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Le bien-fondé de l’initiative prétorienne

SOUS-SECTION 2 – LE MAINTIEN D’UNE ACCEPTION STRICTE DE LA CAUSE ETRANGERE EN PRESENCE DE CHOSES VICIEES

B- Le bien-fondé de l’initiative prétorienne

203. Appliquer une conception classique de la cause étrangère, c’est-à-dire exigeant trois caractères, présente un premier avantage évident pour les victimes visées. Soumettre l’établissement de cette cause d’exonération à la réunion de trois conditions est bien plus strict pour le débiteur qui voit ses possibilités d’échapper à sa responsabilité s’amenuiser, par comparaison avec la situation qui serait la sienne en cas d’application de la jurisprudence ci-dessus évoquée.

204. Ce premier avantage serait toutefois aujourd’hui anéanti si les magistrats n’avaient pas maintenu leur conception matérielle de l’extériorité. Quand bien même les juges opteraient pour une conception classique de la cause étrangère, la situation de la victime dépendrait encore de la manière dont ce caractère serait entendu. Dans une conception psychologique de l’extériorité, il suffirait au débiteur de démontrer que ce vice est indépendant de sa volonté. Certes, l’appréciation de la volonté n’est jamais chose facile et l’issue reste incertaine. Il est toutefois évident que l’extériorité, par suite la cause étrangère, serait assez, du moins, plus facilement démontrée. A l’inverse, dans une conception matérielle du caractère, cette condition serait plus difficile à établir car il est indéniable que le vice d’une chose livrée ou employée par le débiteur n’est pas étranger au cercle de la prestation exécutée par celui-ci. En d’autres termes, il paraît difficile, voire impossible, pour le débiteur de se décharger de sa responsabilité sur ce fondement. La conception matérielle de l’extériorité, plus stricte, maintenue par les juges conforte donc l’intérêt présenté par l’acception classique de la cause étrangère dans cette hypothèse.

205. L’initiative des magistrats de maintenir dans ce domaine une jurisprudence à rebours de celle évoquée était donc intéressante pour les victimes en question. Finalement, cette évolution ou plutôt cette absence d’évolution s’apparente à un phénomène d’objectivation, en ce sens qu’il y a réduction du champ d’exonération par une modulation de la qualification de la cause étrangère.

206. D’ailleurs, conforme à l’évolution de la responsabilité civile que connaît notre société depuis le siècle dernier, ce phénomène se justifie d’autant plus que les dommages causés par une chose viciée s’avèrent souvent plus graves, non seulement par rapport à ceux

causés directement par un homme511, mais aussi par rapport à ceux occasionnés par une chose non viciée. Le défaut de celle-ci est en effet susceptible de conférer à cette dernière un dynamisme plus dangereux encore. Favoriser la réparation desdits préjudices se justifie donc davantage ici.

207. Exiger la réunion des trois caractères pour qualifier un évènement de force majeure permet également et surtout d’écarter de manière plus sûre la possibilité d’une faute du débiteur à l’origine du dommage512. La preuve d’une cause étrangère ainsi définie constitue l’unique façon de s’assurer que le cocontractant n’est en aucun cas à l’origine d’un quelconque manquement en relation avec la réalisation du préjudice invoqué.

208. Initiée dans le but d’éviter une exonération quasi-systématique de la responsabilité du débiteur en cas de dommage causé par une chose viciée lors de l’exécution du contrat, cette absence d’évolution du droit positif, bénéfique pour les victimes visées, présente toutefois une portée limitée513 dès lors que l’établissement d’une cause étrangère constitue une étape ultime dans le procès en responsabilité.

II- Limite : une étape ultime dans le procès en responsabilité

209. La possibilité de s’exonérer de sa responsabilité sous-entend que celle-ci ait été avant tout établie. Or, selon l’obligation en cause, la mise en œuvre de la responsabilité n’est pas toujours aisée. C’est pourquoi la portée de la conception stricte de la cause étrangère doit être relativisée.

511 Sur ce point, v. supra n°s 4 et s.

512 Sur ce point, v. infra n°s 707 et s. Partie intégrante de notre proposition, cette idée sera développée à ce stade.

Cela explique notre volonté de ne pas nous y attarder ici.

513Il faut ajouter que si une partie du domaine des dommages causés par une chose viciée est aujourd’hui régie par la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 et s. du Code civil) et si ce texte paraît favorable, il n’empêche que celui-ci recèle divers inconvénients, notamment et surtout quant aux causes d’exonération admises par le législateur. Toutefois, en raison de sa nature spécifique, il est apparu plus opportun d’aborder ultérieurement la responsabilité fondée sur ce texte (sur ce point, v. infra n°s 297 et s.).

210. Si l’obligation en cause est une obligation de sécurité de résultat, il appartient à la victime de démontrer l’existence de l’obligation contractuelle dont elle était créancière ainsi que le dommage qui lui a été causé lors de l’exécution du contrat. Celui-ci présumant l’inexécution de celle-là, la responsabilité du débiteur est alors engagée ; il lui revient, s’il veut s’exonérer, de prouver une cause étrangère.

