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PARTIE I : UNIONS « INTERETHNIQUES » ET RAPPORTS SOCIAUX : CADRE THEORIQUE

B. L’H OMOGAMIE ET L ' UNION INTERGROUPE

3. Leçons et failles des études quantitatives sur l’union intergroupe

Les « mariages mixtes » – ou les unions interethniques – ont été analysés par de nombreux sociologues comme des indices des relations entre groupes, que ce soit par rapport

à la distance sociale, à l’assimilation ou à l’intégration. Ces unions sont souvent considérées comme un moyen plus rapide que d’autres processus sociaux pour « éroder des barrières sociales, culturelles et psychologiques » (Kulczycki & Lobo 2002 : 202), un moyen de traverser ces frontières sociales par un contact privilégié. Pour Dominique Schnapper, la définition même de « mariage mixte » est liée à la notion de distance ou proximité, puisque : « On parle, dans la vie sociale, de mariages ‘mixtes’ quand on a le sentiment que la norme de la proximité sociale entre les conjoints est, d’une manière ou d’une autre, transgressée » (Schnapper 1998a : x). Nous verrons ici d’un regard critique quelques usages quantitatifs des statistiques sur des mariages interethniques qui tentent d’employer ces unions comme indicatives de distance, d’assimilation ou d’intégration sociale entre groupes. Il s’agit de souligner leurs enseignements et failles afin de considérer quels aspects peuvent s’appliquer à une méthodologie d’étude dans le contexte tahitien, et comment on pourra interpréter les résultats qui en ressortent.

Distance

Tout d’abord, le mariage « mixte » a été employé comme indicateur macrosocial du degré de « distance » entre groupes sociaux (Bogardus 1925). Si l’homogamie est la règle, le choix du conjoint à travers une « frontière » ethnique pourrait logiquement représenter la considération de l’autre comme membre d’une même communauté, et donc l’effacement de « frontières » qui auraient pu être saillantes auparavant. Le mariage signifierait donc « l’acceptation ultime » par le groupe majoritaire des membres du groupe minoritaire et le rapprochement, voire l’assimilation, du membre du groupe minoritaire au sein de la majorité par son détachement de son groupe d’origine. Evidemment, il faut porter une attention particulière à quels membres du groupe minoritaire sont « acceptés ». Cette parenthèse nous nous avise à faire attention aux formes que prennent les « échanges » matrimoniales, qu’il s’agisse d’un échange compensatoire ou de toute autre forme d’échange matrimoniale qui prend en compte des rapports sociaux de pouvoir.

E. Bogardus (1925) est à l’origine de cette notion de distance dans les études de l’intermariage, ayant construit :

« une échelle dite de distance pour mesurer les attitudes envers différents groupes ethniques : l’image que l’on se fait de l’autre règle la distance sociale et en ce sens, selon la représentation plus ou moins favorable qu’on aura de l’autre, surtout s’il est d’une ethnie ou d’une religion différentes, on refusera ou on acceptera les divers types de relations proposés dans l’échelle : le mariage, l’amitié, la relation de travail, le voisinage » (Krzywkowski & Djaoui 1975 : 127-8).

Cette notion est reprise par Alain Girard (1964), qui observe que la distance entre les conjoints, en termes de ressources sociales et culturelles, influence l’avis de la famille et de la belle famille. Une plus grande distance donc suscite plus souvent une réaction défavorable. Depuis, de nombreuses autres études (Lee 1988 ; Qian & Lichter 2001) utilisent l’intermariage comme indicateur de relations intergroupes et de distance sociale entre groupes.

Toutefois, le concept des unions interethniques comme représentatives de réduction de « distance » sociale ou de stratégie d’assimilation ne prend pas en compte la mise en jeu d’autres facteurs dans une stratégie sociale du choix du conjoint. Tout d’abord, un échange intergroupe minimal ou inexistant peut être significatif d’un simple manque de contacts sociaux entre groupes. Par exemple, une raison majeure de la quasi absence d’unions entre hommes « polynésiens » et femmes « européennes » avant le dernier demi-siècle, ne relevait- elle pas de simples raisons démographiques33, à savoir que peu de femmes sans conjoint s’expatriaient de l’Europe pour travailler dans les îles de la Polynésie française ? Mais qu’en est-il de cette absence aujourd’hui ?

