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L’historicisation de la théorie chez Veblen : la théorie des préconceptions scientifiques L’ensemble des analyses de Veblen s’est construit à partir d’une lecture critique des

L’historicisation de la théorie dans l’institutionnalisme américain et ses prolongements contemporains

1.1 L’historicisation de la théorie chez Veblen : la théorie des préconceptions scientifiques L’ensemble des analyses de Veblen s’est construit à partir d’une lecture critique des

travaux de Marx et de l’école historique allemande de laquelle émergent certaines idées clés concernant l’épistémologie de Veblen (1.1.1). Veblen développe surtout une critique radicale de l’économie marginaliste et de ses préconceptions (1.1.2). Il met ainsi en place une théorie des préconceptions scientifiques à partir de laquelle se manifeste une véritable historicisation de la théorie (1.1.3).

1.1.1 Les sources d’influence de Veblen : pragmatisme, historicisme et marxisme

Les premiers écrits de Veblen1, dans les années 1880 et 1890, ont essentiellement consisté en des comptes-rendus critiques des travaux de plusieurs économistes (Hodgson, 2004) : Marx, Schmoller, Sombart, etc. On peut déjà dégager de ces écrits les grandes lignes

1 Pour des détails sur la vie et la carrière de Thorstein Veblen, voir la biographie de Joseph Dorfman (1934).

Pour des études exhaustives sur les travaux de Veblen, voir notamment Hodgson (2004a) et Tilman (1996).

de la pensée de Veblen : réflexions sur les préconceptions scientifiques à partir de la critique de Marx, réflexions sur le darwinisme et l’évolution culturelle à partir de la critique des travaux historicistes.

La critique des préconceptions marxistes

Veblen étudie l’œuvre de Marx de manière critique essentiellement dans deux articles publiés en 1906 et 1907 : « The Socialist Economics of Karl Marx and His Followers » I et II (Veblen, 1906b ; 1907). Veblen y développe plusieurs éléments caractéristiques de sa pensée institutionnaliste et évolutionnaire. Lecteur attentif de Marx, Veblen va développer dans ses travaux des considérations souvent proches ainsi qu’un point de vue tout aussi critique à l’égard du capitalisme. En fait, plus que les travaux de Marx en eux-mêmes, c’est aux préconceptions implicites sous-tendant ces derniers que Veblen s’attaque (O’Hara, 1997).

Veblen définit les préconceptions comme un système de croyances sous-tendant l’activité sociale de tout individu et plus particulièrement l’activité scientifique. Elles sont génératrices d’habitudes de pensée qui elles-mêmes conditionnent les comportements et structurent les institutions sociales2. Selon Veblen (1906b), les préconceptions de Marx ont deux origines distinctes, la métaphysique hégélienne et le système anglais des droits naturels : « Les idéaux de la propagande de Marx sont ceux des droits naturels, mais sa théorie concernant le fonctionnement de ces idéaux repose sur la métaphysique hégélienne du développement, tandis que sa méthode de spéculation et de construction théorique lui est donnée par la dialectique hégélienne » (Veblen, 1906b, 411, notre traduction).

Le système des droits naturels sous-tend la théorie de la valeur-travail de Marx et ses deux corollaires : la thèse de l’exploitation du travail par le capital et la prétention du travailleur à bénéficier de la totalité du produit de son travail. La dialectique hégélienne sert quant à elle de cadre général au système marxiste même si, comme Veblen le souligne fortement, elle est interprétée dans une perspective matérialiste et renverse ainsi la logique de l’hégélianisme orthodoxe. Pour autant, l’esprit hégélien est conservé : « Cependant, dans les deux cas, une sorte de primauté créative est donnée à l’une des parties du complexe et dans aucun des cas, la relation avec l’autre partie ne s’apparente à une relations causale. (...) Dans les deux cas, la conception du développement et du progrès sont les normes de spéculation dominantes ; et dans les deux cas, ce développement est considéré comme devant nécessairement prendre place dans le cadre d’un conflit ou d’une lutte. Le mouvement

2 Nous renvoyons au Chapitre 5 l’étude de la théorie du comportement de Veblen et de ses différentes catégories : instincts, habitudes et institutions.

historique est marqué du sceau du progrès, - un progrès graduel vers un objectif prédéfini, vers la réalisation explicite de tout ce qui est implicite dans les activités constituant le mouvement. Le mouvement historique est, par ailleurs, auto-conditionné et auto-agissant : il se développe de par sa propre nécessité » (Veblen, 1906b, 414-415, nous soulignons et traduisons). Veblen remarque que le matérialisme dialectique de Marx se concrétise dans sa théorie du conflit de classes.

