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Controverse sur la définition de « régime successoral particulier» et

Section I. Le cas québécois : une exception à la professio juris successorale

A. Controverse sur la définition de « régime successoral particulier» et

En dehors du droit des successions internationales, le Code civil du Québec ne contient aucune référence à l’existence de « régimes successoraux particuliers ». Cette catégorie juridique dont la source est l’article 15 de la Convention ne possède donc pas d’autonomie législative en tant que catégorie de droit matériel. Pourtant, cette absence ne fait pas de la notion sous étude un artifice du législateur. Nous rappelons que l’une des difficultés fondamentales de la catégorie réside d’une part, dans la diversité d’institutions juridiques que le concept est susceptible d’embrasser et d’autre part, dans la dispersion normative de la réglementation régissant certaines institutions spéciales, ce qui rend plus ardu l’effort de systématisation de la catégorie.

Bien qu’elle invite les chercheurs à découvrir son contenu au sein du droit québécois, nous trouvons déjà certains développements doctrinaux de la notion dans les commentaires à l’article 15 de la Convention que nous avons étudiés dans la section précédente et qui peuvent nous éclairer dans la tâche d’interprétation de l’article 3099 al. 2 C.c.Q. Au Québec, deux approches doctrinales sur la notion des « régimes successoraux particuliers » visés par l’article 3099 al. 2 C.c.Q. s’affrontent.

Une conception « restrictive » de la notion a été avancée par le professeur Talpis dans ses commentaires publiés en 1990 à propos de l’article 15 de la Convention101, opinion qu’il a reprise lors des études postérieures relativement aux nouvelles règles de droit international privé introduites par le Code civil102. L’idée centrale dans cette opinion repose sur l’exigence d’une dévolution successorale spéciale des biens comme condition

101 J. TALPIS, préc., note 91, 24.

102 Jeffrey TALPIS et Jean-Gabriel CASTEL, « Le Code civil du Québec. Interprétation des règles de droit

international privé », dans BARREAU DU QUÉBEC/CHAMBRE DES NOTAIRES DU QUÉBEC, La réforme du Code civil, Presses de l’Université de Laval, 1993, p. 844, à la page 857; Jeffrey TALPIS , « La planification

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constitutive des « régimes successoraux particuliers ». Il s’agirait des dispositions « qui organisent une dévolution indépendante du régime s'appliquant à tous les autres biens »103. D’où l’exclusion des règles québécoises relatives aux attributions préférentielles de cette définition : « pour que l'attribution préférentielle soit considérée comme créant un régime successoral particulier, elle doit modifier la dévolution des biens et non pas leur partage, ce qui écarte la plupart des attributions préférentielles du champ d'application de l'article 3099, al. 2 C.c.Q. »104.

Un regard sur l’évolution des interprétations doctrinales de l’article dévoile l’abandon progressif par les auteurs de l’approche circonscrivant la notion de « régimes successoraux particuliers » aux seules règles spéciales de dévolution successorale et la corrélative adhésion à une définition compréhensive des règles spéciales de partage successoral. Plus proche du sens original que la Convention entendait attribuer à la catégorie, tel qu’en témoignent les commentaires à l’article 15105, cette définition est partagée par la plupart des auteurs québécois. Ceux-ci s’entendent sur l’inclusion des attributions préférentielles québécoises sur la résidence familiale et sur l’entreprise exploitée par le défunt dans la notion de « régimes successoraux particuliers »106.

La réplique des auteurs à l’approche restrictive met de l’avant deux arguments principaux. Le premier réside dans l’absence d’une définition légale stricte des « régimes successoraux particuliers », ce qui ne justifierait pas l’exclusion de certaines dispositions qui par ailleurs répondent au critère de la destination économique, familiale ou sociale desdits régimes. Voici le deuxième argument invoqué par l’approche inclusive. Il est

103 J. TALPIS, « La planification successorale... », préc., note 102, 282. 104 Id., 283.

105 Supra, Chapitre II, section I, par. 3.

106 Gerald GOLDSTEIN et Ethel GROFFIER, Droit international privé, t. 2, « Règles spécifiques », coll.

« Traité de droit civil », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 958 et 959; Gerald GOLDSTEIN, « Commentaire sur l'article 3099 C.c.Q. », dans Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), 2011,

Droit civil en ligne (DCL), EYB2011DCQ1186, par. 3099 555; Gerald GOLDSTEIN, « Successions

internationales », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Droit international privé, fasc. 22, Montréal, LexisNexis Canada, à jour au 2 novembre 2012, feuilles mobiles, par. 28; Ethel GROFFIER, « Le nouveau droit international privé des successions », dans Ernest CAPARROS (dir.), Mélanges Germain

Brière, Montréal, Wilson et Lafleur, 1993, p. 155, à la page 169; André COSSETTE, « Propos sur la règle de

la scission dans les successions à cause de mort en droit international privé », dans Ernest CAPARROS (dir.),

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fondé sur la destination des biens qui font l’objet des attributions préférentielles québécoises dont le respect s’imposerait à l’encontre de la lex electa en vertu de l’article 3098 al. 2 C.c.Q. lorsque celle-ci ne correspond pas à la loi de situation des biens. Dans la mesure où le critère de la destination des biens est l’élément axial d’une définition des « régimes successoraux particuliers », cette interprétation rejoint plus fidèlement le sens original du texte conventionnel.

