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L’interprétation de la musique ancienne dans les années 1960

Chapitre 1. L’état des connaissances sur la musique ancienne en 1960

3. L’interprétation de la musique ancienne dans les années 1960

Dans son livre de 1964, en mettant en avant la question des instruments, du diapason et d’autres encore, Geoffroy-Dechaume fait déjà de l’authenticité un élément primordial ;

59 LAMIA, Gabriel, Fiche type d’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France - Christopher

43 et ce mot sera l’un des plus importants dans la renaissance de la musique baroque et des polémiques l’entourant avec le mouvement baroqueux.

Ce n’est pas pour autant que cette authenticité était vraiment prise en compte dans l’interprétation du répertoire baroque pendant les années 1960 par les spécialistes et les critiques français. Pour cela, les années 1960 sont celles de la redécouverte d’un répertoire (musique ancienne) plutôt que d’une façon de jouer. Dans le Diapason n°68 de 1962, le chroniqueur et musicologue Carl de Nys écrit dans sa critique d’une interprétation des cantiques spirituels de Bach et d'Anna Magdalena :

Margot Guillaume chante avec toute la simplicité mais aussi avec toute la musicalité souhaitables ; Fritz Neumeyer l'accompagne merveilleusement, avec liberté et intuition, sur son beau clavecin Neupert.60

On peut déjà faire une remarque sur les critères du chroniqueur : « liberté et intuition » sont ici synonymes d’une bonne interprétation, mais qu’est-ce que cela veut précisément dire ? Les principes d’interprétation anciens, alors en train d’être dépouillés par les musicologues à cette époque (découvertes et déchiffrages de traités, de partitions…) sont- ils respectés avec ces critères ? En tout cas l’instrument n’est, lui, pas authentique à coup sûr : les clavecins Neupert, modernes, n’avaient que très peu à voir avec ceux que pouvait utiliser Bach. Ils ont d’ailleurs dominé le marché jusque dans les années 1970, période à laquelle l’authenticité est vraiment devenue un critère central dans l’interprétation de la musique baroque.

Malgré tout, la musicologie progresse véritablement dans ces années-là. Dans le Diapason n°64 de 1962, dans sa critique d’un concert de musique française du XVIIIe siècle, Jean

Hamon écrit :

L'exploration du patrimoine musical français le moins connu du XVIIIe siècle se poursuit

méthodiquement en Allemagne, avec au moins autant d'ardeur que chez nous. […] D'une façon générale, ils jouent cette musique « française jusqu'au bout des ongles » avec peut-être un peu trop de sérieux. Mais c'est du travail très bien fait, sur des instruments d'époque, et bénéficiant d'une prise de son remarquable de vérité.61

60 DE NYS, Carl, Diapason n°68, 1962, rubrique Musique sacrée, p. 19

44 On voit bien que le travail de redécouverte de la musique ancienne est en cours, en France comme ailleurs, à cette époque, dans un souci historique : on cherche la « vérité », et plus précisément la vérité historique de cette musique. Cela dit, le strict respect de ce travail, de ces recherches musicologiques peut encore donner aux observateurs cette impression de « trop sérieux » à l’époque. « Intuition et liberté », pour reprendre les mots de Carl de Nys cités ci-dessus, concurrencent déjà dans les esprits deux autres mots qui sont encore assez liés, « authenticité et sérieux ».

Voilà ce que cherche à faire cette musicologie avenante dans les années 1960 : trouver l’authenticité, par plusieurs moyens. L’un d’entre eux concerne les effectifs orchestraux et de chœurs. Ces derniers étaient généralement beaucoup moins importants à la période baroque qu’à la période romantique. Les interprétations de musiques anciennes héritées du XIXe siècle se faisaient à la manière romantique, avec des très grands orchestres ou chœurs,

jusque dans les années 1960. On voit le changement dans cet extrait d’une critique de Carl de Nys dans le Diapason n°63 de 1962, sur une interprétation de la messe « Ad majorem dei gloriam » d'André Campra : « [...] Il semble aussi qu'il s'agisse ici d'une partition destinée à un petit groupe de chantres solistes et qui ne gagne pas à être confié à l'ensemble d'une maîtrise. »62

La vérité historique de l’œuvre est ici non plus seulement saluée, mais plutôt exigée. Toutefois, dans les faits – c’est-à-dire dans la production musicale elle-même –, ce mouvement d’authenticité reste assez réduit en France, où les interprétations sur instruments anciens, avec un diapason accordé à l’époque ou avec des effectifs réduits sont encore bien rares dans les années 1960. Les interprétations « modernes », notamment représentées par la figure du chef d’orchestre Jean-François Paillard, connaissent alors un succès presque unanime. Même si elle n’est pas encore bien prise en compte en France, c’est en tout cas avec cette musicologie en progrès, avec ce nouveau vent de l’authenticité qui souffle sur le répertoire ancien que les baroqueux comme Jean-Claude Malgoire vont rentrer en contact à la charnière des années 1970.

45 La musique baroque émerge progressivement en France depuis le début du XXe

siècle et les efforts faits autour de la Schola Cantorum notamment. Mais c’est véritablement à partir des années 1960 qu’un tournant s’opère : une nouvelle génération de musicologues, ayant appris de leurs maîtres, mettent au point un ensemble de savoirs sur le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles, ainsi que sur l’interprétation de ces œuvres anciennes. Avant cette

décennie, les redécouvertes étaient faites de manière plus disparate, avec des périodes de creux (notamment pendant les guerres mondiales). À partir de 1960, en revanche, trois décennies marquent la véritable renaissance de la musique baroque, se divisant en plusieurs moments. Cette progression est due aux évolutions musicologiques mais aussi techniques : il y a une nette amélioration dans la facture instrumentale, d’abord des clavecins puis d’autres instruments de la période baroque. Mais les progrès techniques ne s’arrêtent pas là : le répertoire ancien se popularise peu à peu aussi grâce à sa diffusion par l’enregistrement.

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