au concert. Dans la revue Harmonie n°66 de septembre 1966, sur un disque reprenant des œuvres de Vivaldi et leur transcription pour orgue par Bach, Pierrette Germain écrit : « Il est passionnant d’écouter successivement les deux versions et de méditer sur les deux hommes et les deux artistes. Le disque, mieux peut-être que le concert, le permet. »68

Contrairement au concert, le disque permet de réécouter autant de fois qu’on le veut des œuvres – et ainsi, peut-être, de les approcher plus profondément ou en tout cas d’une manière différente. Par ailleurs, cela met en place de nouveaux critères, détaillés par les revues de l’époque dans les pages précédant celles des critiques. Dans le périodique

Harmonie, par exemple, une critique de disque prend en compte la qualité de

l’interprétation et des œuvres exécutées, par une vignette affichant une à cinq contrebasses selon l’intérêt ; et une note technique est aussi attribuée au disque, quant à elle concentrée sur l’enregistrement : à savoir, la qualité de la prise de son, la qualité du studio, les qualités électroniques… L’essor du disque microsillon permet donc une nouvelle façon d’écouter et de critiquer la musique, et bien sûr la musique ancienne est aussi concernée par ce phénomène.

En effet, les enregistrements pouvaient présenter entre eux de nombreuses différences, parfois liées au contexte de la prise de son ou aux instruments eux-mêmes, qui engagent une autre façon de penser l’œuvre. Dominique Hausfater le montre à travers l’exemple de l’orgue :

66 Concentus Musicus Wien, Johann Sebastian Bach - Concerts Brandebourgeois N° 2, 5 & 6 (LP),

Telefunken, Das Alte Werk, 1964.

67 Gustav Leonhardt, Johann Sebastian Bach - Art Of Fugue (2xLP, Mono), The Bach Guild, 1953. 68 GERMAIN, Pierrette, Harmonie n°66, 1966, rubrique Musique ancienne, p. 36.

50 La difficulté pour l’enregistrement, c’était les lieux. Il fallait pouvoir enregistrer dans les églises et ce n’était pas toujours très simple, et en plus il y avait des problèmes d’acoustique des églises. En plus des problèmes liés à l’instrument – il y a des bruits mécaniques et tout cela n’était pas forcément facile.69

L’enregistrement présente donc ses propres difficultés, différentes de celles du concert – il implique une autre façon de penser et de faire vivre la musique ancienne. Les difficultés du concert, elles, sont bien résumées par le claveciniste Frédéric Haas ; notamment quand on utilise des instruments anciens assez fragiles (par exemple, un clavecin ancien peut se désaccorder en temps réel...)70. L’enregistrement, quant à lui, permettrait de contourner ces

problèmes liés au direct, par le biais du montage.