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L’article 3099 al 2 C.c.Q et les lois de police du situs

Section I. Le cas québécois : une exception à la professio juris successorale

B. Nature de la règle contenue à l’alinéa 2 de l’article 3099 du Code civil du

2) L’article 3099 al 2 C.c.Q et les lois de police du situs

Malgré la « solution conciliatrice »120 découlant de l’admission d’un choix de loi unitaire, le système québécois se définit comme un système scissionniste. L’unité par le biais de l’admission d’une professio juris est une option « favorisée » par le législateur, mais elle est loin d’être la solution préférée pour le traitement conflictuel de la succession internationale121. Cette préférence pour le système scissionniste est manifestée à quatre reprises dans le Code civil. Premièrement, par la règle de conflit principale (article 3098 al. 1), en vertu de laquelle la loi objectivement applicable dépend de la nature mobilière ou immobilière des biens. En second lieu, par l’admission d’un choix de loi partiel en faveur de la loi de situation des immeubles (article 3098 al. 2). Troisièmement, par la non reconnaissance des effets à la professio juris en cas d’atteinte, dans une proportion importante, aux droits successoraux du conjoint ou des enfants du défunt autrement applicables en absence de choix (article 3099 al. 1). Finalement, par la non reconnaissance des effets à la professio juris en cas d’atteinte aux régimes successoraux particuliers prévus par la lex rei sitae sur certains biens de la succession (article 3099 al. 2).

119 G. GOLDSTEIN, « Successions internationales », préc., note 106, par. 26. Dans le même sens se prononce

H. Patrick GLENN, « Droit international privé », dans BARREAU DU QUÉBEC/CHAMBRE DES NOTAIRES DU

QUÉBEC, préc., note 95, p. 669, à la page 701 : « ce choix [la professio juris] est cependant restreint par le désir de ne pas permettre à un testateur d’écarter trop facilement les règles protectrices de la loi normalement applicable ».

120 Expression utilisée par le professeur G. GOLDSTEIN, « Successions internationales », préc., note 106,

par. 21 à 23 pour distinguer la « solution radicale de l’unité » suivie par la Convention, de la solution québécoise, une « solution conciliatrice » dans le sens de l’unité.

121 En Commission parlementaire, il a été considéré qu’en admettant l’unité successorale par le biais d’un

choix de loi le projet de réforme faisait preuve d’ « une certaine prudence qui est en voie d'adoption mais qui a de la difficulté à se faire adopter » : ASSEMBLÉE NATIONALE, 34ème légis, 1re sess., Journal des

Débats, Commissions parlementaires, Souscommission des institutions, 28 novembre 1991, p. SCI-1099.

Pour J. TALPIS et J. G. CASTEL, préc., note 102, à la page 853, l’admission de la professio juris est un

« premier pas timide en faveur du principe de l’unité vite contrecarré par la référence au situs de l’immeuble ».

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Dans ces quatre situations, la scission successorale s’impose inévitablement. Les règles matérielles de droit international privé contenues aux deux alinéas de l’article 3099 C.c.Q. produisent l’effet d’un retour à la règle de conflit objective en raison de l’inefficacité de la professio juris122. La majorité de la doctrine estime que l’inefficacité sanctionnée par la norme n’est pas totale mais partielle, c’est-à-dire une inefficacité limitée aux dispositions de la loi choisie qui portent atteinte aux droits successoraux du conjoint ou des enfants du défunt ou aux régimes successoraux particuliers sur certains biens de la succession, laissant intacte l’emprise de la loi choisie sur les autres questions successorales123. Nous souscrivons à cette position qui est conforme à une interprétation littérale du texte légal précisant que « la désignation d’une loi applicable à la succession est sans effet dans la mesure où la loi désignée (...) ».

La dérogation partielle à l’unité de la loi applicable résultant de l’inefficacité d’une professio juris désignant une loi qui méconnaîtrait un régime successoral particulier du situs confirme la préséance de la règle de conflit objective sur les biens ainsi visés. La règle matérielle à but international (l’alinéa 2 de l’article 3099) s’applique conditionnellement à l’existence d’une professio juris et n’a pour but que de fixer les conditions de sa validité, à défaut desquelles la règle de conflit scissionniste émerge. Il n’est donc pas nécessaire de recourir à la méthode des lois de police pour légitimer cet effet dérogatoire qui se produit à l’intérieur de la méthode conflictuelle par le biais d’une règle matérielle à but international.

