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Chapitre 1- État des connaissances et ses limites

2. Philosophie, approches pénales et modèle d'intervention

2.3 Le calcul du potentiel de réinsertion sociale

Plusieurs mesures visant à favoriser la réinsertion sociale sont mises en place par le Service correctionnel (SC). Que ce soit par des programmes variés ou des visites familiales, plusieurs moyens sont mis à la disposition du détenu. Néanmoins, même si cela aide la réinsertion sociale, le SC veut s'assurer, sans l'ombre d'un doute, que la sortie de prison sera une réussite. La façon dont il tente d'y arriver sera expliquée au sein des prochains paragraphes.

De prime abord, à l'arrivée du détenu à l'intérieur des murs de la prison, le Service correctionnel élabore un Plan correctionnel pour chaque individu se retrouvant au sein d'une institution fédérale. Lors de l'incarcération, ce plan d'action est révisé et réévalué par les membres du personnel responsables d'écrire les progrès accomplis (Service correctionnel du Canada, 2015a). Cette méthode d'intervention permet d'établir « les procédures à suivre pour surveiller, intervenir, évaluer et consigner la responsabilisation et les progrès du détenu par rapport aux objectifs établis dans son Plan correctionnel » (Service correctionnel du Canada, 2015a, paragr. 2).

Ce modèle d'intervention qu'adopte le Service correctionnel prend ses assises sur un modèle actuariel se basant sur la prédiction. La prédiction concerne, en fait, le degré de risque que peut représenter une libération conditionnelle ou complète pour la société et tente, par le fait même, d'enrayer les risques de récidive (Cousineau et Vacheret, 2005). Lussier et Proulx (2001) affirment que cette prédiction actuarielle est une façon de faire objective, valide et fidèle qui est un bon indicateur permettant de prévoir la récidive. De plus, la méthode actuarielle classe le

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contrevenant, l'évalue et gère sa sentence selon plusieurs critères spécifiques permettant une future réinsertion sociale (Cousineau et Vacheret, 2005).

Parmi la panoplie de méthodes mise sur pied pour aider le délinquant à cheminer lorsqu’il purge sa sentence d’incarcération, il est possible de retrouver la réévaluation des principales mesures du potentiel de réinsertion sociale. Elle permet de vérifier l'évolution du détenu et serait ainsi un bon indicateur du risque de récidive et d’un retour à la collectivité réussi . L’évaluation des progrès est étudiée en deux temps : selon le niveau d’intervention des facteurs statiques et selon le niveau d’intervention des facteurs dynamiques (Service correctionnel Canada, 2015b).

Les facteurs statiques réfèrent principalement au risque de récidive du prisonnier. Afin de bien évaluer cet élément, le détenu au sein d'une prison fédérale doit avoir, depuis son incarcération, évolué et changé sur les points suivants :

portion de la peine que le délinquant doit purger avant d'être admissible à une mise en liberté; la présence de fréquentations prosociales qui peuvent favoriser la réinsertion sociale; problèmes disciplinaires importants, périodes d'isolement ou des inquiétudes de sécurité préventive au cours de la dernière année; comportement du délinquant pendant les PSAEs et au cours des placements à l'extérieur; progrès du délinquant et sa motivation pour ce qui est de participer à l'exécution de son plan correctionnel (Service correctionnel Canada, 2015b, paragr. 2).

En ce qui concerne les facteurs dits dynamiques, il est possible de recenser les besoins du délinquant. Notamment, l'emploi, les relations familiales et matrimoniales, les fréquentations et relations, des problèmes de toxicomanie, sa façon de fonctionner dans la collectivité, son orientation personnelle et affective et finalement, son attitude. En résumé, afin d'effectuer l'évaluation et de constater des changements, l'intervenant estime selon le nombre et la gravité des facteurs présents, en plus de compiler les progrès effectués et de tenir compte d'éléments ayant un effet sur les facteurs dynamiques (Service correctionnel Canada, 2015b). D'autre part, dans l'intention de calculer le potentiel de réinsertion sociale, le système correctionnel prend en compte la motivation du délinquant. Afin de la réévaluer, l'intervenant compile les critères suivants:

