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Les fondements philosophiques et méthodologiques des analyses historicistes et institutionnalistes originelles

2.1 La théorie de la connaissance pragmatiste

La théorie de la connaissance pragmatiste est essentiellement issue des travaux fondateurs de Peirce et de ceux, s’inscrivant dans une perspective légèrement différente, de Dewey.

2.1.1 Peirce et la méthode scientifique

Une critique de l’idéalisme et du cartésianisme

Le pragmatisme de Peirce32 (ou « pragmaticisme », expression utilisée par Peirce) peut s’appréhender comme une critique simultanée de l’idéalisme, notamment dans sa version hégélienne, mais également kantienne, et de l’empirisme (Guillemin, 1996 ; 1998b) :

29 Pour une présentation synthétique des travaux de James, voir Lapoujade (1997).

30 On verra dans le chapitre 5 l’importance de l’influence du darwinisme et de l’évolutionnisme de manière plus générale sur certains développements de la pensée institutionnaliste.

31 Voir, par exemple, Bazzoli (1999 ; 2000a ; 2000b ; 2000c), Bazzoli et Dutraive (1997 ; 2005a), Gislain (2000), Griffin (1998), Hall et Whybrow (2008), Jensen (1987), Kilpinen (1999 ; 2003 ; 2004), Liebhafsky (1993), Mirowski (1987), Renault (1992), Webb (2002 ; 2007) Wible (1984).

32 Voir Tiercelin (1993) pour une analyse du pragmatisme de Peirce. Nous nous appuyons en partie sur cet ouvrage dans cette section.

« L’idéalisme et le rationalisme sont critiqués pour leur refus d’appréhender la réalité telle qu’elle est (création d’un monde fictif), mais aussi (…) les conséquences que cette attitude entraîne sur la définition que l’on se donne de la pensée humaine » (Guillemin, 1998b, 13).

De l’empirisme, le pragmatisme refuse la conception sensualiste de la perception et de la connaissance en ce qu’elle ignore l’importance du signe. Pour Peirce, le rapport au réel n’est fait que de signes. En revanche, le pragmatisme partage avec l’empirisme l’importance donnée à l’expérience et aux croyances et habitudes dans la production de la connaissance. A ce titre, la philosophie de Peirce a une incontestable proximité avec l’empirisme de Hume. En fait, la théorie de la connaissance peircienne consiste essentiellement dans une remise en cause radicale du cartésianisme (Tiercelin, 1993). Le pragmatisme de Peirce se place dans une perspective réaliste s’opposant au nominalisme (Peirce, 2002) : le réalisme philosophique consiste à postuler que les Universaux, c'est-à-dire les idées et concepts généraux que l’on forme à partir du réel, ont le même statut que les objets empiriques et les individus desquels ils sont issus. Il s’agit aussi d’un réalisme ontologique qui renvoie à l’idée qu’il existe une réalité indépendante des représentations que l’on peut en avoir. Pour autant, cette réalité n’est accessible que par les signes, c'est-à-dire par le langage : ce réalisme « défend l’idée que les objets existent en dehors de notre pensée mais que le réel n’est accessible que par les

« signes » (le langage), si bien que le problème est de faire porter le processus de pensée sur des objets réels et de les confronter constamment à l’expérience » (Bazzoli et Kirat, 2003, 9).

Partant de là, l’opposition avec la philosophie de Descartes est claire, et Peirce (2002) dans un article de 1868 est très explicite sur ce point. En premier lieu, c’est contre le doute radical cartésien que la critique peircienne est dirigée. Selon Descartes, l’individu doit douter de tout de manière systématique. Peirce considère ce doute systématique non seulement comme impossible mais aussi comme nuisible. En effet, il relève déjà que l’on ne peut douter de quelque chose dont on a pas conscience ; or, selon Peirce, l’esprit humain est fait de croyances et d’habitudes qui ne sont pas forcément conscientes. Peirce ajoute que chaque individu a des préjugés fortement ancrés de telle sorte qu’il est impossible de commencer par le doute complet : « Nous ne saurions commencer par le doute complet. Il nous faut commencer avec tous les préjugés qui sont effectivement les nôtres quand nous abordons l’étude de la philosophie. Ces préjugés ne sauraient être rejetés par une maxime, car ce sont des choses dont il ne nous viendrait pas à l’esprit qu’elles puissent être mises en question. Ce scepticisme initial ne sera donc que duperie sur soi : ce ne sera pas un doute réel » (Peirce, 2002, 37). Il vaut mieux admettre ces préjugés et en tenir compte. En d’autres termes, il

apparaît que le doute radical revient à supposer que l’on puisse penser au-delà de nos croyances, ce qui constitue une impasse logique.

