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Document de réflexion/Discussion Paper du 30 juin 2008

Section I. La renaissance de l’exception à l’unité successorale en faveur des régimes

A. Document de réflexion/Discussion Paper du 30 juin 2008

L’article 3.5 du Document de réflexion/Discussion Paper du 30 juin 2008231 - premier antécédent connu du Règlement- reproduit l’article 15 de la Convention de La Haye de 1989.

Article 3.5. Régimes successoraux spéciaux

La loi applicable en vertu du présent règlement ne porte pas atteinte aux régimes successoraux particuliers auxquels certains immeubles, entreprises ou autre catégories spéciales de biens sont soumis par la loi de l'Etat de leur situation en raison de leur destination économique, familiale ou sociale.

Il n’est pas étonnant que le Document de réflexion/Discussion Paper ait emprunté cette voie. Cette formule trouvait déjà appui sur les opinions dominantes résultant de l’analyse des contributions au Livre vert effectuée en audition publique le 30 novembre 2006 et du Rapport portant recommandations à la Commission sur les successions et testaments (2005/2148(INI)) du 16 octobre 2006 élaboré par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen232. Ce rapport recommandait que le futur instrument devait « veiller a ce que la loi applicable à la succession n’affecte pas l’application des dispositions de l’État dans lequel certains biens immobiliers, entreprises ou autres catégories spécifiques de biens sont situés et dont la réglementation institue un régime particulier d’héritage concernant de tels biens au motif de considérations économiques, familiales ou sociales ». On découvre sans difficulté dans les propos du rapporteur l’influence de l’article 15 de la Convention.

La possibilité de déroger au système unitaire fondée sur le modèle de l’article 15 de la Convention avait déjà été envisagée dans les deux rapports portant sur le rattachement objectif de la succession internationale du volume publié par le Deutsches

231 GROUPE D'EXPERTS SUR LES EFFETS PATRIMONIAUX DU MARIAGE ET DES AUTRES FORMES D'UNION ET LES

SUCCESSIONS ET TESTAMENTS DANS L'UNION EUROPÉENNE (PRM-III/IV),Document de réflexion/Discussion Paper distribué pendant les journées «Current Developments in European Family Law and Law of Succession with a Focus on Maintenance» ayant eu lieu à Trier, Allemagne, les 25 et 26 septembre 2008.

232 COMMISSION DES AFFAIRES JURIDIQUES DU PARLEMENT EUROPÉEN,« Rapport portant recommandation à

la Commission sur les successions et testaments (2005/2148(INI)) », en ligne : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?language=FR&reference=A6-0359/2006.

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Notarinstitut en 2004. Néanmoins, après avoir constaté que les « régimes successoraux particuliers » de l’article 15 pouvaient renfermer « beaucoup plus que les règles d’application nécessaire », Pajor rejette cette possibilité en considérant qu’il serait injustifié d’étendre le respect de la lex situs au-delà des « dispositions impératives, applicables quelle que soit la loi régissant la succession »233.

Plus flexible semble l’opinion de Hayton lorsqu’il propose d’accorder à l’État du situs un rôle limité afin de respecter ses lois de police applicables aux situations internationales indépendamment des règles de conflit et tout régime particulier prévu pour des catégories spéciales de biens en raison de considérations économiques, familiales ou sociales, tel qu’édicté par l’article 15 de la Convention234. Malgré leurs conclusions divergentes quant à l’extension qui devrait être accordée à cette exception à l’unité successorale, ces deux auteurs reconnaissent une certaine distinction entre les concepts de « régimes successoraux spéciaux » au sens de la Convention et de lois de police235.

Une telle distinction n’est pas aussi évidente que l’on peut penser. D’autres commentaires exprimés aussi avant la publication de la Proposition de Règlement prêchaient pour l’accueil d’une exception au principe de l’unité successorale à la fois inspirée de l’article 15 de la Convention de La Haye de 1989 et de l’article 9 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) consacrant l’application des lois de police de la lex fori et celles émanant d’une loi étrangère236.

233 Tomasz PAJOR, « Rapport sur le Rattachement Objectif en Droit Successoral », dans DEUTSCHES

NOTARINSTITUT (dir.), préc., note 196, p. 371, à la page 372.

234 David HAYTON, « Determination of the Objectively Applicable Law Governing Succession to

Deceaseds’ Estates », dans DEUTSCHEN NOTARINSTITUT (dir.), préc., note 196, p. 359, aux pages 361 et 362.

235 Voir : Chapitre II, Section I, par. 3. 236 Article 9. Lois de police

1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement.

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En effet, dans son étude des règles projetées par le Document de réflexion/Discussion Paper, Dutta part de la conviction que les notions de « régimes successoraux particuliers » au sens de l’article 15 de la Convention et de « lois de police » au sens des instruments communataires sont équivalentes237. D’après l’auteur, la même fonction serait également remplie par les règles conflictuelles de certains États européens tels l’article 3a II EGBGB, l’article 19 de la Loi de droit international privé de l’Estonie238, la section 8(1) du chapitre 26 du code de successions finnois et la section 2 du chapitre 1 de la Loi suédoise sur les conflits de lois en matière de succession239.

Par souci d’uniformité, l’auteur recommande d’abandonner la formule de l’article 15 de la Convention -limitée selon lui aux lois de police du lieu de situation des biens- et d’embrasser plutôt le « principe général du droit international privé » (notre traduction) ordonnant l’application des lois de police étrangères240. Il propose donc d’adopter une formule proche de celle de l’article 9 du Règlement Rome I adaptée au domaine successoral afin d’ouvrir la porte aux lois de police de l’État du for, de l’État de situation des biens (dispositions impératives instituant des régimes successoraux particuliers) et d’un État tiers ayant des liens étroits avec le de cujus qui rendraient invalide une disposition testamentaire241. Encore « sur le modèle de l’article 15 de la Convention » et

2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi.

3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application.

237 A. DUTTA, préc., note 14, 557. L’auteur réfère aux articles 16 du Règlement (CE) n° 864/2007 du

Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ( Rome II ) et 9 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

238 Private International Law Act du 27 mars 2002, version anglaise en ligne :

http://www.legaltext.ee/text/en/X30075.htm

« § 19. Application of law of state of location of thing in case of legal succession

If a real right is created or extinguishes by way of universal succession, in particular on the basis of family law or the law of succession, the law applicable to legal succession in general applies to such real right as a whole unless and in so far as the law of the state of location of the thing prescribes that the law of the state of location of the thing applies also in the case of universal succession. »

239 Voir la traduction de ces articles aux notes 209 (Finlande) et 203 (Suède). 240 A. DUTTA, préc., note 14, 557.

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avant l’adoption de la Proposition du 14 octobre 2009, d’autres auteurs avaient également préconisé la rupture du principe de l’unité successorale dans la future réglementation européenne en faveur des dispositions spéciales à caractère internationalement impératif régissant la succession sur certains biens242.

B. De l’article 22 de la Proposition de Règlement du 14 octobre 2009 à l’article 30