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L’évolution du fond du chenal

Période 3 : de 1920 aux années

3.2.2. Le tarissement des apports sédimentaires à la fin du XIX e début XX e siècle

3.2.3.2. L’intensification des extractions à partir des années

Les interventions directes en lit mineur à partir de la seconde moitié du XXe siècle, ont entraîné

une forte accélération des processus de contraction et d’incision sur la moyenne Garonne, au premier rang desquelles l’activité d’extraction de granulats qui a joué un rôle majeur avec une part estimée à 80 % dans l’enfoncement du chenal qui atteint localement plus de -3 m. Ce rôle prépondérant des extractions se retrouve également pour de nombreux cours d’eau (Fig. 2.57).

180 En France, l’Ardèche et la Loire moyenne ont connu une phase d’incision en réponse directe aux extractions massives. Dans le cas de l’Ardèche, dont l’incision peut atteindre localement -2 m, ce sont 1,6 Mm3 de granulats qui ont été prélevés entre 1970 et 1985 pour un volume de sédiments

perdus de 1,7 Mm3 sur une période de 62 ans (Landon et Piégay, 1994). Il en est de même sur la Loire

moyenne pour laquelle de fortes valeurs d’incision sont observées dans les années 1970, correspondant au pic de l’activité (Gasowski, 1992). Entre 1960 et 1979, les prélèvements passant de 0,5 Mt à 6,4 Mt, ont largement dépassé les apports naturels avec un transit sédimentaire annuel estimé à seulement 1 Mt.an-1 (Gasowski, 1992). Sur la Loire amont, plus de 5 Mm3 de matériaux ont

été prélevés entre 1960 et 1980 soit 300 000 m3.an-1 alors que les apports naturels n’étaient que de

10 000 m3.an-1 et cela dans un contexte de tarissement des apports sédimentaires (Crepet, 2000).

Cependant, l’auteur montre que l’incision du chenal (-3 m localement) avait déjà commencé antérieurement aux extractions et souligne également le rôle important de la modification du régime hydrologique par les barrages avec des débits en hautes eaux qui ont perdu de leur efficacité morphogénique. Sur le Buëch dans les Alpes du Sud, Gautier (1994) fait état d’une incision pouvant atteindre -3 m et dont le facteur principal est l’extraction de 5 Mm3 de matériaux sur une quarantaine

d’années. Le même constat est fait dans les Alpes du Nord, où l’activité d’extraction a entraîné de fortes incisions sur les rivières intra-montagnardes pour lesquelles des valeurs importantes localement sont enregistrées comme sur l’Arve avec -12 m ou encore le Fier avec -14 m (Peiry et al., 1994).

En Italie, le constat est similaire. A titre d’exemple, sur le Tagliamento et la Brenta dont l’incision peut atteindre respectivement -3 et -8 m localement, les volumes extraits, soit 1,1 Mm3.an-

1 et 360 000 m3.an-1, ont été largement supérieurs à la production sédimentaires qui à l’échelle des

bassins versants est respectivement de 400 et 250-275 m3.km-2.an-1 soit environ 1 Mm3.an-1 et 392 000-

431 000 m3.an-1 (Surian et al., 2009). Les rivières Po et Arno ont également été fortement impactées

par les extractions avec des incisions respectives pouvant atteindre -6 et -9 m durant la seconde moitié du XXe siècle (Surian et Rinaldi, 2003). Sur le Po et la Brenta, les extractions renforcées par d’autres

facteurs (i.e. barrage, chenalisation, reforestation) ont entraîné une forte réduction de la fourniture sédimentaire durant la seconde moitié du XXe siècle avec respectivement -38 % et -68 % (Surian et

Rinaldi, 2003).

En Pologne, les extractions sur la Ropa, dont l’incision est de -1,5 m entre les année 1940 et 1960, ont entraîné dès 1966 l’épuisement complet de la charge alluviale avec 1 Mm3 prélevé soit

l’équivalent d’une surface décapée de 25 km de long sur 40 m de largeur pour une épaisseur de 1 m, laissant affleurer le substratum rocheux (Rinaldi et al., 2005). Sur la Wisłoka, où l’enfoncement est de plus de -2 m entre les années 1950 et 1990, une estimation porte à 500 ans le temps nécessaire pour

181 renouveler les prélèvements de granulats effectués entre 1955 et 1964 (Wyżga, 2001 ; Rinaldi et al., 2005).