Peirce ne rejette pas pour autant totalement le doute, mais il défend un « doute positif », qui ne soit pas une simple déclaration d’intention. Ce doute doit être « honnête » et, selon Peirce, si on ne choisit pas de douter, le doute constitue néanmoins le moteur de l’enquête scientifique : le but de l’enquête est de fixer des croyances là où le doute s’est installé.

La critique opérée par Peirce à la philosophie cartésienne va plus loin. Notamment, il rejette deux aspects essentiels que l’on retrouve chez Descartes : le pouvoir d’intuition et le pouvoir d’introspection. L’intuition est essentielle chez Descartes en ce qu’elle fait de l’individu un être pouvant accéder de manière autonome à la vérité. Dit autrement, chez Descartes, l’individu n’a besoin de personne d’autre que sa raison pour produire des connaissances. Peirce rejette cette conception en ce qu’elle fait l’impasse sur le rôle fondamental du langage dans la pensée. Or, le langage ne peut s’acquérir de manière autonome. De manière plus générale, par cette critique du pouvoir d’intuition, Peirce s’attaque surtout à la notion de « pensée privée » en prenant le contre-pied du cartésianisme : chez Descartes, la pensée privée, c’est-à-dire la conscience, est première. Pour Peirce, la conscience est au contraire le résultat d’une confrontation de l’individu avec le monde extérieur. En d’autres termes, « la conscience de soi ne surgit pas au terme d’un processus eidétique de mise entre parenthèses du monde extérieur, du corps sensible et d’autrui, mais par une série d’étapes dans lesquelles le corps, les objets, les autres et le langage ont un rôle déterminant » (Tiercelin, 1993, 23). La démarche de Peirce est donc totalement à l’opposé de celle de Descartes, elle procède à une critique radicale de l’individualisme hérité de la pensée cartésienne.

Peirce rejette de la même manière le pouvoir d’introspection que Descartes confère à l’individu en niant une éventuelle séparation entre un monde extérieur et un monde intérieur :

« Il apparaît donc qu’il n’y a aucune raison de supposer un pouvoir d’introspection ; et que, par conséquent, la seule façon de se livrer à des recherches sur une question psychologique, c’est par inférence à partir de faits externes » (Peirce, 2002, 30). Selon Peirce, le monde intérieur, qui correspond à la conscience, n’est connaissable qu’en passant par le monde extérieur, l’introspection totale n’existe pas. On comprend ainsi que pour Peirce, l’expérience est fondamentale. C’est l’expérience qui structure la pensée de l’individu. Ce faisant, Peirce est amené à rejeter les traditionnelles dichotomies entre corps et esprit et entre faits et pensées héritées du cartésianisme. Enfin, via cette critique du cartésianisme, Peirce met en valeur deux

autres incapacités : l’incapacité de pouvoir penser sans signe, et l’incapacité de pouvoir penser l’absolument inconnaissable. Ces deux incapacités visent à supprimer le mythe d’une pensée toute puissante et autonome, conférant à l’homme le pouvoir de connaître par lui seul.

Peirce et la « logique de la science »

La critique du cartésianisme sert à Peirce de point de départ pour élaborer sa propre théorie de la connaissance. Cette dernière est précisée notamment à l’occasion de l’article, publié en deux parties, « La logique de la science » en 1878 (Peirce, 1984)33. Il ressort de cet article, et des autres écrits de Peirce, que le pragmatisme est en fait une logique de la connaissance. Le point de départ est la notion de doute, mais dans un sens non cartésien. C’est le doute, en tant que sensation de malaise traduisant un décalage entre nos croyances et la réalité, qui nous pousse à entreprendre une recherche pouvant y mettre fin. En d’autres termes, Peirce conceptualise le processus de recherche comme un mouvement partant d’un sentiment de doute et allant jusqu’à la formation de croyances : « Le doute est un état de malaise et de mécontentement dont on s’efforce de sortir pour atteindre l’état de croyance.