En lisant Veblen, on comprend que celui-ci considère que l’analyse de Marx est totalement cohérente sur le plan logique et rigoureuse d’un point de vue théorique. Toutefois, c’est bien au niveau de ses préconceptions que la critique véblénienne se déploie. Notamment, Veblen reproche au matérialisme dialectique d’être « pré-darwinien »3 : « Le point crucial ici, en reliant les conceptions matérialistes à l’hégélianisme, est que cette relation se pose immédiatement en opposition avec les conceptions darwiniennes et post-darwiniennes de l’évolution » (Veblen, 1906b, 413-414, notre traduction). Autrement dit, Veblen reproche à la conception de l’évolution sociale développée par Marx son aspect téléologique selon lequel l’évolution est linéaire et tend vers un point d’arrivée, un équilibre prédéfini. Cette téléologie sous-tend l’ensemble de l’analyse du conflit de classe de Marx : le processus dialectique du conflit de classe est sous-tendu par une force, celle de la conscience humaine et de la conscience de classe. Sans la présence de cette force, on aurait un matérialisme pur faisant du conflit dialectique un conflit inconscient de forces matérielles brutes (Veblen, 1906b). En fin de compte, ce n’est pas tant au matérialisme de Marx que Veblen s’attaque, qu’à son a priori finaliste qui veut que le processus dialectique débouche nécessairement sur un certain résultat.

Veblen donne une deuxième et une troisième dimension à sa critique de la théorie de Marx en repérant chez elle une dimension utilitariste et en soulignant le manque de fondement, autre que métaphysique, de la théorie de la valeur travail.

Sur le premier point, Veblen remarque en effet qu’il y a l’idée dans la notion même de lutte des classes de la poursuite par les individus de leurs intérêts personnels dans une pure perspective utilitariste. Ce biais, que Veblen qualifie dans d’autres écrits (Veblen, 1898a ; 1909) d’hédonisme, affecte de manière plus ample l’économie marginaliste et revient, toujours selon Veblen, à négliger les enseignements de la psychologie et de l’anthropologie et constitue, de manière générale, la marque d’une science pré-darwinienne. In fine, l’analyse de Marx en termes de conflits de classe ne relève pas d’une démarche post-darwinienne,

3 On renvoie au point 1.2 pour une analyse plus détaillée de ce que Veblen entend par science pré- et post-darwinienne. Pour une analyse plus poussée de l’évolutionnisme et du darwinisme de Veblen, voir le chapitre 5 dans la deuxième partie de ce travail.

authentiquement évolutionnaire, ni même d’un présupposé purement hégélien, mais plutôt d’une optique utilitariste. Concernant la théorie de la valeur travail, Veblen estime qu’elle est adossée aux préconceptions liées à la doctrine du droit naturel et qu’elle n’est pas une conséquence du système de Marx, mais plutôt l’un de ses présupposés : « La théorie de la valeur fait partie des principaux postulats du système marxien, elle n’en est pas dérivée » (Veblen, 1906b, 422, notre traduction). En d’autres termes, la théorie de la valeur travail ne tient que par les préconceptions sur lesquelles elle repose, or, il s’agit de préconceptions critiquables car ne correspondant pas à une science post-darwinienne. Donc, la théorie de la valeur travail doit être rejetée4.

A divers autres endroits dans ses écrits, Veblen développe également d’autres critiques à l’encontre de Marx et du marxisme, critiques que l’on abordera seulement dans la deuxième partie de ce travail. C’est notamment le cas de la conception marxiste de l’action humaine (Hodgson, 2004a). Cette critique participe à la construction par Veblen de sa théorie du comportement économique, laquelle correspond pleinement à l’idée d’institutionnalisme méthodologique.