Figure 2.57 : Schéma synthétique de la chronologie des extractions de granulats et des ajustements

morphologiques pour différents cours d’eau de France (Fr), d’Italie (It), d’Espagne (Es) et de Pologne (Po).

L’étude des extractions de granulats sur la moyenne Garonne et d’autres cours d’eau d’Europe, a mis en évidence le rôle majeur de l’activité sur l’évolution géomorphologique des rivières alluviales au cours de la seconde moitié du XXe siècle. L’altération la plus significative, étant le phénomène

d’incision du chenal associé le plus souvent à une contraction de ce dernier, mais qui peut aussi, comme l’ont montré Hupp et Simon (1991) sur des cours d’eau dans le Tennessee, être suivie d’un élargissement du chenal. Néanmoins, pour une grande partie des cas étudiés y compris la moyenne Garonne, les phénomènes d’incision et de contraction sont souvent initiés antérieurement à la période d’intensification des prélèvements, mais se voient accélérer très nettement sous leur influence à partir des années 1950-1960. De manière générale, la chronologie des événements montre une synchronicité entre l’augmentation nette de l’intensité des ajustements géomorphologiques et l’occurrence des extractions de granulats.

182 Cependant, plusieurs facteurs peuvent être mis en avant comme ayant renforcé l’impact des extractions. Le premier concerne le déséquilibre entre les quantités extraites et le taux de renouvellement des matériaux qui dans un contexte de tarissement des sources sédimentaires en amont (i.e. reboisement, barrage, endiguement, réduction de la dynamique hydrologique), entraîne un fort déficit sédimentaire dans de nombreux cas (i.e. Brenta, Tagliamento, Wisłoka, Dunajec, Loire et Drôme). Ce contexte de tarissement initié dès la fin du XIXe-début XXe siècle a accentué l’impact des

prélèvements de granulats. De fait, selon l’intensité de ces forçages sur le tarissement des apports sédimentaires, la modification du chenal associée aux extractions peut devenir irréversible par renouvellement insuffisant de la charge prélevée. Cette situation est observée sur la moyenne Garonne, qui actuellement connaît un fort déficit sédimentaire non résorbé par les apports solides naturels réduits (i.e. fourniture amont et érosion latérale) mais qui à ce jour ont seulement fait l’objet d’une quantification ponctuelle en amont du bassin versant. Même après l’arrêt des extractions à la fin des années 1980, le stock sédimentaire restant a continué de se réduire voyant la part des affleurements rocheux dans le lit mineur passer de 30 % à 51 % de la superficie totale entre les années 1990 et 2000 (Delmouly et al, 2007). L’épaisseur initiale du recouvrement alluvial avant extraction apparaît également comme un facteur important influençant l’intensité de l’incision. L’épaisseur des alluvions étant réduite sur la Garonne, entre 1,5 et 3 m (Beaudelin, 1989) avec des affleurements déjà présents antérieurement (Harlé, 1895), l’incision a été limitée expliquant les valeurs « modestes » observées, -1 m en moyenne et -3 m localement, comparée à d’autres cours d’eau vus précédemment. En effet, la terrasse dite « würmienne » (i.e. basse plaine - Hubschman, 1975) dans laquelle s’inscrit la Garonne située 15 m en-dessous au niveau de Toulouse, présente une nappe alluviale qui est globalement de faible épaisseur. En amont de Toulouse, entre Boussens et Muret l’épaisseur de la nappe est estimée entre 3 et 19 m avec une diminution de l’épaisseur de cette dernière en direction du nord, avec dans le secteur de Muret, situé environ 20 km en amont de Toulouse, une épaisseur comprise entre 1 et 6 m seulement et dont les plus faibles épaisseurs sont observées le long de la Garonne (Christophoul et al., 2014). Le profil en long étant « fixé » plus ou moins durablement sur un fond rocheux en de nombreux endroits, l’incision à partir des années 1990 tend à se poursuivre localement mais de manière plus modeste voire nulle (Jantzi et al, 2017a). Il en est de même sur la Loire amont où l’épaisseur du matelas alluvial était d’environ 1 m et qui a laissé place à de nombreux affleurements du substratum rocheux suite à des valeurs d’incision similaires à celles observées sur la Garonne (Crepet, 2000).

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PARTIE 3

MORPHOLOGIE, PROCESSUS ET DYNAMIQUES D’EVOLUTION DES