Celui-ci est un état de calme et de satisfaction qu’on ne veut pas abandonner ni changer pour adopter une autre croyance » (Peirce, 1984, 274). L’essence de la croyance correspond à l’établissement d’une habitude, c'est-à-dire que l’objet de la pensée est de produire des habitudes d’actions, contribuant à apaiser notre esprit. Dans la conception peircienne, le doute n’est donc pas volontaire, il ne relève pas d’un choix. Il est la manifestation d’une inadéquation des croyances et des habitudes en place avec le réel, inadéquation qui est révélée par l’expérience. Mais ce doute ne correspond pas à un besoin immédiat de supprimer les croyances en place34, mais de les tester d’abord, et de les améliorer ou de les rejeter ensuite.

Chez Peirce, la « recherche se comprend alors comme le processus de pensée, stimulé par les impulsions venant de l’expérience, qui permet de passer de l’état de malaise provoqué par le doute à l’état satisfaisant de la croyance » (Bazzoli, 1999, 63). Le point de départ de l’enquête scientifique est invariablement un état de croyance fragilisé par le doute, pour aboutir nécessairement dans l’établissement d’une opinion, consistant dans la formation de nouvelles croyances. Ce faisant, on trouve là une critique implicite tant de l’idéalisme, pour qui la démonstration doit partir de principes premiers universels incontestables, que de

33 La première partie se nomme « Comment se fixe la croyance », tandis que la seconde s’intitule « Comment rendre nos idées claires ».

34 Selon Peirce, cela est logiquement impossible. D’une part, certaines croyances sont inconscientes et l’on ne peut douter de ce dont on n’a pas conscience. D’autre part, ne pas croire en ce que l’on croit n’a pas de sens.

l’empirisme qui considère que les propositions de départ doivent être des sensations premières.

Cela amène Peirce à distinguer quatre méthodes de fixation des croyances : la méthode de ténacité, la méthode d’autorité, la méthode a priori et la méthode scientifique (Peirce, 1984, 278 et suiv.)35. La méthode de ténacité consiste à préconiser le maintien à tout prix des croyances antérieures. Comme le note Peirce, bien qu’appliquée souvent dans la pratique, elle ne peut l’être constamment car « elle a contre elle les instincts sociaux » (Peirce, 1984, 278).

Le maintien par un individu de ses croyances sera contrarié par son observation du fait que d’autres individus pensent autrement, ce qui est susceptible d’ébranler sa confiance en ce qu’il croit. La méthode d’autorité est essentiellement le fait de l’Etat, puisqu’il s’agit d’imposer autoritairement certaines croyances à d’autres. Ici encore, il est impossible d’empêcher l’apparition d’un doute chez certains individus, dès lors que certains peuvent observer que d’autres n’ont pas les mêmes croyances qu’eux, et de toute évidence que ces croyances ne sont pas plus erronées que les leurs. « Adhérer obstinément à une croyance et l’imposer arbitrairement aux autres sont donc deux procédés qu’il faut abandonner, et pour fixer les croyances on doit adopter une nouvelle méthode qui non seulement fasse naître une tendance à croire, mais qui détermine aussi quelles propositions il faut croire » (Peirce, 1984, 280). La méthode a priori consiste à adopter certaines propositions fondamentales parce qu’elles sont

« agréables à la raison ». Selon Peirce, elle a pour défaut de tomber dans le relativisme le plus complet dans la mesure où il est impossible de fonder des propositions objectives de manière a priori. Reste donc la méthode scientifique : « Pour mettre fin à nos doutes, il nous faut donc trouver une méthode grâce à laquelle nos croyances ne soient produites par rien d’humain, mais par quelque chose d’extérieur à nous et d’immuable, quelque chose sur quoi notre pensée n’ait point d’effet » (Peirce, 1984, 282). Cette méthode repose sur un postulat fondamental, expression du réalisme ontologique évoqué plus haut : « Il existe des réalités dont les caractères sont absolument indépendants des idées que nous pouvons en avoir. Ces réalités affectent nos sens suivant certaines lois, et bien que nos relations soient aussi variées que nos relations avec les choses, en nous appuyant sur les lois de la perception, nous pouvons connaître avec certitude, en nous aidant du raisonnement, comment les choses sont réellement ; et tous les hommes, pourvu qu’ils aient une expérience suffisante et qu’ils raisonnent suffisamment sur ces données, seront conduits à une seule et véritable

35 Voir aussi Tiercelin (1993, 90 et suiv.).

conclusion » (Peirce, 1984, 282). La méthode scientifique est ainsi la seule qui nous permette de distinguer les croyances justifiées de celles qui n’ont pas (ou plus) de fondement.