Prenant appui sur l’opinion de Lagarde, délégué de la France à la Convention, d’après qui les attributions préférentielles françaises étaient au cœur de l’article 15 de la Convention107, les professeurs Goldstein et Groffier n’hésitent pas à classer les attributions préférentielles québécoises dans la catégorie sous analyse : « on peut se demander pourquoi ces attributions concerneraient moins l’économie ou la société québécoise que, pour d’autres pays, certaines terres situées dans des régions agraires où les structures familiales conservent une grande importance »108.

Si d’après l’approche restrictive, la justification de l’exclusion des attributions préférentielles québécoises du champ d’application de l’article 15 de la Convention et de l’article 3099 al. 2 C.c.Q. réside dans leur nature de règle de partage ne modifiant pas la dévolution successorale, nous ne comprenons pas sur quelle base il serait en même temps admissible que les attributions préférentielles françaises se qualifient au titre des « régimes successoraux particuliers », celles-ci n’étant par définition que des règles spéciales de partage109. C’est avec justesse que Ghozlan soulève la contradiction : « si même le professeur Talpis reconnaît que les attributions préférentielles de droit français constituent un régime successoral particulier au sens de l’article 15 de la Convention de La Haye, l’on peut se demander pourquoi ce ne serait pas le cas pour celles du Québec. En effet, les termes retenus pour définir un régime successoral particulier étant sensiblement les mêmes dans la Convention, l’article 3099 alinéa 2 du Code civil du

107 P. LAGARDE, préc., note 83, 266.

108 G. GOLDSTEIN et E. GROFFIER, préc., note 106, p. 959. 109 J. TALPIS, préc., note 91, 23.

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Québec et la Proposition de règlement européen, ils devraient englober les mêmes régimes »110.

Nous souscrivons à l’opinion du professeur Talpis lorsqu’il entend attribuer aux attributions préférentielles québécoises un traitement conflictuel différent de celui réclamé par les attributions préférentielles françaises. Pourtant, ce n’est pas au motif qu’elles constituent des règles intervenant dans le partage successoral, caractéristique inhérente à la technique législative de l’attribution préférentielle, quelle que soit l’origine nationale de la réglementation légale. C’est seulement sur le fondement de la destination des biens soumis aux attributions préférentielles québécoises que l’analyse comparative s’impose légitimement. Nous traiterons de cette question dans le paragraphe 2, A, de la section II du présent chapitre.

Dans le Rapport explicatif de la Convention, l’accent est mis sur le caractère successoral de la disposition matérielle constituant un « régime successoral particulier ». Les propos du rapporteur sont sans ambigüité lorsqu’il déclare que l’article 15 « concerne la loi successorale en ce sens qu’il s’agit d’une personne héritant d’une autre »111. Ainsi, la qualification successorale de la disposition matérielle devient une caractéristique essentielle de la définition de régime successoral spécial « que la Seizième session tenait particulièrement à maintenir »112.

Si on retient la condition relative à la qualification successorale de la disposition matérielle instituant un régime successoral particulier, il s’ensuit que le caractère de règle de partage des attributions préférentielles ne peut aucunement mettre en échec leur qualification à ce titre, la nature successorale des attributions préférentielles étant irréfutable. La catégorie « régime successoral spécial » de notre article 3099 al. 2 C.c.Q., héritée directement de l’article 15 de la Convention comprendrait non seulement les successions anomales, mais aussi les attributions préférentielles dont la destination économique, familiale ou sociale justifierait l’inefficacité de la professio juris sur les

110 S. GHOZLAN, préc., note 97, p. 107. 111 D. WATERS, préc., note 49, par. 110. 112 Id.

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biens visées. Bref, en droit matériel des successions, les « régimes successoraux particuliers » peuvent concerner tant les règles spéciales de dévolution que les règles spéciales de partage successoral à la condition qu’elles poursuivent une destination économique, familiale ou sociale.

Les règles spéciales de dévolution établissent une « succession anomale » en ce sens que les biens sur lesquels elles portent sont exclus des règles ordinaires de dévolution successorale et les successibles sont prédéterminés parmi un cercle de personnes remplissant certaines conditions légales. Par opposition aux règles de dévolution instituant une succession anomale, l’attribution préférentielle se définit comme une règle de partage car elle n’intervient que dans cette opération successorale. Sa mise en œuvre ne brise pas l’ordre successoral ordinaire mais s’y intègre harmonieusement, tout en introduisant une dérogation à la règle de l'égalité en nature dans la composition des lots.

Dans la plupart des systèmes, les attributions préférentielles poursuivent une finalité d’ordre familial, économique ou social dont la défense -faute de volonté contraire du de cujus- assume le législateur en accordant à certaines personnes un bénéfice déterminé sur des biens remplissant une fonction essentielle (par exemple, le logement familial, l’entreprise familiale). Cela dit, la doctrine des pays dont les lois connaissent l’institution des attributions préférentielles n’ont pas hésité à se prononcer dans le sens de les inclure dans la notion de « régimes successoraux particuliers » de l’article 15 de la Convention113.

113P. LAGARDE, préc., note 83, 266; M. GORÉ, préc. note 65, p. 138, note 2; S. BILLARANT, préc., note 65,

p. 353; T. BRANDI, préc., note 8, p. 215 et 216; Dominique BUREAU et Horatia MUIR WATT, Droit

international privé, t. 2, « Partie spéciale », 2e éd., Paris, P.U.F., 2010, p. 247; A. E. von OVERBECK, préc.

note 82, 150; L. PERREAU-SAUSSINE, préc., note 83, à la page 40; M. RAIMON, préc., note 65, p. 162; A.

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