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Chapitre 2 Cadre théorique

2.1 Éléments pour une étude du système didactique

2.1.1 La théorie des situations didactiques de Guy Brousseau

La théorie des situations didactiques de Brousseau (1998) oriente l’étude de l’enseignement et de l’apprentissage des mathématiques. Elle modélise principalement trois composantes du système didactique classique : le savoir scolaire, l’enseignant et l’élève. De façon plus fine et en se plaçant du côté de l’élève, Brousseau introduit les notions de milieu et de connaissances de l’élève. En classe de mathématiques, l’élève construira ses connaissances en s’adaptant à un milieu, source de défis, de déséquilibres, de contrariétés, de contradictions. Pour que l’élève acquière une nouvelle connaissance ou le germe d’une nouvelle connaissance, le milieu doit révéler l’insuffisance ou l’échec des connaissances que l’élève met en œuvre dans ses efforts pour résoudre un problème

ou révéler les limites du domaine de validité au sein duquel il avait l’habitude de les utiliser. Les problèmes sont donc au cœur de la signification des connaissances acquises par l’élève. Les connaissances mathématiques prennent tout leur sens dans la mesure où elles favorisent la résolution des problèmes.

L’enseignant choisira des problèmes susceptibles de provoquer les adaptations souhaitées de l’élève au milieu. Les problèmes feront agir, parler et réfléchir l’élève de son gré, interagir avec le milieu défini comme le « […] système antagoniste du système enseigné. » (1998, p. 93). Brousseau qualifie le milieu d’antagoniste parce qu’il doit réagir aux propositions de l’élève dans une visée d’apprentissage.24 Les relations entre les propositions de l’élève et le milieu déterminent la situation adidactique. Dans celle- ci, les problèmes octroient à l’élève la plus large part d’initiative possible. C’est la partie déléguée à l’élève. Brousseau parle du processus de dévolution d’un problème à l’élève.

L’élève est donc appelé à construire de nouvelles connaissances en modulant ses actions selon les rétroactions du milieu dans une situation adidactique. Mais lorsque l’enseignant délègue un problème à l’élève, il n’est pas pour autant inactif. D’une part, il s’assure de maintenir l’élève dans la situation adidactique, par exemple en répétant certaines consignes du travail prescrit et, d’autre part, il est en mesure d’observer l’élève en situation de résolution du problème proposé. Ces observations lui servent à effectuer éventuellement des rétroactions, à moduler certaines de ses interventions en fonction de ce qu’il perçoit, à apporter des correctifs à sa planification, etc. En ce sens, l’activité de l’enseignant n’est pas univoque et nous devons en tenir compte. Nous abordons cet aspect à la section 2.1.2.

L’élève en situation adidactique interagit avec un milieu. Le milieu qu’il investit est matériel.25 Le problème à résoudre, les outils techniques ou technologiques pour le

24 Cette visée de l’apprentissage s’inspire de la théorie piagétienne selon laquelle un individu apprend en

s’adaptant par assimilation et accommodation à un milieu, source de contradictions et de déséquilibres.

25 Notons que le milieu avec lequel interagit l’élève ne correspond pas nécessairement à celui proposé par

l’enseignant, puisque ce que l’élève prend en considération est fonction de ses connaissances et de sa façon d’appréhender le problème en jeu. (Voir à ce sujet René de Cotret, 2013).

résoudre tels que les instruments de géométrie, la calculatrice, l’ordinateur, le matériel de manipulation sont autant d’exemples d’éléments constitutifs du milieu de l’élève. Le milieu est intellectuel si l’élève considère certaines notions mathématiques comme des outils au sens de Douady (1986).26 Enfin, le milieu a une dimension humaine lorsque la situation adidactique nécessite que l’élève échange avec ses pairs, par exemple dans une situation de formulation.

En classe de mathématiques, l’élève réagit à un milieu en situation adidactique. De plus, il réagit aux interventions de son enseignant et aux interactions qu’il entretient avec lui et ses pairs. Ainsi, la construction des connaissances de l’élève au sein d’une situation adidactique s’insère à son tour dans la situation didactique, c’est-à-dire celle englobant l’environnement de l’élève dont l’enseignant.27 Brousseau schématise ainsi la situation didactique.

Figure 1 L'enseignant, l'élève et le milieu (Brousseau, 1998)

Sur la figure 1, la double flèche verticale indique les actions et rétroactions de l’élève avec le milieu dans la situation adidactique. La double flèche horizontale montre les actions et rétroactions de l’enseignant avec le système des interactions élève-milieu.

26 Pour Douady (1986), une notion mathématique est à la fois un outil et un objet. Elle est un outil lorsque

notre intérêt porte sur l’usage que nous en faisons pour résoudre un problème. Elle est un objet culturel dans la mesure où elle participe de la construction d’un savoir savant socialement reconnu.

27 Kuzniak (2004, p. 25) souligne qu’aux débuts de ses travaux Brousseau s’était plus particulièrement

intéressé aux situations adidactiques qu’au rôle de l’enseignant. Selon lui, trois raisons motivaient ce choix : la rareté des situations adidactiques dans un contexte privilégiant la transmission du savoir de type magistral, le courant psychopédagogique des années 70 dominé par le modèle constructiviste, la croyance qu’une situation adidactique bien conçue pouvait presque s’auto-suffire.