La charge probatoire que supporte la victime dans ce cas ne présente pas de difficulté particulière pour elle. Au contraire, elle lui est nettement favorable puisque c’est en fait sur le débiteur que pèse la plus importante charge. Aussi, l’issue du procès dépend ici essentiellement , si ce n’est totalement, de cette cause étrangère que le débiteur doit établir pour s’exonérer. Par conséquent, plus le concept de la cause étrangère est entendu de manière stricte, moins le débiteur peut s’exonérer facilement et par là, moins l’issue du procès lui est favorable.

Dans l’hypothèse d’une obligation de sécurité de résultat, l’intérêt d’une conception stricte de la cause étrangère apparaît donc clairement, l’issue du procès dépendant quasi-uniquement de la preuve de cet évènement. Par conséquent, l’initiative des juges de maintenir leur jurisprudence en dépit de l’évolution en matière de responsabilité contractuelle, est très intéressante dans ce cas de figure. Néanmoins, les obligations de sécurité de résultat sont progressivement moins nombreuses, les obligations de moyens prenant peu à peu le pas514. Or, dans cette dernière hypothèse, les intérêts de cette mesure sont nettement plus réduits.

211. Si l’obligation en cause est une obligation de sécurité de moyens ou bien encore une obligation de sécurité de résultat nécessitant la preuve d’un défaut515, la charge probatoire peut peser lourdement sur la victime qui doit établir, outre son dommage, une faute du débiteur dans l’exécution de son obligation516 ou une condition parfois aussi délicate517. C’est seulement à ce moment, une fois que la responsabilité du cocontractant est établie, que ce dernier pourra invoquer une cause étrangère.

Le pourra-t-il néanmoins vraiment, dès lors qu’on peut penser que la preuve d’une cause étrangère établit l’absence de toute faute de manière définitive518 ? Les possibilités

514 Sur ce point, v. supra n°s 84 et s.

515 Sur ce point, v. supra n°s 125 et s.

516 Sur ce point, v. supra n°s 84 et s.

517 Sur ce point, v. supra n°s 125 et s.

518 En effet, si le demandeur établit une faute du débiteur en relation avec la commission du dommage, il est peu probable qu’une cause étrangère puisse être établie, sauf partage de responsabilité (sur ce point, v. infra n°s 700 et s.).

seront de fait réduites, limitant par suite l’intérêt d’une telle acception en présence d’une obligation de sécurité de moyens, de plus en plus répandue519.

212. Hormis les cas où l’obligation en cause est une obligation de sécurité de résultat, hypothèses de plus en plus rares mais où la conception stricte de la cause étrangère reste très intéressante, la portée de cette initiative des juges doit donc être relativisée, même s’il est toujours moins défavorable pour la victime que cette cause d’exonération soit entendue de cette façon.

213. De manière plus globale, la consécration d’une action directe dans les groupes translatifs et l’acception stricte de la cause étrangère en présence de choses viciées ne sont pas sans effet bénéfique pour la réparation des dommages en question. Il est vrai que l’extension des obligations contractuelles ici abordée n’est pas aussi révolutionnaire que la consécration d’obligations accessoires, notamment en ce qui concerne son potentiel. Cela dit, les inconvénients, par suite l’échec, de cette initiative sont globalement moins importants. En outre, il serait incorrect d’affirmer que les désavantages, pour les victimes visées, de cette évolution du droit de la responsabilité contractuelle du fait personnel sont dus à un manque d’exploitation de cette initiative. Par conséquent, le mouvement précédemment décrit se distingue au minimum à un double titre de la consécration d’obligations accessoires de sécurité et d’information dans certains contrats.

214. Au-delà des différences précitées, ces diverses évolutions du droit de la responsabilité contractuelle du fait personnel, susceptibles de surmonter les difficultés présentées par la réparation des dommages causés par une chose lors de l’exécution d’un contrat, présentent une similitude : qu’elles aient été ou non initiées dans ce but, ces initiatives y parviennent difficilement. En l’état actuel du droit dans ce domaine, ces mesures n’offrent aucune solution pleinement satisfaisante à cet égard.

215. De fait, la confrontation entre le potentiel, au regard du problème soulevé, de ces diverses évolutions du droit positif et leurs résultats amène finalement à s’interroger : le droit de la responsabilité contractuelle du fait personnel est-il le mieux adapté pour gérer la

519 Sur ce point, v. supra n°s 84 et s.

réparation des dommages causés par une chose lors de l’exécution d’un contrat ? Au vu des développements précédents, il est tentant de se demander si la solution au problème ne se trouverait pas ailleurs.

216. C’est ce qu’il est proposé d’envisager en abordant la question de la responsabilité contractuelle du fait des choses. Présenté par ses partisans comme un concept totalement détaché du fait personnel du débiteur, ce qui explique son étude dans un chapitre différent de celui-ci, permettant clairement de prendre en considération les caractéristiques des dommages ici évoqués, cette initiative pourrait répondre aux problèmes soulevés dans ces travaux, si certaines interrogations, importantes, ne restaient en suspens et si certains obstacles juridiques et matériels ne venaient entacher la joie de ceux enclins à penser que tous les problèmes allaient enfin être résolus. Pour ces raisons, il a été estimé qu’il serait opportun d’étudier cette initiative jurisprudentielle.