Par ailleurs, une équivalence empirique entre unions endogames et unions intergroupes n’indiquerait pas forcément non plus l’absence de la catégorie « mariage mixte » comme enjeu social dans la stratégie matrimoniale. Toute la théorie de l’échange compensatoire démontre que les catégories ethniques – et les frontières dessinées entre elles – peuvent non seulement persister mais être centrales aux enjeux dans l’échange de ressources ayant lieu lors des alliances matrimoniales. Le travail de Vincent Kang Fu, par exemple, tente de montrer que le « mariage à travers des frontières raciales n’indique pas complètement l’acceptation entre membres des deux groupes » (Fu 2001, ma traduction). Alors que ceux qui se marient à travers des « frontières raciales » sont censés être les plus ouverts et les moins influencés par les catégorisations ethniques, les études de Fu démontrent que, même si de tels mariages peuvent participer à l’affaiblissement des frontières raciales, ils ne sont certainement pas la preuve d’un tel affaiblissement, ni d’une diminution des catégorisations ethniques. Fu conclut que, puisque les frontières ethniques jouent un rôle non-négligeable dans la sélection de l’époux dans grand nombre des « mariages mixtes », les statistiques portant sur les intermariages ne sont pas des indicateurs fiables de la dureté de frontières entre groupes. C’est ce qui sera montré dans la présente recherche, où les frontières et préjugés ethniques font

33 Comme l’a remarqué Augustin Barbara (1991), le mariage mixte est aussi une question de probabilité ; les

chances de se rencontrer dépendent de nombreux facteurs, dont le lieu géographique et certaines circonstances de mobilité.

partie intégrale et intime des alliances « mixtes ».

Assimilation

Le mariage intergroupe est également employé parfois comme indice d’assimilation d’un groupe minoritaire ou dominé dans un groupe dominant et normatif (Park 1950 ; Gordon 1964 ; Tribalat 1995 : 66 ; Alba & Nee 2003). L’assimilation est comprise comme un long processus où un individu ou un groupe – notamment minoritaire ou dominé – s’assimile ou se fond dans une « culture » majoritaire ou dominante. Un des objectifs du travail de terrain est de déterminer comment se négocient ou se mélangent les identités sociales au sein des couples interethniques dont chaque conjoint est considéré appartenir à une identité ethnique différente. A cette fin, nous regarderons d’abord le terme de l’assimilation pour mieux le définir et l’appliquer aux choix familiaux au sein des familles dites interethniques.

En termes simples, l’assimilation fait référence à sa définition sémantique : le processus de devenir similaire à l’autre. Dans son usage par Robert Park et Ernest Burgess, qui lancent l’usage de ce terme dans la sociologie et qui fournissent une définition toujours applicable, l’« assimilation est un processus d’interpénétration et de fusion au cours duquel des personnes et des groupes acquièrent la mémoire, les sentiments et les attitudes d’autres personnes ou groupes et, partageant leur expérience et leur histoire, leur sont incorporés dans une vie culturelle commune »34. Pour certains, la définition de l’assimilation dépeint le processus comme une perte de culture pour l’individu ou le groupe minoritaire. Plutôt qu’un processus de partage et d’interaction, l’assimilation est vue comme une « adoption et fusion dans un tout culturel cohérent »35. De même pour Jacqueline Costa-Lascoux, le sens actuel de l’assimilation est le « processus par lequel un être vivant en transforme un autre en sa propre substance, synonyme de l’absorption d’un corps étranger jusqu’à le faire disparaître » (Costa- Lascoux 1999 : 329). L’essence de l’assimilation dans cette conception est donc l’invisibilité – par disparition – de la culture non-dominante au niveau social au sein d’une culture dominante stable. Egalement pour Stephen Castles (1995 : 7), l’assimilation est définie comme la politique d’incorporation des migrants dans une société à travers un processus d’adaptation en sens unique.

Dans un premier temps, la définition de l’assimilation comme un processus en sens unique, subi seulement par le groupe social non-dominant, est critiquée par Richard Alba et Victor Nee (2003), qui qualifie cette définition de « limitée ». Ils argumentent que

34 Traduction libre par Ida Simon-Barouh, dans son compte rendu de l’ouvrage de Michèle Tribalat (1995), URL

du CERIEM : http://membres.multimania.fr/ceriem/cc1/CC1lectu.htm, consulté le 25 juin 2010.