Pour Brousseau (1998), l’enseignant est l’organisateur des jeux de l’élève avec le milieu. De plus, l’enseignant agit directement sur l’élève, par exemple en le rappelant à la tâche, ou encore sur le milieu de l’élève, entre autres en choisissant les problèmes et leurs conditions de résolution. Les flèches tracées en pointillés illustrent ces dernières interventions. La lettre S correspond au mot savoir. À ce propos, les termes savoir et connaissance revêtent des sens différents.Le savoir est qualifié comme une construction socioculturelle qui vit dans une institution et :

« […] qui est par nature un texte (ce qui ne veut pas dire qu’il soit toujours matériellement écrit). Le savoir est dépersonnalisé, décontextualisé, détemporalisé. Il est formulé, formalisé, validé et mémorisé. Il peut être linéarisé, ce qui correspond à sa nature textuelle. » (Laparra et Margolinas, 2010, p. 146).

Le savoir correspondrait à un état au sens de Sfard (1991), soit à sa dimension structurelle plutôt qu’opératoire. Cette idée peut être rapprochée de la dialectique outil- objet de Douady (1986).

Une connaissance est ce qui permet l’équilibre entre l’élève et le milieu, c’est-à- dire ce que l’élève met en œuvre quand il investit un problème en vue de sa résolution. Cette définition couvre un vaste éventail de connaissances : connaissances antérieures, mémorisées, issues du contrat didactique, etc. Des connaissances provenant du contrat didactique sont celles que l’élève juge efficientes, lui permettant d’obtenir de bonnes réponses selon les attentes qu’il perçoit de son enseignant; attentes relevant du contrat didactique. Le contrat didactique est défini par Brousseau (1998, p. 60) comme « […] la règle du jeu et la stratégie de la situation didactique. C’est le moyen qu’a le maître de la mettre en scène. ».

En géométrie, il existe des distinctions entre les connaissances spatiales relatives à l’espace physique et les connaissances géométriques issues de l’espace géométrique (théorique). Marchand (2004, p. 29) définit les connaissances spatiales comme :

« […] représentant un processus qui, partant des sensations, transforme toutes les données relatives à l’espace (forme, transformation et déformation), tirées du milieu, et les rend de plus en plus abstraites. »

Les connaissances géométriques sont associées à « […] un processus formalisant et axiomatisant les différents objets et leurs relations dans le but de créer un système cohérent les représentant […] » (Marchand, 2004, p. 29). À ce point de notre exposé, nous nous limiterons à la définition d’une connaissance de Brousseau (1998), c’est-à- dire ce qui favorise l’équilibre entre l’élève et le milieu; nous la bonifierons par l’ajout d’éléments décrits à la section 2.3.1.

L’enseignant a pour projet d’enseigner à l’élève des savoirs mathématiques. Ces savoirs furent construits au cours de l’histoire principalement à partir de connaissances issues de la recherche de solutions à des problèmes intra ou extra mathématiques. Même si l’enseignant ne prévoit pas réinvestir les problématiques historiques ayant menées au développement des savoirs, il désire néanmoins faire expérimenter à l’élève la richesse qu’ils représentent pour l’exercice de la mathématique. Mais cet exercice implique de résoudre des problèmes. Ainsi, la transmission des savoirs mathématiques doit pouvoir s’opérer par leur mise en contexte pour l’élève.

« Enseigner un savoir suppose (quel que soit le choix pédagogique) un processus de contextualisation: ce que l’élève rencontre en situation est d’abord une connaissance. Mais les connaissances fonctionnent en premier lieu dans le régime de l’implicite, elles sont contextualisées, très dépendantes de la situation. Le processus qui fait changer de statut la connaissance en la faisant évoluer graduellement vers un régime de savoir est le processus d’institutionnalisation, qui passe par des formulations, des validations, une décontextualisation, une mémorisation, etc. » (Laparra et Margolinas, 2010, p. 146).

Savoir et connaissance sont ainsi reliés dans la théorie des situations didactiques. L’enseignant est le maître d’œuvre qui assure l’adéquation de la connaissance acquise par l’élève avec le savoir mathématique. Mais le savoir visé par l’enseignement n’est pas tributaire d’une seule situation adidactique. Selon Brousseau (1998), pour qu’il y ait adéquation entre la connaissance et le savoir visé, l’enseignant disposera de plusieurs situations adidactiques formant une situation fondamentale du savoir visé. Cependant, Margolinas (1998) affirme que les enseignants dans les classes ordinaires n’organisent pas leurs cours en une succession de situations adidactiques, même s’ils poursuivent l’objectif de faire apprendre des savoirs et choisissent des problèmes pour leurs élèves, les plongeant ainsi dans un milieu donné. Cette perspective n’interfère pas avec celle de

Brousseau (1998), mais elle en module l’aspect systématique de recherche de situations adidactiques constituantes d’un savoir donné.

Par ailleurs, tel que dit précédemment, l’activité enseignante n’est pas univoque dans la situation didactique. En effet, si la dévolution d’une situation adidactique permet à l’enseignant notamment d’observer l’élève, en retour, ses observations lui fournissent des informations à traiter en temps réel ou différé par rapport à la situation didactique. Le traitement de ses informations nous invite à considérer d’autres aspects de l’activité enseignante.