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prise de conscience par le délinquant du fait que son mode de vie, son comportement et les conséquences qui en découlent posent un problème; mesure dans laquelle il s’accommode au problème et de ses répercussions sur sa vie; mesure dans laquelle il se sent personnellement responsable du ou des problèmes qu’il a; volonté de changer du délinquant, c’est-à-dire le fait qu’il manifeste ou non un désir de changer ou l’intention de participer pleinement à l’exécution de son plan correctionnel; mesure dans laquelle il possède les compétences et les connaissances requises pour modifier son comportement, c’est-à-dire la mesure dans laquelle il est capable de changer; appui reçu de l’extérieur (de sa famille, de ses amis ou d’autre membres de la collectivité); groupe de stratégie de gestion des cas auquel il appartient (Service correctionnel du Canada, 2015b, paragr. 4). En résumé, le potentiel de réinsertion sociale est calculé par la considération de cinq facteurs différents, soit le score obtenu selon l'Échelle d'information statistique sur la récidive, le niveau d'intervention selon les facteurs statiques, le niveau d'intervention selon les facteurs dynamiques, la cote de sécurité et finalement, le niveau de motivation (Service correctionnel Canada, 2015b). Il est alors possible de constater, tel que soulevé précédemment, que le système correctionnel entretient une approche basée sur la responsabilisation de l'individu, par le fait que la plupart des éléments considérés pour calculer le potentiel de réinsertion sociale concerne l'individu en soi.

2.3.1 Le calcul du potentiel de réinsertion sociale : quelques critiques

En résumé, le Service correctionnel adopte une justice actuarielle souhaitant établir des prédictions en ce qui a trait au risque de récidive, c'est-à-dire qu'il tente de neutraliser ces risques (Cousineau et Vacheret, 2005). La méthode adoptée par le Service correctionnel ayant été plus particulièrement évoquée dans la présente section réfère à la réévaluation des principales mesures du potentiel de réinsertion sociale. Malgré le fait que plusieurs chercheurs canadiens ont démontré des liens significatifs entre différents critères compris dans ces méthodes d'évaluation et le risque de récidive (L. Motiuk, 1993), les critiques de certains auteurs et chercheurs ne manquent pas. En effet, il est possible de constater un certain scepticisme en sciences sociales et en criminologie, en ce qui concerne à la possibilité d’effectuer des prédictions de manière précises et fiables au sujet de la dangerosité et de la récidive (Hannah-Moffat et Shaw, 2001).

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En premier lieu, Cousineau, Dubois, Lemire et Vacheret (2002) abordent certaines limites en ce qui a trait à la prédiction de la récidive. En effet, essayer de la prévoir est un énorme défi, encore plus lorsqu'il est question d'un comportement considéré dangereux (Landreville, 1992). De plus, l'évaluation doit être effectuée dans un délai assez court, avec parfois peu d'informations, avec la probabilité de gestes violents imprécis et, souvent, rares. La prédiction soulève également des enjeux éthiques importants, plus particulièrement sur l'atteinte aux droits et libertés de l'individu touché par cette réalité (Cousineau, Dubois, Lemire et Vacheret, 2002). Ainsi, étant donné les difficultés que présente une évaluation du risque de récidive et du potentiel de réinsertion sociale, il est possible que certains prisonniers doivent demeurer à l'intérieur des murs du pénitencier alors qu'ils ne récidiveraient pas à l'extérieur, et d'un autre côté, il y a une probabilité que d'autres personnes puissent sortir et commettre un nouvel acte délictueux (Cousineau et Vacheret, 2005). L'évaluateur, dans cette optique, est placé dans une position d'expert et le détenu, pour sa part, ne possède pas de marge de manœuvre (Vacheret, 2006).