Selon Peirce, c’est Descartes qui a inauguré la méthode a priori (Peirce, 1984, 288).

Mais c’est au pragmatisme qu’il revient de spécifier la méthode scientifique. Le pragmatisme en tant que méthode scientifique est « une méthode de clarification et de détermination des concepts, ou signes intellectuels » (Tiercelin, 1993, 32). Cet aspect ressort au travers de la

« maxime pragmatiste » que Peirce énonce dans ces termes : « Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet » (Peirce, 1984, 297). Cette maxime exprime l’idée que toute entité ou chose doit se définir, pour une exigence de clarté, par ses effets sensibles et ses implications pratiques. C’est ainsi que les croyances erronées et les confusions pourront être repérées et éliminées. Le corollaire est donc le suivant : « Pour développer le sens d’une pensée, il faut donc simplement déterminer quelles habitudes elle produit, car le sens d’une chose consiste simplement dans les habitudes qu’elle implique » (Peirce, 1984, 296). Pour autant, si l’objectif de la démarche scientifique est précisé, cela n’est pas encore le cas de son déroulement. Dans cette optique, Peirce met en avant le caractère nécessaire mais non suffisant de la déduction et de l’induction (Peirce, 2006). La déduction est un raisonnement nécessaire dans le sens où elle consiste à passer logiquement d’hypothèses ou de prémisses à leur conclusion logique. La fausseté ou la véracité de l’hypothèse ou du résultat n’a rien à voir avec le raisonnement (Peirce, 2002, 381).

L’induction est quant à elle considérée par Peirce comme « le test expérimental d’une théorie ». Elle sert à mesurer le degré d’accord entre une théorie et les faits36. Pour autant, ni l’induction ni la déduction ne permettent d’introduire des idées nouvelles (Peirce, 2002, 401).

La déduction comme l’induction ne sont que des inférences explicatives (Truth-confirming) (Kilpinen, 2003) mais pas « amplificatrices » (Truth-advancing)37. Ce privilège appartient à une troisième forme d’inférence : l’abduction, que Peirce nomme occasionnellement rétroduction : « Toutes les idées de la science lui viennent par le biais de l’Abduction.

L’abduction consiste à étudier les faits et à concevoir une théorie pour les expliquer. Sa seule justification est que, si nous voulons jamais comprendre en quoi que ce soi les choses, ce doit être de cette manière » (Peirce, 2002, 381). L’abduction est le processus de pensée par lequel

36 Contrairement à ce qui a pu parfois être écrit sur le pragmatisme, celui-ci n’est donc pas un empirisme naïf.

Peirce est explicite sur ce point : l’induction est une inférence non démonstrative, elle ne sert pas à prouver une théorie ni même à en élaborer une.

37 Plus précisément, Kilpinen (2003) relève que pour Peirce, la déduction peut parfois être amplificatrice. Elle est alors dite « théoromatique » par opposition à la déduction corollaire qui correspond à la notion traditionnelle du processus déductif.

est constituée une hypothèse explicative concernant un phénomène donné. C’est ainsi un raisonnement s’appuyant sur l’observation et prenant la forme suivante (Peirce, 2002, 425) :

Le fait surprenant C est observé ; Mais si A était vrai, C irait de soi.

Partant, il y a des raisons de soupçonner que A est vrai.