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l’assimilation ne relève pas d’un processus linéaire « d’oblitération ethnique », mais plutôt d’un processus dynamique où deux cultures convergent. Dans cette définition plus fluide, l’assimilation relève moins d’un seul groupe qui s’adapte et qui change, relevant plutôt d’un effacement de frontières entre les groupes. L’assimilation se passe donc dans deux sens, la société dominante ne demeurant point statique lors des contacts avec les individus d’autres cultures, groupes ou sociétés. Cet usage du terme assimilation est plus relatif aux processus sociaux en œuvre en Polynésie française, où on constate une convergence entre éléments socioculturels provenant de diverses origines – de la Métropole, des îles polynésiennes différentes ou encore des échanges globalisés.

Le concept d’assimilation est issu d’une sociologie américaine en particulier de l’immigration, qui a « surtout pris la forme de modèles en cycles ou étapes, dont le but ultime serait l’assimilation » (Collet 1998 : 141). En étudiant l’assimilation des immigrants au sein de la société américaine, Milton Gordon (1964) par exemple, à la suite des travaux de R.E. Park (1950) et dans le courant de l’école de Chicago, voit l’assimilation comme un processus graduel. Dans ce courant de pensée, le premier stade serait l’acceptation par les immigrants des coutumes de base de la société d’accueil, suivi par la phase clé d’assimilation structurelle où l’immigrant se fond dans le marché de travail, et aboutissant au stade ultime de l’assimilation, représenté par le mariage avec un membre de la majorité. Ce stade ultime entrainerait l’appropriation d’une identité, des attitudes et des comportements américains.

Dans cette optique, de nombreux ouvrages ont testé et soutenu l’usage des statistiques d’intermariage pour juger l’assimilation d’un groupe minoritaire. Sharon M. Lee et Keiko Yamanaka (1990), s’appuyant sur les résultats du sondage de la population de 1980 aux Etats- Unis, défendent la corrélation entre l’intermariage et l’assimilation, postulant que leurs résultats concernant la population américaine asiatique confortent la fiabilité de l’usage des statistiques de l’intermariage pour mesurer l’assimilation d’un groupe. Dans son travail sur l’assimilation des Américains cubains aux Etats-Unis, Elizabeth Arias avance également que les tendances de nuptialité fournissent un moyen de mesurer combien un groupe ethnique distinct devient (ou pas) une partie du tissu social plus grand36. La même année, Zhenchao Qian et Daniel Lichter (2001), ont utilisé des statistiques d’intermariage entre « immigrants » et « natifs » pour mesurer l’assimilation. Andrzej Kulczycki et Arun Peter Lobo (2002) utilisent, toujours dans la même perspective que Park (1950) et Gordon (1964), le fait de se

36 E. Arias écrit: “I [...] propose that patterns of nuptiality ([...] the prevalence of ethnic endogamy/ exogamy)

provide a valuable gauge to measure the extent to which a distinct ethnic group becomes (or not) a part of the larger social fabric” (Arias 2001: 526).

marier à l’intérieur ou en dehors de son groupe, en l’occurrence les individus ayant une identité « arabe » et nés aux Etats-Unis, pour mesurer le progrès de l’assimilation au sein de la majorité et la culture dominante.

Pourtant, Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Fenart (1995 : 77) rappellent que, assez tôt, les sociologues ont reconnu que la théorie assimilationniste, notamment en ce qui concerne le « mariage mixte », ne tenait pas la route. En effet, Donald Horowitz (1989) avait remarqué que plus les membres d’un groupe s’assimilent, par l’union avec des membres du groupe majoritaire ou l’insertion économique, plus des différences « ethniques » pouvaient devenir saillantes. Le manque de symboles identitaires clairs peut entraîner un repli identitaire pour faire ressortir ces aspects et promouvoir la survie de la communauté. Cet effet insoupçonné de l’assimilation, qui finalement va à l’encontre des théories assimilationniste en quoi le mariage représenterait un « stade ultime » de l’assimilation, avait également été avancé par N. Glazer (1954) et, encore plus tôt, par M.L. Hansen (1938). Ce dernier s’aperçoit que les symboles identitaires oubliés ou occultés par une génération qui cherchait à s’assimiler au modèle dominant étaient revitalisés par la troisième génération en quête de ses racines identitaires propre.