La critique de l’école historique allemande

Veblen a également été un lecteur attentif des travaux de certains économistes historicistes allemands. Si aucun élément ne suggère véritablement que Veblen a pris connaissance des travaux de Max Weber, il est évident en revanche qu’il a lu et étudié de manière approfondie ceux de Gustav Schmoller (Veblen, 1901a) et de Werner Sombart (Veblen, 1903). Comme avec sa critique de Marx, la lecture que Veblen fait des travaux des économistes historicistes permet de mieux comprendre certains aspects de la pensée de ce dernier. Dans ses deux articles sur Schmoller et Sombart, Veblen procède en fait à un compte-rendu de leur travail majeur respectif, à savoir les Principes d’économie politique pour Schmoller et le Capitalisme moderne pour Sombart. A ces endroits, Veblen ne procède pas véritablement à un examen des préconceptions historicistes, aussi on passera rapidement dessus. De manière générale, Veblen loue tant les efforts de Schmoller que ceux de Sombart.

Concernant Schmoller, Veblen note que ce dernier est le premier historiciste à dépasser les apories caractéristiques des premiers travaux de l’école historique allemande, notamment

4 O’Hara (1997) relève judicieusement que Veblen ne définit à aucun endroit ce qu’il entend précisément par

« doctrine des droits naturels ». Il n’apporte également aucune preuve quant au fait que Marx aurait adopté la doctrine du droit naturel du travailleur à disposer pleinement de son produit.

concernant l’absence quasi-complète de théorisation5. Critiquant la conception de l’évolution sociale que l’on retrouve chez Roscher, très marquée par la philosophie hégélienne, Veblen souligne en revanche que Schmoller va très rapidement faire disparaître en quasi-totalité ce même biais hégélien qui caractérise ses premiers travaux. L’économiste allemand va même développer, toujours selon Veblen, une conception de l’évolution sociale proche d’un point de vue darwinien. Pour Veblen, les travaux de Schmoller relèvent plus du darwinisme que de l’hégélianisme et l’on ne peut les qualifier d’ « historiques » que dans le même sens que l’on qualifie d’historique l’appréhension darwinienne de l’évolution des institutions économiques :

« La caractéristique distinctive des travaux du professeur Schmoller, qui les fait se distinguer des premiers travaux des économistes relevant du même courant, est qu’ils visent à établir une explication darwinienne de l’origine, de la croissance, de la persistance et de la variation des institutions, en tant que ces institutions ont un rapport quelconque avec la vie économique, soit en tant que cause ou soit en tant qu’effet » (Veblen, 1901a, 265, notre traduction). En d’autres termes, Veblen repère chez Schmoller des traces de préconceptions compatibles avec une science darwinienne ce qui, de son point de vue, est une avancée considérable pour la science économique. Dans le reste de l’article, Veblen procède à un compte-rendu détaillé des Principes. Au-delà des aspects empiriques et factuels du premier livre, Veblen estime que Schmoller met en œuvre une véritable analyse des institutions de type génétique, où le processus de développement institutionnel est conçu comme étant de nature incrémentale et cumulative6, sans point d’arrivée prédéfini. Appréhendée sous cet aspect, l’analyse de Schmoller, selon Veblen, est dépourvue de tout jugement de valeur7. Cela est moins vrai, toujours selon Veblen, dans le deuxième livre lorsque Schmoller s’attache à étudier certaines institutions spécifiques. Enfin, Veblen repère chez Schmoller l’ébauche d’une réflexion sur le rôle de la technologie et de l’entreprise moderne dans le développement institutionnel, réflexion que Veblen approfondira dans ses propres travaux.

5 Les travaux de Schmoller « serves to show in what manner and degree this more scientific wing of the historical school have outgrow the original « historical » standpoint and range of conceptions, and how they have passed from a distrust of all economic theory to an eager quest of theoretical formulations that shall cover all phenomena of economic life to better purpose than the body of doctrine received from the classical writters and more in consonance with the canons of contemporary science at large » (Veblen, 1901a, 255-256).

6 « Its meaning is that these features of human nature and these forces of nature and circumstances of environment are the agencies out of whose interaction the economic situation has arisen by a cumulative process of change, and that it is this cumulative process of development, and its complex and unstable outcome, that are to be the economist’s subject-matter. The theoretical outcome for which such a foundation is prepared is necessarily of a genetic kind » (Veblen, 1901a, 267).