L’abduction est à la base de nos jugements perceptuels, c'est-à-dire les jugements à partir desquels l’individu forme les premières prémisses de son raisonnement et qui sont ensuite considérées comme « évidentes » (acquérant ainsi le statut de postulat). Mais l’abduction est aussi à l’origine de la formation d’hypothèses plus faibles, visant à être directement testées lors de l’enquête scientifique. Pour Peirce, le pragmatisme n’est en fait rien d’autre qu’une logique de l’abduction : « Si vous considérez attentivement la question du pragmatisme, vous verrez que ce n’est rien d’autre que la question de la logique de l’abduction. En d’autres termes, le pragmatisme propose une certaine maxime qui, si elle est valable, doit rendre inutile toute autre règle concernant l’admissibilité d’hypothèses au rang d’hypothèses, c'est-à-dire comme des explications de phénomènes tenues pour des suggestions prometteuses » (Peirce, 2002, 431).

Une théorie de la connaissance évolutionniste et faillibiliste

La méthode scientifique pragmatiste, se caractérisant par l’enchaînement abduction-déduction-induction, associée au réalisme ontologique et philosophique, amène Peirce à développer une conception faillibiliste et évolutionniste de la vérité. Le pragmatisme est une philosophie fortement marquée par l’influence de l’évolutionnisme en général et du darwinisme en particulier. Il en découle une prise en compte du changement, notamment de son aspect imprévisible et indéterminé. C’est là un point de rupture majeur avec le déterminisme cartésien, mais aussi avec le déterminisme dialectique de Hegel. Du darwinisme, les pragmatistes vont notamment retenir l’idée de mouvement perpétuel et d’indétermination. Cela signifie, que la vérité n’est jamais fixée et est toujours factuelle et relative. Ce « réalisme du vague » amène à une conception de la vérité particulière. Peirce ne nie pas l’existence du vrai, mais il lui donne une définition particulière, contextuelle et consensuelle. Du fait de l’indéterminisme à l’œuvre, nous ne pouvons jamais dire d’une vérité qu’elle est absolue. Par définition, toute vérité est faillible, elle n’est jamais définitive. Pour Peirce, la vérité sera ce vers quoi tend l’enquête scientifique, c'est-à-dire vers les croyances rendues satisfaisantes par l’enquête : « une croyance est satisfaisante lorsque la méthode de la science a réussi à en extirper le moindre doute » (Tiercelin, 1993, 105). Selon Peirce, est vrai

ce sur quoi s’accordent les scientifiques, ce qui signifie que la réalité est indissociable de l’idée sociale de la communauté et que la vérité est le résultat de la correspondance entre un monde extérieur réel et le langage. La vérité est ainsi par définition provisoire et faillible.

Dans une perspective pragmatiste, la vérité s’apparente à un accord conditionnel, susceptible d’être remis en cause à chaque instant par l’expérience et l’expérimentation. Ce faillibilisme peircien est déstabilisant en ce qu’il est autant ontologique qu’épistémologique : la nature des choses elle-même est indéterminée. Ce faisant, le pragmatisme est un rempart au dogmatisme.

Mais il est aussi un remède au scepticisme radical dans la mesure où il souligne que ce qui importe, c’est notre croyance, qui par définition est toujours juste.

2.1.2 Dewey et la logique de l’enquête scientifique Pragmatisme et instrumentalisme

John Dewey est l’autre représentant majeur du pragmatisme américain. Egalement connu pour ses apports en science de l’éducation et en philosophie politique, Dewey a surtout développé une théorie de la connaissance (étroitement articulée à une théorie de l’action) et de l’enquête scientifique qui, tout en s’inspirant largement des idées de Peirce, se distingue par quelques spécificités38. On peut tout d’abord noter que Dewey préférait désigner sa démarche par le terme d’instrumentalisme, et non de pragmatisme39. L’instrumentalisme exprime une idée fondamentale chez Dewey qui fait le lien entre sa théorie de la connaissance et sa philosophie sociale : l’enquête scientifique, comme de manière générale la vie humaine dans son ensemble, s’organise selon un continuum « moyens-fins-moyens ». En d’autres termes, les fins poursuivies par l’activité humaine n’ont de sens qu’en tant que moyens pour atteindre d’autres fins. On retrouve ainsi une idée proche de celle exprimée dans la maxime pragmatiste. Concernant plus spécifiquement l’enquête scientifique, cela indique que cette dernière est un processus actif dont la finalité doit être la production de moyens visant à l’amélioration de la vie humaine.

L’ouvrage majeur de Dewey concernant la théorie de la connaissance est Logique : la

L’ouvrage majeur de Dewey concernant la théorie de la connaissance est Logique : la