Egalement réfutant la thèse d’assimilation selon le taux d’intermariage, Simon Marcson (1950) avait postulé que l’intermariage aboutissait moins à l’amalgame ou au métissage des différents groupes ethniques qu’à une « assimilation sélective » dont les éléments dominants sélectionnés se combinaient selon des critères religieux ou raciaux. L’étude pionnière de Ruby Kennedy (1944) a montré, par exemple, que l’assimilation entre les groupes de différentes origines nationales se faisait à l’intérieur de marchés matrimoniaux religieusement compartimentés, mettant ainsi en cause la croyance en un melting-pot généralisé. La relation entre mariage « mixte » et assimilation s’est ainsi révélée assez tôt être plus complexe que ce que certaines théories pouvaient laisser comprendre. Ces études rappellent l’importance de ne pas se fier aux données quantitatives seules dans l’interprétation des unions intergroupes.

A la suite des premières hypothèses sur l’assimilation maritale, J.J. Leon, W.C. Brown et M.G. Weinstein (1995), en analysant l’intermariage « est-ouest » à Hawaii et ses implications pour l’assimilation matrimoniale, avaient précisé que le contexte social des relations interraciales doit être un composant essentiel de tout modèle d’assimilation matrimoniale. A Hawaii, le modèle de l’assimilation maritale « locale » est unique et nettement différent de celui observé par Lee et Yamanaka aux Etats-Unis métropolitains, où la catégorie de « Blancs » a historiquement été dominante. On ne retrouve pas à Hawaii un seul groupe dominant au sein duquel s’assimiler, ce qui est un contexte assez comparable à

celui de la Polynésie française, et notamment dans les îles plus peuplées où se sont situées mes recherches, à Tahiti et à Moorea.

Une corrélation entre les unions interethniques et l’assimilation en Polynésie française risquerait donc de nier la réalité sociale où cohabitent deux gouvernements politiques et plusieurs modèles culturels, dont les valeurs, histoires et façons d’agir et de penser sont différentes les unes des autres. Les populations qui sont majoritaires en effectifs et celles qui sont dominantes en pouvoir social ne sont pas les mêmes, et sont socialement différenciées en termes de catégories ethniques et socioéconomiques. Alors que le modèle culturel dominant véhiculé par l’éducation, les lois ou les médias est clairement un modèle français métropolitain, la population se considérant « polynésienne » relève à 88% de la population résidante (Institut Louis Harris 2005).Si le mariage interethnique est un indice de l’assimilation, quel groupe assimile l’autre ?

En outre, un paradoxe apparaît concernant l’usage des statistiques sur les mariages interethniques, puisque celles-ci sont utilisées pour démontrer aussi bien la notion de métissage que la notion d’assimilation. Comme a fait remarquer Jocelyne Streiff-Fenart : « De façon contradictoire […] le mariage mixte peut en effet être à la fois valorisé comme indice d’assimilation et comme symbole de métissage des cultures » (Streiff-Fenart 2000 : 175). Didier De Robillard (1991 : 133-134) souligne les limites de la notion de l’assimilation pour cette même raison :

« Si l’on conçoit le métissage sur le mode de l’assimilation, on se représente ce phénomène de manière sans doute excessivement simple, comme s’il s’agissait de mélange de liquides ‘inertes’, ‘amorphes’, où après coup, on se retrouve avec la simple addition des propriétés des composants initiaux du mélange [...alors que] le métissage se produit au sein d’un milieu social structuré (hiérarchie sociale), dynamique (mobilité verticale) qui influe sur le résultat final, et les modalités du processus conduisant à ce résultat final ».

Les notions même de métissage, de mixité, de confrontation de différences et donc de mariage « mixte » sont toutes en contradiction avec une conception d’assimilation qui occulte le caractère dynamique des groupes sociaux.

Pour toutes ces raisons, l’assimilation ne peut pas être évaluée par des statistiques d’intermariage37, parce qu’une telle conclusion postule l’absence de multiculturalisme viable et ignore la possibilité de mécanismes d’échange compensatoire dans une société marquée par

37 Sur l’usage des statistiques sur l’intermariage comme indexe d’assimilation, voir par exemple : A. Price & G.

des hiérarchies statutaires et des rapports de domination. Les statistiques sur les unions interethniques, bien que démontrant une certaine distance ou rapprochement entre des groupes prédéfinis, doivent donc être interprétées avec prudence pour ne pas sous-estimer le rôle d’autres facteurs relatifs au contexte social, y compris des facteurs démographiques, l’attirance de l’exotisme, ou l’existence d’autres formes d’homogamie au sein des groupes ethniques, tels que la religion ou le statut socioéconomique.

