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La volonté d’autolimitation des règles successorales spéciales

Section I. Conditions d’application des « dispositions spéciales » de la lex situs

B. La volonté d’autolimitation des règles successorales spéciales

Lorsque la compétence de l’ordre juridique auquel les règles spéciales appartiennent résulte de la règle de conflit successorale, la question de leur applicabilité sur des biens situés en dehors du territoire de l’État législateur mérite d’être posée. Il s’agirait de déterminer si ces règles spéciales, en raison de la finalité socio-économique qu’elles poursuivent ne seraient conçues que pour régir dans le territoire de l’État qui les a édictées et dès lors seraient des règles autolimitées en droit international privé.

Appartenant à la lex causae, les normes autolimitées sont des règles substantielles affectées d’une délimitation individuelle de leur sphère d’application de sorte que les hypothèses qui tombent en dehors du domaine ainsi délimité seront réglées par l’application d’autres normes du même ordre juridique304. Ces dernières normes constituent une lex generalis par rapport aux normes autolimitées qui en raison de leur spécificité, sont considérées lex specialis au sein de l’ordre juridique désigné par le rattachement bilatéral. Les critères d’application des normes autolimitées peuvent être précisés de façon expresse dans le présupposé de la règle, mais dans bon nombre de cas ils doivent être dégagés de la finalité de droit matériel qui l’inspire (autolimitation implicite).

La question de la volonté d’autolimitation des dispositions matérielles constitutives de régimes successoraux particuliers a été abordée en France au regard des règles relatives aux attributions préférentielles prévues aux articles 831 et suivants du

304 Rodolfo DE NOVA, « Conflits des lois et normes fixant leur propre domaine d’application », dans

Jacques MAURY (dir.), Mélanges offerts à Jacques Maury, Paris, Dalloz & Sirey, 1960, p. 377, aux pages

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Code civil. Cet exemple servira d’illustration générale pour l’analyse du champ d’application maximal de certaines dispositions successorales spéciales.

En raison de leur l’objectif essentiellement orienté à la protection de l’économie française, l’opinion majoritaire s’oppose à l’application extraterritoriale des règles sur l’attribution préférentielle de l’exploitation agricole. De l’avis de Billarant, cette autolimitation dérive de l’hypothèse même de la règle exigeant des conditions ne se vérifiant que sur le territoire français, telles les limites relatives à la superficie de l’exploitation305. Comme le souligne Héron en expression graphique, « le législateur français n’indique pas la superficie maximum d’une exploitation au Tennessee ou dans les pampas argentines »306. Dans d’autres cas, l’autolimitation résulterait de « la spécificité » de la réglementation française sur la constitution des groupements fonciers agricoles et sur les baux ruraux qu’exige la mise en œvre de certains cas d’attributions préférentielles307.

Or, en matière d’attribution préférentielle sur le logement familial l’autolimitation de la règle ne s’impose pas avec la force de l’évidence. À défaut de précision légale expresse sur la limitation du champ d’application international de la règle, il est nécessaire de l’interpréter en privilégiant la méthode téléologique308. D’après Mayer, la norme serait autolimitée dans deux hypothèses : lorsqu’elle protège un intérêt purement collectif ou lorsque son contenu est lié à des circonstances, notamment économiques, qui ne sont pas nécessairement vérifiées pour les situations localisées à l’étranger309. Dans ce dernier cas, l’objectif de la norme protectrice peut viser des intérêts individuels directement mais ceux-ci sont étroitement reliés à des données de fait de nature

305 S. BILLARANT, préc., note 65, p. 301. Il s’agit de l’article 832-1 du Code civil français.

306 Jacques HÉRON, Le Morcellement des successions internationales, Paris, Economica, 1986, p. 126. 307 S. BILLARANT, préc., note 65, p. 301. Il s’agit de l’article 832-2, 832-3 et 832 al. 5 du Code civil

français.

308 Patrick KINSCH, « L’autolimitation implicite des normes de droit privé matériel », R.C.D.I.P. 2003.403,

410 et 411.

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économique ou sociale. Par exemple, la protection du locataire des immeubles à logement serait fondée sur « un état de crise du logement dans les villes françaises »310.

De l’avis de Perreau-Saussine, lorsque le critère exclusif d’application d’une loi de police française est la situation de l’immeuble en France, il y aurait une « implication forte du situs » pouvant être interprétée dans le sens de l’autolimitation : « plus les intérêts supérieurs du situs sont impliqués, plus la probabilité d’une autolimitation est grande »311. Feraient partie de la catégorie des lois de police autolimitées rattachées au situs de l’immeuble les règles régissant le secteur protégé du logement312.

Force est de constater que dans l’optique de ces auteurs, les règles portant sur le logement qualifiées d’autolimitées sont des règles relevant de la catégorie contractuelle (les baux résidentiels) qui sont imprégnées de considérations économiques tels le contrôle du marché immobilier au moyen de la réglementation des loyers et aussi sociales, comme l’accès au logement et le droit à s’y maintenir. Il s’agirait de déterminer si on peut déduire une pareille volonté d’autolimitation lorsqu’est en cause le droit à la conservation du logement pour cause de décès du titulaire, ce qui est à la source de l’attribution préférentielle de la propriété et du droit au bail du logement.

Billarant étend la technique de l’autolimitation à l’attribution préférentielle sur le logement familial en faveur du conjoint pour le motif que la finalité de la norme appelle son application immédiate sur le plan international313. Il soutient que « l’autolimitation n’est en réalité que la concrétisation d’une politique économique et sociale »314, ce qui rejoint l’argument qui permet d’assigner un caractère autolimité aux lois de police qui « ne trouvent leur justification que dans la nécessité de réaliser un objectif national dans le domaine politique, économique et social »315.

310 Id., 342.

311 Louis PERREAU-SAUSSINE, L'immeuble et le droit international privé : étude des méthodes, Paris,

Defrénois, 2006, p. 247.

312 Id., p. 238.

313 S. BILLARANT, préc., note 65, p. 305. 314 Id., p. 308.

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Enfin, ce n’est que par un « exercice de réduction téléologique »316 du champ d’application de l’attribution préférentielle sur le logement en apparence universel que l’on peut limiter la portée spatiale de la règle aux seules situations où l’immeuble est localisé sur le territoire de l’État s’étant fixé la protection du logement comme objectif de politique législative. En conclusion, le procédé de l’attribution préférentielle tant sur l’exploitation agricole que sur le logement de la famille exigerait la présence de l’élément territorial « localisation de l’immeuble en France » pour s’imposer à l’encontre d’une loi étrangère régissant la succession, ainsi que pour s’appliquer au titre de lex causae lorsque la loi française est celle désignée par la règle de conflit.

Suivants les enseignements de Mayer, la volonté d’application de la règle successorale spéciale serait « la conséquence de l’intérêt objectif » de l’État étranger à la réalisation de la politique législative poursuivie par la règle317. La recherche de l’intérêt objectif de l’État dont dépend le domaine nécessaire d’application de la règle « porte moins sur le droit international privé étranger que sur la règle substantielle étrangère »318. Il convient donc de déterminer quel contenu matériel commande la compétence impérative internationale des règles successorales spéciales du lieu de situation des biens. Intervenant dans la dévolution et dans le partage de la succession, les règles successorales spéciales ne doivent pas recevoir un traitement conflictuel homogène. D’où la nécessité de départager la compétence législative entre les lois successorale et réelle qui prétendent régir la transmission successorale de certains biens.

Section II. Cas particuliers d’application des dispositions successorales spéciales en