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Le fonctionnement de notre société, ses valeurs et ses idéologies

Chapitre 5 : Discussion

2. La base de la réinsertion sociale

2.1 Le fonctionnement de notre société, ses valeurs et ses idéologies

Tel que mentionné précédemment, les propos des anciens détenus ainsi que notre analyse du présent sujet nous mènent à penser qu'un groupe de facteurs englobent les autres éléments ayant une influence sur la réinsertion sociale. Cette base, dans sa complexité et ses caractéristiques propres, a une incidence importante sur la place que les prisonniers arrivent à saisir au sein de notre société, suite à la fin de leur sentence. En fait, c'est cette société elle-même qui, indéniablement, représente le pilier de la réinsertion sociale. Notre société contribue à la dynamique que les anciens détenus entretiennent avec elle, que ce soit à travers la façon dont elle est gérée, les lois ou les médias. Cette dynamique, selon les discours entretenus par les hommes rencontrés au cours de la recherche, serait particulièrement négative.

D'une part, les médias sociaux se révèlent être un des facteurs entravant le retour des détenus fédéraux dans la communauté. Étienne et Pierre ont d'ailleurs appuyé cette hypothèse par leur discours. Selon les deux hommes, à la télévision, il y a, la plupart du temps, la médiatisation des pires événements qui surviennent au Québec et au Canada. Qui plus est, certaines informations qui circulent sont parfois fausses et déformatrices de la réalité. Nous soutenons que la médiatisation de certains crimes violents, extraordinaires ou méprisés par notre société, crée un sentiment de peur et d'incompréhension chez les membres de notre communauté. Cette dernière, dans sa méconnaissance du sujet, est effrayée, ce qui est normal en soi. Comment ne pas avoir peur de ce qui nous est inconnu ? Comment ne pas avoir peur des individus judiciarisés, la plupart du temps décris et représentés par les médias à l’aide des pires crimes commis ? De ce fait, il est possible de constater l’influence importante de ce moteur de communication sur la réinsertion sociale des hommes judiciarisés. Comment souhaiter et favoriser le retour à la communauté de ces hommes qui, au final, nous effraient ?

D'autre part, nos idéologies de société guident, selon nous, l'émission de nos lois. Le Parti conservateur du Canada a changé des lois il y a quelques années, ce qui a créé un changement dans l'attribution des sentences ainsi que sur plusieurs autres aspects (Partie conservateur du Canada, 2015). Par exemple, la revue de littérature a relevé des changements apportés auprès de l'octroi des libérations conditionnelles totales. Ces libérations conditionnelles consistent à mener à terme le reste de la sentence à l'extérieur de l’établissement pénitencier, sous une certaine

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surveillance et sous plusieurs conditions. En résumé, il y a eu un resserrement du taux de permissions concernant ce type de libération (Alter Justice, 2010). Par ailleurs, nos entretiens de recherche appuient ce resserrement de certaines lois; deux des six détenus rencontrés ont affirmé avoir subi les contrecoups de ces nouvelles dispositions. Il va de soi de défendre que cette réalité amène matière à réflexion. Suite à l’analyse de nos résultats, nous soutenons que les lois actuelles représentent un facteur d’entrave à la réussite d'une réinsertion sociale, en raison de leur effet sur notre société. En effet, la législation actuelle semble propager l'idée que les criminels sont des individus dangereux devant être enfermés afin de préserver la sécurité et l'harmonie au sein de notre société. Le Service correctionnel du Canada semble soutenir lui-même cette idée. Tel que mentionné précédemment au sein de l'état des connaissances, le premier type de supervision du SCC, basée sur le risque, fonde ses assises sur la supposition que le criminel est un être dangereux et nécessitant une supervision accrue et assidue (Sécurité publique Canada, 2007). Ces éléments créent, selon nous, un sentiment d'insécurité au sein de notre société. Cette perception d'être continuellement en danger entraverait la réinsertion sociale des anciens détenus fédéraux. Pourquoi les membres de notre société favoriseraient le retour dans la communauté des individus judiciarisés, s'ils les craignent et croient être en danger lorsqu’ils se retrouvent en liberté ?