Si le taux d’unions entre deux groupes ethniques en Polynésie française pourrait refléter le degré de contact ou d’acceptabilité entre groupes, ce taux peut aussi occulter une dynamique d’échange compensatoire, la préservation de représentations ethnico-raciales ou des rapports de domination, phénomènes qui demeurent à la base de cette recherche. Nous verrons qu’un taux élevé d’intermariage en Polynésie française ne semblerait pas forcément traduire ni une assimilation accrue des Polynésiens aux modèles culturels dominants occidentaux (même si la globalisation entraîne ce résultat comme dans de nombreux pays), ni une assimilation des Français métropolitains aux modèles polynésiens. De la même manière, le mariage « mixte » entre hommes et femmes n’a jamais pu signifier une disparition des frontières entre catégories de genre.

Au niveau microsocial et dans une évaluation qualitative, l’assimilation peut néanmoins demeurer une dynamique au sein de certains couples qui semblent se caler sur un seul modèle culturel. Dans l’exemple de certains couples français- maghrébins, « la situation conjugale est […] explicitement définie par l’effacement de la différence culturelle au profit de l’un des conjoints, et les rapports du couple se sont établis sans ambiguïté sur la domination unilatérale d’un univers culturel » (Streiff-Fenart 1989 : 100). Ainsi, alors que les statistiques ne peuvent pas démontrer l’assimilation, un processus d’assimilation pourrait être observé au sein des couples interethniques et à petite échelle, à l’aide d’observations micro-sociétales et qualitatives.

En dernier point, souvent employé de manière similaire au processus d’assimilation, l’acculturation est également interrogée par des sociologues pour évaluer, à travers la fréquence d’unions « mixtes », le rapprochement d’un groupe donné à la population dite « majoritaire ». Comme l’indique Pierre Archard (1998 : 275), la mixité renvoie souvent à des notions de culture plutôt qu’aux « origines », puisque « la culture » est une notion « moins contraignante pour nommer [d]es identités ». Ainsi, pour Doris Bensimon et Françoise Lautman (1974 : 36), il est évident que « le mariage mixte est un champ privilégié d’étude des relations interethniques et interculturelles. Il offre des exemples précis de processus d’acculturation (et de déculturation !) ». De même, selon Michèle Tribalat (1995 : 89), les

unions « mixtes » sont « un enjeu important du processus d’assimilation parce qu’elles impliquent une acculturation rapide ». L’étude des unions interethniques est donc, dans ce courant de pensée, centrale pour observer l’adaptation d’un groupe à la majorité (Périgaud 1975). Selon Krzywkowski et Djaoui (1975 : 117), « la situation du mariage mixte […] permet de comprendre la dynamique intra-groupe (cohésion, acculturation et assimilation) ». Alors que l’acculturation, selon Pierre Milza, indique la « modification d’une culture au contact d’une autre » et serait relatif « dans le cas d’une culture qui perd sa propre substance sous l’influence de l’autre » (Milza 1998 : 285), il y a, en effet un double sens des changements dans l’acculturation, comme pour l’assimilation, même si ces changements sont asymétriques (cf. Camilleri & Cohen-Emirique 1989 : 29). Ainsi, comme pour l’assimilation, la notion d’acculturation pourra servir dans l’analyse qualitative au niveau individuel, afin de prendre en compte toute stratégie ou pratique – individuelles ou au niveau du couple – qui privilégie un jeu de codes socioculturels au détriment de l’autre.

Intégration

Une autre notion souvent explorée par le biais des unions interethniques est celle de l’intégration. Dans les recherches sociologiques, la notion de l’intégration est employée de manière variable. Tout en demeurant liée à l’immigration, l’intégration est souvent mise en relation avec le marché du travail, employé comme synonyme d’insertion socioprofessionnelle, montrant l’importance de classe et des rapports de domination matérielle. Ahsène Zeharoui (1999 : 124) lie la notion d’intégration à celle du confort économique et résidentiel ainsi que celle de la réussite ou l’échec à l’école, pré-indicateur de la réussite économique. Catherine Wihtol de Wenden (1999 : 236) évoque l’« intégration