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Au regard des études antérieures, il est constaté que l’estimation de l’incision a été principalement menée de manière très ponctuelle à l’échelle du linéaire considéré qui s’étend de la confluence avec l’Ariège à celle avec le Tarn. Au total, ce sont seulement dix stations pour lesquelles le phénomène a été estimé ce qui au regard de la longueur du linéaire, soit un peu plus de 80 km, représente une faible résolution spatiale du phénomène avec une estimation en moyenne tous les 8 km (Tab. 1.7). De plus, la résolution temporelle de ces travaux est également limitée : les estimations ne couvrent qu’une période de 70 ans, de 1920 à 1986 ; la période est au mieux scindée en deux phases selon les stations. L’estimation de l’incision au cours de la seconde moitié du XXe siècle est donc mal

contrainte suivant ces deux échelles, alors même que cette période semble voir le phénomène s’intensifier. De plus, les seuils rocheux présents sur la Garonne et mis progressivement à l’affleurement par le décapage de la couverture alluviale sous l’effet de l’enfoncement du chenal, n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune étude. En effet, les modalités de leur formation et la quantification des processus à leur origine ainsi que leur rôle et leur impact dans l’évolution et le fonctionnement du cours d’eau, n’ont jusqu’à présent pas été appréhendés ni quantifiés.

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3.2. Objectif et problématique de recherche

Le présent travail a pour objectif principal l’étude des ajustements verticaux du chenal de la moyenne Garonne, de la confluence avec l’Ariège et celle du Tarn, et la détermination des facteurs de contrôle à l’origine de son évolution morphologique. La période d’analyse considérée, porte sur les deux derniers siècles, de 1830 à nos jours. L’évolution latérale est également prise en considération car il s’agit d’un paramètre important de l’ajustement de la Garonne, l’accent sera mis en particulier sur l’analyse du phénomène d’incision car il s’agit de l’ajustement le plus marquant de par son impact sur la morphologie du cours d’eau et des dysfonctionnements hydrogéomorphologiques qui en découlent. Comme cela a été évoqué dans la partie précédente (partie 3.1), la question de l’incision a déjà fait l’objet d’études antérieures mais reste marquée par la très faible résolution spatio- temporelle, avec un focus essentiellement centré sur la seconde moitié du XXe siècle.

A ce titre, ce travail se propose : (1) d’analyser le phénomène d’incision sur l’ensemble du linéaire à une échelle de temps et à une résolution spatiale plus importante que les travaux réalisés antérieurement, dans le but d’affiner les valeurs d’intensité et la quantification de l’enfoncement du chenal et de dégager une périodisation des ajustements verticaux plus précise ; (2) de mieux cerner les facteurs de contrôle en jeu ainsi que leur contribution respective dans les ajustements morphologiques du chenal ; (3) d’analyser la dynamique d’évolution des seuils rocheux et leur processus de formation, objet d’étude qui à ce jour, n’a pas été abordé sur la moyenne Garonne.

La problématique générale développée et les questionnements abordés dans cette thèse portent sur deux points :

• (1) De quelle manière la moyenne Garonne a-t-elle évolué, passant d’une rivière alluviale (alluvial channel) à une rivière à fond rocheux (bedrock channel) ?

• (2) Comment évoluent les seuils rocheux qui ont été dégagés suite au décapage de la couverture alluviale par l’incision ?

La problématique exposée, sous-tend deux « objets » d’étude dont les échelles de temps et d’espace sont différentes. Si la question de la transition entre rivière alluviale et rivière à fond rocheux et les facteurs de contrôle associés correspond à une analyse sur une période de temps d’environ 200 ans sur l’ensemble du linéaire, la question de l’évolution des seuils rocheux porte sur une période de temps beaucoup plus courte de quelques années et ne peut être traitée à l’échelle de l’ensemble du linéaire. Par conséquence, trois sites ont été sélectionnés le long de la Garonne pour aborder cette question. De ces deux « objets » d’étude découle un ensemble de questionnements scientifiques :

70 A l’échelle du linéaire :

• Quand débute l’incision et quelle est l’intensité du phénomène ? • Quelle est la variabilité spatiale et temporelle des vitesses d’incision ? • Quels sont les processus physiques et chimiques impliqués dans l’incision ?

• Quels sont les facteurs de contrôle de l’incision (i.e. globaux, régionaux, stationnels) ?

