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La bilatéralisation du critère de rattachement à partir de la recherche de la

Section I. Conditions d’application des « dispositions spéciales » de la lex situs

A. La bilatéralisation du critère de rattachement à partir de la recherche de la

À défaut d’une règle d’applicabilité explicite quant au champ d’application de la règle matérielle, elle doit être dégagée par interprétation de la fonction que le législateur

288 Henri BATIFFOL, « Le pluralisme des méthodes en droit international privé », (1973) 139 R.C.A.D.I. 75,

139; K. SHURIG, préc., note 39, 238; Pierre MAYER, « Les lois de police étrangères », JDI 1981.277, 322;

Yvon LOUSSOUARN, « Cours général de droit international privé », (1973) 139 R.C.A.D.I. 271, 336; J. KROPHOLLER, préc., note 11, p. 19.

289 Cette formulation rappelle les autres concrétisations de la méthode des lois de police dans différents

instruments communautaires, tels les articles 9 al. 1 du Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles et 16 du Règlement Rome II en matière d’obligations non-contractuelles.

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étranger lui accorde dans son ordre juridique, d’où l’unilatéralisme de la démarche290. Certains auteurs consentent à la possibilité d’une certaine bilatéralisation de la loi de police du for. La convergence dans une matière donnée des lois de police en droit comparé justifierait la formulation d’un rattachement multilatéral permettant leur application291. Pour Bucher, il se peut qu’un rattachement bilatéral puisse « absorber la fonction ‘spatiale’ initialement attribuée de façon exclusive aux lois d’application immédiate »292.

Ces normes peuvent être détectées à partir de la constatation par le juge du for d’« un contenu type » ou d’« une finalité type » à certaines dispositions matérielles dans un domaine spécifique293. Les régimes successoraux particuliers en matière agricole illustrent bien l’existence de cette « typicité » de fins dans de nombreux systèmes juridiques294. Estimant que ces régimes successoraux spéciaux relèvent du mécanisme des lois de police, Bucher légitime la bilatéralisation du facteur de rattachement en cette matière295. Au contraire, lorsqu’il y aurait absence d’intérêts convergents entre les règles matériels du for et celles de l’État tiers dans une matière donnée, l’auteur estime que le juge du for ne reconnaîtra pas l’impérativité internationale des règles étrangères296.

290 G. GOLDSTEIN, préc., note 126, p. 132: « pour respecter l’esprit unilatéraliste de la méthode il faut donc

envisager la volonté ‘authentique’ du législateur étranger ‘en se mettant dans sa peau’ »; Andreas BUCHER, L’ordre public et le but social des lois en droit international privé », (1993) 239 R.C.A.D.I. 9, 64 : « les lois d’application immédiate sont ainsi liées, eu égard à leur fonction, à des règles unilatérales de conflit, explicites ou implicites ».

291 François RIGAUX et Marc FALLON, Droit international privé, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 134. 292 A. BUCHER, préc. note 290, 65. L’auteur exemplifie cette manifestation de la méthode avec l’article 6 al.

3 du Règlement Rome II subordonnant l’obligation non contractuelle résultant d’un acte restreignant la concurrence à la loi de la résidence habituelle du consommateur : « c’est évidemment dans l’intention de couvrir de cette manière un grand nombre de lois de police qui revendiquent ce même champ d’application ».

293 P. MAYER, préc., note 288, 295. 294 A. BUCHER, préc., note 290, 258 et 259.

295 Id., 258 : « Lorsque l’État du for entend réserver les domaines agricoles sur son territoire à un régime de

droit successoral spécial, dans le but de préserver ces domaines, il lui attribuera l’étiquette de ‘lois de police’. On peut s’attendre alors à ce qu’il soit enclin à faire de même lorsque la succession administrée au dernier domicile du défunt sur son territoire comprend un domaine agricole important sis dans un pays étranger qui connaît un régime de protection similaire ».

296 Id. : « Si, dans l’exemple cité, l’État du for renoncerait à toute réglementation empêchant le

démembrement des propriétés agricoles en cas de succession sur son territoire, il n’aura sans doute pas une attitude aussi favorable à l’égard d’une loi de police étrangère protectrice de l’agriculture mais restreignant

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Pourtant, le procédé de bilatéralisation des lois de police du for ne se prête pas à un emploi automatique297. La volonté d’application des règles matérielles n’appartenant pas à la lex fori ne doit pas être présumée par le juge à partir des considérations normatives abstraites menant à une qualification systématique en lois de police des normes ayant un contenu analogue à celles du for. Au contraire, elle doit être effectivement vérifiée à partir de la réalité visée par la norme telle que conçue par le législateur étranger298. L’effet « miroir »299 qui consisterait à reconnaître dans la règle étrangère le reflet d’une loi de police du for afin de transposer à la première la qualification de la seconde serait à proscrire300.