Dans le même ordre d'idées, les hommes rencontrés ont mis en évidence leurs perceptions des lacunes de même que certaines incompréhensions concernant la gestion du système judiciaire. Certaines conclusions peuvent être tirées en lien avec les lois émises et l'influence des médias dans la perception des hommes ayant purgé une sentence d'incarcération au sein d'une institution fédérale :nous soutenons que le système semble surtout basé sur la peur ainsi que sur la méfiance envers les criminels plutôt que sur le risque réel que ceux-ci peuvent représenter dans la société. Au sein de l'état des connaissances écrit plus haut, il a été soulevé que l’incarcération stigmatise l'individu et crée une rupture de ses liens avec la société (Combessie, 2004), ce qui favorise l’instauration d’un cercle vicieux. Les criminels sont incarcérés en raison d’un sentiment de peur et d’un désir de protection, et leur mise à l’écart du monde externe contribue en retour à leur stigmatisation et enfin à un sentiment de peur de l’inconnu. Les hommes judiciarisés sont déjà étiquetés bien avant d’être incarcérés. Donc, en quoi notre système aide à leur réinsertion sociale ? Selon nous, les valeurs et idéologies de notre société influencent la gestion de la criminalité et nuisent au processus de réinsertion sociale. L’incarcération des personnes ayant commis un geste répréhensible aux yeux de la loi

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résulterait donc en une double stigmatisation. Le crime commis est déjà, en soi, stigmatisant. Nous constatons ainsi des lacunes dans la gestion du système carcéral. En le considérant sous cet angle, nous soutenons que notre système carcéral entrave le processus de réinsertion sociale en raison de sa contribution à la stigmatisation des hommes judiciarisés. Cependant, comment serait-il finalement possible d’y apporter des changements ? Où se trouve la solution ? Également, d'autres lacunes importantes concernant notre système carcéral ont été abordées. Selon L. Brown (2015), tout traitement à caractère social pourrait diminuer d'au moins 10% le taux de récidive. La Loi sur la troisième faute en Californie aurait augmenté le taux de criminalité de 21%, ce qui équivaut à 5,5 milliards de dollars supplémentaires en coûts d'incarcération. Au contraire, les programmes à caractère social, tels que les cours pour obtenir un diplôme ou encore des formations en compétences parentales, auraient permis de diminuer de moitié le taux de criminalité pour le cinquième de ce montant. Un des anciens détenus appuie cet argument. Selon lui, le système est coûteux et peu efficace, contrairement par exemple aux pays scandinaves. Il soulève également l’incohérence dans le fait que notre système judiciaire gère des problématiques de violence en enfermant l'individu dans un monde également imprégné de violence. En quoi cette méthode favorise-t-elle la réinsertion sociale ? Nous devrions davantage axer nos interventions vers des programmes sociaux plutôt que d'investir dans un système punitif. La littérature scientifique soutient, d'ailleurs, l'inefficacité des systèmes punitifs (Gendreau, Gogginet T. Cullen, 1999). Ceci constitue ainsi une lacune supplémentaire concernant notre gestion de la criminalité. Qu'attendons-nous, en tant que société, pour s'attaquer à ce système qui, selon les données recueillies, ne remplit pas sa mission, en plus de coûter trop cher ? Au bout du compte, ne serions-nous pas plus gagnants de revisiter celui-ci, en laissant de côté les préjugés et les appréhensions ? Nos programmes seraient plus efficaces et nous sommes certains que tout compte fait, la relation entre la société et les personnes ayant obtenu une sentence fédérale s'en trouverait améliorée.

Ces différents éléments, mis ensemble, démontrent la complexité de la relation entre les anciens détenus et la société. Cette incompréhension et les rapports difficiles dans cette relation ont une influence directe sur la réinsertion sociale. Cette réalité sera expliquée dans les prochains paragraphes, afin de démontrer que la relation entre les prisonniers et la société est, finalement, le moteur de la réinsertion sociale. Pratiquement tout, selon notre analyse basée sur l’expérience des anciens détenus, est touchée par cette conclusion déstabilisante. De plus, selon la revue de

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littérature, les témoignages obtenus ainsi que notre analyse de la situation, notre système judiciaire serait peu efficace, coûteux et stigmatisant. Ces éléments laissent facilement place aux préjugés et à la frustration de la part de notre société !