Le professeur Goldstein considère pertinemment qu’« avec l'article 3099, al. 2 C.c.Q., on peut aboutir à faciliter le respect de certaines dispositions de la loi du lieu de situation de biens successoraux qui pourraient aussi bénéficier d'une qualification de ‘loi

122 Claude EMANUELLI, Droit international privé québécois, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2006, p.

297 et 298. C’est ce qui se dégage aussi des propos de G. GOLDSTEIN, « Successions internationales », préc., note 106, par. 29 lorsqu’il considère que la « substitution totale de la loi choisie par celles compétentes selon la double règle du premier alinéa de l’article 3098 C.c.Q. (...) » serait plus nuisible au règlement successoral que la validité en partie de la professio juris.

123 G. GOLDSTEIN, « Successions internationales », préc., note 106, par. 29; E. GROFFIER, préc., note 106, à

la page 168; Édith VÉZINA, « Casse-tête notarial sur le plan international : le mandat de protection et les

successions », (2010) 1 C.P. du N. 121, 409; S. GHOZLAN, préc., note 97, p. 171; Contra : J. TALPIS et J.

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de police’ au sens de l'article 3079 C.c.Q. »124. Certes, l’article 3099, al. 2 C.c.Q. est une porte d’entrée additionnelle (en plus de l’article 3079 C.c.Q.) pour la reconnaissance des dispositions internationalement impératives d’un État autre que celui de la lex causae.

Or, bien que le procédé aboutisse -le plus souvent- à l’application des lois de police du situs (du for ou étrangères), l’application de l’article 3099 al. 2 C.c.Q. ne doit pas être restreinte aux seules dispositions relevant de la méthode des lois de police. En effet, l’article 3099 al. 2 C.c.Q., à la différence d’autres formules légales125, n’exige pas que les dispositions instituant des « régimes successoraux particuliers » sur certains biens soient, d’après l’État de leur situation, des règles applicables « quelle que soit la loi applicable à la succession ».

Puisqu’il s’agit de mettre en œuvre le rattachement objectif de la règle de conflit successorale, le recours à la méthode des lois de police est simplement superflu. Il n’est donc pas nécessaire de prouver les « intérêts légitimes et manifestement prépondérants » de l’État du situs (article 3079 C.c.Q.) ni l’« intérêt vital » de l’État du for (article 3076 C.c.Q.)126 à l’application des régimes successoraux particuliers sur son territoire127. La compétence législative du situs s’impose au titre de la lex causae objective.

124 G. GOLDSTEIN, « Commentaire sur l'article 3099 C.c.Q. », préc., note 106, par. 3099 555.

125 Voir notamment l’article 30 du Règlement européen 650/2012 du 4 juillet 2012 sur les successions

internationales, analysé dans le chapitre IV du présent mémoire.

126 Le critère de l’« intérêt vital » comme condition essentielle à la qualification d’une règle en loi de police

du for est introduit au Québec par Gerald GOLDSTEIN, De l’exception d’ordre public aux règles

d’application nécessaire : étude du rattachement substantiel en droit international privé canadien,

Montréal, Éditions Thémis, 1996, p. 95 et suiv. Cette interprétation a été suivie par la jurisprudence québécoise à plusieurs reprises lors de l’application de l’article 3076 C.c.Q. : B. (G.) c. C. (C.), J.E. 2001- 1258 (C.A.); Ferme Avicole Héva Inc. c. Boréal assurances agricoles Inc., J.E. 2003-1275 (C.S.);

McKinnon c. Polisuk 2009 QCCS 5778.

127 Lorsque les dispositions établissant des « régimes successoraux particuliers » sont des lois de police

dans l’État tiers de situation des biens, elles seront appliquées sans qu’il soit nécessaire de passer le test rigoureux de l’article 3079 C.c.Q. pour qu’un tribunal québécois accepte leur prise en considération : « les conditions d'application de cette dernière disposition sont si difficiles à remplir que l'appel à l'article 3099, al. 2 C.c.Q. rendra la tâche plus facile » : G. GOLDSTEIN, « Commentaire sur l'article 3099 C.c.Q. », préc.,

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Section II. Identification des « régimes successoraux particuliers » en droit matériel