En second lieu, d'autres critiques concernant les mesures pour prédire le risque de récidive ont été soulevées au sein de la littérature. De prime abord, il semblerait que ces mesures d'évaluation demanderaient à ce que le prisonnier prouve quelque chose, ce qui ne fait pas en sorte qu'elles pourraient se révéler être des mesures d'aide et de réhabilitation. De ce fait, elles sont présentées comme étant un privilège (Cousineau et Vacheret, 2005). Qui plus est, les « critères d’évaluation représentent les normes morales et sociales de la classe moyenne de race blanche. L’incapacité de se conformer à ces normes implique une déviation inacceptable de la norme » (Hannah-Moffat et Shaw, 2001, p. 56). Ces mêmes critères ne prennent pas en compte le contexte, la situation de pauvreté et le réseau social. En effet, les facteurs évalués sont beaucoup plus des facteurs individuels qui ne sont pas mis dans un contexte spécifique (Hannah-Moffat et Shaw, 2001). Il est possible de référer ici à l'arrêt de la Cour suprême du Canada concernant des outils et mesures actuariels non adaptés aux personnes autochtones. Selon le jugement et les conclusions du procès opposant le Service correctionnel du Canada (SCC), divers organismes pour la défense des droits des autochtones et un détenu autochtone , le Service correctionnel du Canada serait conscient des limites de leurs divers outils d'évaluation, qui sont d'ailleurs contestés. Les outils, tels que ceux permettant de donner une

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note de sécurité à chaque détenu fédéral, seraient empreints d'un préjugé culturel et même si la validité de ceux-ci aurait besoin d'être vérifiée, le SCC continue de les utiliser. Ainsi,

il semble évident qu’en continuant d’utiliser des outils d’évaluation qui peuvent surestimer le risque posé par les détenus autochtones, le SCC pourrait contribuer de façon injustifiable aux disparités dans les résultats correctionnels sur des matières à l’égard desquelles les détenus autochtones sont déjà désavantagés (Cour suprême du Canada, 2018, paragr. 65).

Selon ce jugement, le Service correctionnel doit réévaluer ses outils, afin de prendre en considération les différences culturelles et, de ce fait, adapter les décisions rendues.

En troisième lieu, selon d’autres critiques retenues pour le présent mémoire, il existerait un lien important entre, d’une part, le type de crime commis et, d’autre part, le type de libération appliqué au détenu. En résumé, ce lien serait indépendant du risque de récidive, ce qui ferait en sorte que les évaluateurs responsables d’octroyer des libérations prendraient en compte des éléments n’ayant pas de lien spécifique avec la récidive pour donner son verdict (Cousineau et Vacheret, 2005). En effet, selon cette étude qualitative réalisée par Cousineau et Vacheret (2005), l’opinion publique, le type de crime commis (par exemple, les agressions sexuelles qui pourraient être moins acceptées au sein de la société), les considérations sociales et la pression médiatique représentent tous des facteurs ayant un effet important sur le type de libération permise au prisonnier. Une statistique impressionnante, permettant d’appuyer cette conclusion, démontre que depuis 1978, au Canada, 636 délinquants ont été étiquetés comme dangereux. Parmi ce nombre, 73.9% détiennent au minimum une infraction à caractère sexuel dans leur dossier (Sécurité publique du Canada, 2013). Néanmoins, une méta-analyse réalisée par Hanson et J. R. Harris (2004) met en lumière que la plupart des hommes rencontrés dans les diverses études ayant commis une infraction sexuelle ne récidivent pas.

En quatrième lieu, un des critères importants à évaluer afin de déterminer s'il y aura une libération conditionnelle est la motivation de la personne judiciarisée. Une des critiques trouvées soulève que la motivation est regardée seulement au début de la sentence d'incarcération et qu'elle n'est pas revérifiée plus tard dans le processus (Cousineau et Vacheret, 2005).

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En dernier lieu, les écrits relevant les limites des méthodes d'évaluation du risque de récidive et du potentiel de réinsertion sociale abordent le peu de place pour le jugement du professionnel dans cette démarche actuarielle. En effet,« on peut se demander si, finalement, on ne tend pas à remplacer un jugement clinique – qui présente ses faiblesses il est vrai – par une évaluation statistique guère plus performante » (Cousineau et Vacheret, 2005, paragr. 55). Par ailleurs, en délaissant le jugement du professionnel pour un score obtenu à la suite d'une évaluation comportant des critères très précis, la réflexion en ce qui concerne les facteurs contribuant à la récidive semblent avoir été rayée, en plus de rendre nettement plus facile la compréhension des facteurs contribuant à la dangerosité du prisonnier (Aubert, 2012).