7 Mais pas de présupposé métaphysique puisque l’on verra que, pour Veblen, cela est tout simplement impossible.

Au sujet de Sombart, Veblen (1903) fait de ce dernier un « marxiste post-darwinien »8. Le Capitalisme moderne est une mise en œuvre d’une analyse génétique et causale des institutions du capitalisme, et en particulier de l’entreprise moderne9 : comment elles sont apparues et comment elles ont évolué. Si l’on met en perspective le compte-rendu que Veblen fait des travaux de Sombart avec ses propres analyses développées essentiellement dans les années 1900 (voir la Partie II sur ce point), on aperçoit aisément la proximité de la perspective adoptée par les deux auteurs10. Le principal reproche que formule Veblen à l’égard de Sombart est de s’être focalisé exclusivement sur l’histoire économique allemande et d’avoir de ce fait ignoré les importants développements économiques et culturels ayant pris naissance dans le monde anglo-saxon.

La tonalité des propos de Veblen à l’égard de l’école historique allemande est en revanche bien moins bienveillante dans son article majeur, véritable acte fondateur de l’institutionnalisme américain, « Why is Economics not an Evolutionary Science » (Veblen, 1898a). Veblen indique notamment que le fait pour une théorie économique d’être « réaliste » et d’insister sur les faits, ne fait pas d’elle une science évolutionnaire : « L’attention portée aux données empiriques pouvait difficilement être plus soutenue que celle accordée par la première génération de l’école historique ; pour autant, l’école historique était le courant dont l’analyse économique était la plus éloignée d’un quelconque point de vue évolutionnaire

» (Veblen, 1898a, 58, notre traduction). Il précise : l’école historique « a bien tenté une explication en termes de développement par séquences, mais l’a fait en suivant les traces des spéculations pré-darwiniennes concernant le développement plutôt que celles que la science moderne reconnaitrait comme évolutionnaires. Les économistes historicistes ont offert un récit des phénomènes, mais pas une explication génétique d’un processus émergent. Il ne fait pas de doute qu’ils ont élaboré des résultats ayant une valeur permanente ; mais ces résultats peuvent difficilement être considérés comme relevant de la théorie économique » (Veblen, 1898a, 72, notre traduction) S’il est vrai qu’ici Veblen fait essentiellement référence à la première génération de l’école historique allemande, il critique en revanche l’ensemble des auteurs historicistes lorsqu’il leur reproche, au même titre que les économistes marginalistes,

8 « In standpoint and animus his work blends the historical outlook with Marxist materialism. But his Marxism is very appreciably modified by the spirit of modern, post-Darwinian scientific inquiry » (Veblen, 1903, 300).

9 « It is a genetic account of modern capitalism ; that is to say, of modern business enterprise » (Veblen, 1903, 301).

10 Notamment, on ne peut qu’être frappé à la lecture de certains passages de l’article de 1903, de la similitude des thèses développées par Sombart concernant l’entreprise moderne et son « esprit » avec les développements que lui consacrera Veblen dans son ouvrage The Theory of Business Enterprise, publié en 1904. Pour une comparaison entre les analyses de Sombart et de Veblen, notamment concernant leur périodisation de l’histoire, voir Loader, Waddoups et Tilman (1991).

de ne pas avoir une conception totalement adéquate de l’action humaine. Au final, l’école historique allemande échoue, selon Veblen, à faire de l’économie une science post-darwinienne à part entière.