Ces différentes questions, au travers d’une approche géohistorique, doivent amener à retracer et quantifier l’évolution altitudinale du lit de la Garonne entre les confluences de l’Ariège et du Tarn en portant une attention particulière au phénomène d’incision. Il s’agit d’en appréhender l’importance (i.e. nature, intensité et vitesse) et la dynamique (i.e. variabilité spatio-temporelle). La mise en évidence des processus physiques et chimiques en jeu ainsi que la détermination des différents forçages ayant favorisé le phénomène, doivent permettre d’en établir l’origine. Cela doit également amener à préciser la rupture, en lien avec l’incision, dans le fonctionnement hydro-géomorphologique du cours d’eau et son degré d’intensité, rupture qui se dessine à partir des années 1960 et déjà évoquée aux travers de différents travaux (Beaudelin, 1989 ; Lalanne-Bertoudicq et al., 1989 ; Steiger et al., 2000). Ainsi une périodisation de l’évolution du cours d’eau et un schéma décrivant la transition entre rivière alluviale et rivière à fond rocheux peuvent être proposés. L’étude géo-historique depuis le début du XIXe siècle permet aussi de mettre en perspective la rupture que représente la 2nd moitié

du XXe siècle dans le fonctionnement du cours d’eau et de déterminer dans quelle mesure, l’évolution

actuelle de celui-ci s’inscrit dans un changement de trajectoire (i.e. bifurcation).

A l’échelle des seuils rocheux :

• L’incision est-elle toujours active une fois le substratum molassique affleurant ? • Quel rôle ont les seuils dans le fonctionnement géomorphologique du cours d’eau ?

• S’agit-il de structures transitoires (transient landform) ou pérennes (stady state landform) ? • A quelle vitesse évoluent-ils ?

• Quels sont leurs mécanismes physiques et chimiques d’évolution (i.e. érosion régressive, altération physico-chimique, abaissement par abrasion, etc.) ?

Concernant les seuils de molasse présents sur la Garonne, il s’agit au travers des questions posées et auxquelles un monitoring de terrain doit permettre de répondre, d’appréhender les mécanismes de leur développement une fois mis à l’affleurement et de déterminer de quelle manière et à quelle vitesse ils évoluent dans le temps. La nature de la molasse, qui se compose de faciès

71 marneux et calcaires suggèrent des processus d’érosion différents. En effet, les faciès marneux, très tendres, sont sujets à l'érosion mécanique alors que les niveaux indurés et carbonatés, plus résistants d'un point de vue mécanique présentent des microformes qui suggèrent un rôle important de la dissolution. La question de l’influence des seuils sur le fonctionnement hydro-sédimentaire du cours d’eau se pose également. En effet, du fait de leur dénivelé de plusieurs mètres et de leur configuration topographique (surface disséquée, profil en escalier, formation de « canyons»), les seuils peuvent présenter une discontinuité dans le transfert des sédiments grossiers le long du gradient amont-aval. Un compartimentage du cours d’eau peut être induit par les seuils avec un piégeage des sédiments en amont de ses derniers et dans les nombreuses formes d’érosion présentes à leur surface. Ainsi, la charge solide encore présente à l’aval des seuils, serait évacuée sous l’effet d’un écoulement « clair ». Les seuils pourraient entretenir d’une part un phénomène d’érosion régressive liée à l’augmentation importante de la pente localement, augmentant ainsi la puissance érosive du cours d’eau et d’autre part, une érosion progressive avec une évacuation des matériaux se trouvant en aval sous l’effet d’un écoulement « clair » filtré des sédiments grossiers par le seuil.

3.3. Approche méthodologique

3.3.1. Une démarche multiscalaire

L’analyse des ajustements verticaux de la moyenne Garonne depuis 1830 à nos jours, se fonde sur une approche par emboîtement d’échelles. Pour se faire, trois échelles spatiales ou niveau d’organisation ont été retenues : (1) le linéaire, (2) les tronçons élémentaires et (3) les seuils inscrits dans ces tronçons (Fig. 1.32).

• (1) A l’échelle du linéaire : il s’agit de la moyenne Garonne dans son ensemble entre les confluences de l’Ariège en amont et du Tarn en aval, soit environ 80 km. La démarche méthodologique utilisée se fonde sur une approche géohistorique. Il s’agit d’utiliser les données anciennes pour retracer l’évolution du profil en long de la Garonne.

• (2) A l’échelle du tronçon : au sein du linéaire, trois secteurs de la Garonne (Portet-sur- Garonne, Beauzelle, Grenade), chacun d’une longueur d’environ 3 km ont été retenus. La démarche méthodologique utilisée se fonde là aussi sur une approche géohistorique mais utilise des sources différentes pour reconstituer l’évolution de ces zones.

• (3) A l’échelle du seuil : pour chacun des trois tronçons, le seuil rocheux d’une surface moyenne de 3 ha a été étudié. La démarche méthodologique utilisée se fonde sur une métrologie de terrain.

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Figure 1.32 : Schéma d’analyse multiscalaire Garonne (Photos SMEAG).

3.3.2. L’approche géohistorique et l’approche par monitoring de terrain