Faisant partie des « régimes successoraux particuliers », les règles sur les attributions préférentielles françaises sont souvent présentées comme susceptibles de bilatéralisation301. Force est d’admettre que cette institution établie dans plusieurs systèmes notamment en matière agricole a connu un essor éclatant en droit successoral français. En témoigne l’extension progressive de son objet302 ainsi que la prolifération

la liberté de disposer de ses biens en cas de décès ». Dans le même sens : Andrea BONOMI et Andreas

BUCHER, Droit international privé, 2e éd., Bâle, Helbing, 2004, p. 135.

297 G. GOLDSTEIN, préc., note 126, p. 132 : « Il est absurde de croire que s’il existe une règle d’application

nécessaire du for sur un sujet, les lois étrangères analogues ont le même caractère puisque l’organisation économique, politique et sociale diffère largement ».

298 B. REMY, préc., note 277, p. 297 : « si le système de valeurs joue un rôle essentiel dans la détermination

des objectifs sociétaux, il n’est pas, pour autant, le seul élément intervenant à ce stade. Intervient également la réalité vécue par l’auteur de la norme. Or, il est tout à fait possible que cette réalité soit différente d’une société à l’autre, les objectifs sociétaux que chacun d’eux déterminera peuvent-ils être différents car leurs besoins seront distincts ».

299 A. BONOMI et A. BUCHER, préc., note 296, p. 135 : « (...) lorsqu’un conflit similaire implique une

comparaison entre cette lex causae et des règles d’ordre public d’un État tiers, semblables à celles du for, l’intérêt prépondérant de l’État du for peut être reconnu, comme dans un miroir, dans les règles d’ordre public du for. Leur finalité indique ainsi l’intérêt de l’État du for à ce qu’il soit donné effet aux règles d’ordre public de l’État tiers ou à ce qu’un tel effet soit, le cas échéant, refusé » (nos italiques).

300 P. MAYER, préc., note 288, 295 : « La bilatéralisation ‘illicite’ est celle qui consiste à utiliser le critère

de la loi de police du for pour rendre applicable une loi étrangère, sans distinguer selon le contenu ou la finalité de celle-ci. (...) L’application des lois de police étrangères en tant que telles ne constitue pas le symétrique de l’application des lois de police du for, mais le reflet, dans un for qui n’est pas le leur, de la nécessité d’application qui les caractérise dans leur propre for ».

301 Pierre MAYER et Vincent HEUZÉ, Droit international privé, 10e éd., Paris, Lextenso éditions, 2010, p. 97

et 98; S. BILLARANT, préc., note 56, à la note 1165.

302 Originalement conçues pour les exploitations agricoles (1938), leur domaine a été élargi pour

comprendre le logement de la famille et les entreprises artisanales, industrielles, commerciales et professionnelles dépendant de la succession en tout ou en partie. Elles portent non seulement sur le droit de

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des règles entourant le droit à l’attribution préférentielle au fil de nombreuses réformes législatives. Pour favoriser l’exercice du droit de l’attributaire, des règles spécifiques ont été édictées afin d’assouplir l’obligation de paiement de la soulte et ce, au détriment des cohéritiers. Ce rayonnement de l’attribution préférentielle démontre une véritable minutie législative de la part de l’État français qui ne trouve pas de parallèle en droit comparé.

Conscient du danger du procédé de bilatéralisation des lois de police du for, Fongaro signale avec justesse que la seule voie légitime est celle d’une « pseudo- bilatéralisation » ou d’une « bilatéralisation conditionnelle » des règles sur les attributions préférentielles. La condition consisterait d’une part, dans la vérification que les attributions préférentielles poursuivent, dans l’État dont elles émanent, un objectif économique et social, et, d’autre part, dans le respect de leur champ d’application spatial dans l’ordre juridique étranger303.

Ce double test a le mérite de déterminer le champ d’application spatial d’une règle d’attribution préférentielle dans l’ordre juridique français. D’une part, la vérification des objectifs socio-économiques de la règle par référence à une réalité donnée amène à la délimitation de son « domaine minimal » d’application (qualification de loi de police). D’autre part, le respect du « domaine maximal » d’application accordée à la règle dans l’ordre juridique étranger repose sur la reconnaissance d’une volonté d’autolimitation lorsqu’elle ne veut régir que dans certaines hypothèses (qualification de règle autolimitée), à défaut de quoi est applicable une règle « générale » du système dont la compétence est désignée par la règle de conflit. Par opposition à l’attribution préférentielle qui serait considérée lex specialis, la règle « générale » applicable est celle établissant l’égalité en nature dans les opérations de partage successoral.

L’utilisation d’un critètre de rattachement bilatéral (le situs des biens) pour les dispositions successorales spéciales sur certains biens de la succession ne résout pas totalement la problématique liée à leur applicabilité internationale. Il est donc nécessaire propriété mais aussi sur le droit au bail et sur les parts sociales dans le cas où l’entreprise est exploitée sous forme sociale : voir articles 831 et suiv. du Code civil français.

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de s’interroger sur leur champ d’application lorsque la règle de conflit successorale donne compétence à l’ordre juridique auquel appartiennent les dispositions spéciales au titre de loi applicable à la succession (lex causae) en vertu d’un rattachement autre que le situs des biens.