L’influence du pragmatisme

La littérature secondaire souligne très largement la filiation entre Veblen et la philosophie pragmatiste. Contrairement à John R. Commons (cf. infra), Veblen est très peu explicite sur ses liens avec le pragmatisme. Ses deux articles sur la place de la science dans la société (Veblen, 1906a) et sur l’évolution du raisonnement scientifique (Veblen, 1908) sont même très ambiguës, car ils semblent suggérer que les habitudes de pensée pragmatistes sont frustres et incompatibles avec une science post-darwinienne. Pour autant, il y a de bonnes raisons de penser que Veblen tire une partie de sa pensée de la philosophie pragmatiste. Une partie de ces raisons sont d’ordre historique : Veblen, en compagnie de John Dewey, a suivi en 1880 et 1881 plusieurs séminaires de Charles Sanders Peirce à l’Université de John Hopkins (Hall et Whybrow, 2008). Par ailleurs, il a été le collègue de John Dewey à l’Université de Chicago à la fin des années 1890. Sur un plan plus analytique, Veblen semble avoir repris indirectement de nombreuses idées des philosophes pragmatistes : sur le plan purement épistémologique, la notion de causalité cumulative ainsi que l’idée de l’évolution des formes prises par la connaissance humaine trouvent clairement leur origine dans le pragmatisme peircien (Griffin, 1998 ; Hall et Whybrow, 2008). Sur le plan de la psychologie, c’est notamment de William James que Veblen tirera sa théorie des instincts et des habitudes (Hodgson, 2004a ; Lawlor, 2006 ; Twomey, 1998).

En tout état de cause, Veblen partage avec la philosophie pragmatiste un certain intérêt pour le darwinisme authentique, non le darwinisme social à la Herbert Spencer alors très en vogue à l’époque. C’est à la capacité des sciences à prendre en compte les apports de la révolution darwinienne que Veblen évaluera leur état d’avancement. D’un autre côté, Veblen se démarque clairement de toute perspective positiviste (Hodgson, 2004a). Contrairement au positivisme caractéristique de Comte, Veblen considère en effet que la science ne peut être fondée sur l’expérience seule sans s’appuyer sur des présuppositions indémontrables. La possibilité même de l’observation implique au préalable l’existence de préconceptions permettant d’organiser le matériau empirique perçu par les individus. La première des préconceptions nécessaires à la science selon Veblen est ainsi celle de causalité11. Par ailleurs,

11 On retrouve ainsi ici l’influence de Kant sur Veblen. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où le premier écrit académique de Veblen a été consacré à Kant et à sa Critique de la faculté de juger (Veblen, 1884).

comme on l’a déjà souligné, Veblen rejette toute idée d’un quelconque déterminisme. L’idée selon laquelle tout raisonnement, qu’il soit scientifique ou non d’ailleurs, doit s’appuyer sur des préconceptions, est fondamentale dans le cadre de la problématique de l’historicisation de la théorie chez Veblen. En effet, comme pour Marx et l’école historique, c’est en partant des préconceptions sous-tendant les théories classiques et marginalistes qu’il va critiquer ces dernières. C’est à partir d’elles que Veblen va également mettre en avant l’inévitable historicité de toute forme de connaissance, soulignant dès lors le rôle de l’histoire dans la construction même de la théorie.

1.1.2 La théorie des préconceptions scientifiques et la critique du marginalisme Veblen et la Methodenstreit

On a pu voir dans le chapitre précédent l’enjeu porté par la Querelle des méthodes concernant la relation entre théorie et histoire. On a également souligné le rôle central joué par les historicistes dans ce débat, et notamment par Gustav Schmoller (directement) et Max Weber (plus indirectement). Veblen est un contemporain de Weber, les deux auteurs écrivent même leurs œuvres majeures à des dates similaires. Pour autant, le positionnement de Veblen par rapport à la Methodenstreit est assez original et différent de celui de Weber. Tandis que ce dernier a tenté de proposer une solution permettant de résoudre le conflit, Veblen a implicitement tenté de l’abolir (Kilpinen, 2004) en en soulignant le manque de pertinence.

Il apparaît que pour Veblen (même s’il n’a rien écrit d’explicite sur le sujet), l’objet même de la querelle des méthodes manque de pertinence dans le sens où le débat repose sur des préconceptions scientifiques qui n’ont pas pris en compte les apports du darwinisme.

Cette critique des préconceptions de la science économique en général, dont on a pu voir une partie concernant les travaux de Marx et de l’école historique allemande, apparaît de manière plus évidente lorsque le regard de Veblen se porte sur la théorie marginaliste.

Veblen et le marginalisme

Veblen développe sa critique du marginalisme dans essentiellement deux articles :

« Why is Economics not an Evolutionary Science » (Veblen, 1898a) et « The Limitations of

« Why is Economics not an Evolutionary Science » (Veblen, 1898a) et « The Limitations of