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La rupture scolaire et la rupture de formation

CHAPITRE III PARCOURS DEVELOPPEMENTAL ET LIENS SOCIAUX

3. Les liens sociaux à l’adolescence

3.1. La rupture de liens sociaux

3.2.1. La rupture scolaire et la rupture de formation

Parmi les liens susceptibles de s’affaiblir lors de la l’adolescence, celui avec l’école est le plus facilement identifiable. En effet, l’école constitue un terrain où l’on voit clairement comment s’opère le processus de transition entre l’enfance et l’âge adulte. L’arrêt de la scolarité chez un adolescent inquiète et mobilise considérablement son entourage, d’autant plus lorsque l’adolescent est astreint à l’école. Cette situation est considérée comme un signal d’alerte d’une problématique pénalisant l’avenir du sujet. L’arrêt de la scolarité post-obligatoire, quant à elle, mobilise également l’entourage de l’adolescent. Bien que le sujet ne soit plus dans une obligation légale de scolarisation (au-delà de 15 ans), il se trouve dans une situation de désoeuvrement, alors qu’il est à un moment particulièrement important de la construction de sa personnalité et de son avenir.

Différents termes ont été utilisés pour nommer le phénomène d’interruption, progressif ou brutal, de la scolarité. Braconier & Marcelli (1998) définissent la rupture scolaire comme l’arrêt d’un cursus de formation conduisant à une déscolarisation d’une durée variable, survenue soit de manière brutale, soit de manière plus insidieuse et souvent liée à d’autres ruptures au niveau des liens sociaux (fugues, passage à l’acte violent, consommation de substances psychoactives).

La rupture scolaire est définie aussi comme l’arrêt progressif d’un cursus, avant que celui-ci ne soit terminé, impliquant un processus de désinvestissement et de démobilisation, c’est-à- dire un renoncement aux efforts qu’exigent les apprentissages scolaires (Guigue, 1998 ; Janosz, 2000 ; Karl, Entwisle, Kabbani, Nader, 2001). Des comportements de type antisocial (comportement violent, petite délinquance) y sont parfois associés (Janosz, 2000). Le terme de phobie scolaire regroupe une série de symptômes en lien avec l’absentéisme d’enfants ou d’adolescents présentant des symptômes anxieux de type phobique, ayant souvent une personnalité introvertie et des difficultés à exprimer leurs émotions (Gunn-Sechehaye, 2002 ; Kearney, Eisen, & Silverman, 1995).

Les éléments entraînant une rupture scolaire sont multiples, notamment la perte d’espoir dans l’utilité des études, la difficulté à entrer dans le « métier d’élève », la manière de se sentir considéré à l’école, la difficulté de s’approprier le projet scolaire, considéré comme un projet « parental » (Glasman, 2000).

Facteurs associés à la rupture scolaire

La littérature concernant la rupture scolaire chez l’adolescent met en évidence que le parcours développemental a une importance fondamentale. En effet, une étude longitudinale sur la rupture scolaire à l’adolescence (Jimerson, Egeland, Sroufe, & Carlson, 2000) montre que l’environnement familial pendant les premières années de vie, la mauvaise qualité des soins parentaux, un statut socio-économique précaire, les problèmes de comportement et l’implication des parents dans le processus de décrochage scolaire, constituent des facteurs de risques importants et prédictifs d’un décrochage scolaire. Ces variables psychosociales ont une influence sur la vie scolaire qui s’accompagnent souvent d’un Quotient Intellectuel faible, ainsi que de situations d’échec. Les facteurs associés au phénomène de rupture scolaire ou de formation professionnelle sont multiples et touchent différents champs de recherches. Voici un résumé des principales conclusions :

- la consommation de drogues a été signalée comme un facteur de risque de rupture scolaire (Iversen, 2005 ; Johns, 2001; Royer, 2003), mais également comme une conséquence de celle-ci (Comeau et al., 2001 ; Eggert, Levendosky, Klump, 2007), fréquemment associée à la rupture et participant souvent à l’aggravation de cette dernière (Braconnier & Marcelli, 1998),

- la consommation précoce de cannabis est associée à une pauvre performance scolaire (Lynskey & Hall, 2000),

- les échecs scolaires répétés dans un contexte rigide tant scolaire que familial constituent des facteurs de risque de la rupture avec l’école (Christenson & Thurlow, 2004 ; Glasman, 2000 ; Reyes & Jason, 1991),

- les conflits fréquents et violents dans les contextes de vie de l’adolescent, notamment la famille sont associés à un désinvestissement scolaire sévère aboutissant parfois à un

arrêt de la scolarité (Royer, 2003; Jozefowicz, 2003 ; Jimerson, Fergusson, Whipple, Anderson, & Dalton, 2002 ; Karl et al., 2001),

- le rejet des pairs, ainsi que des difficultés de socialisation en groupe participent à un processus de désinsertion envers la dynamique scolaire (Galand, Macquet, Philoppot, 2001 ; Zettergreen, 2004) . Il en est de même en ce qui concerne l’appartenance à un groupe de pairs aux comportements agressifs (Farmer, Estel, Leung,Trott, Bischop, & Cairns, 2003),

- en revanche, certaines études mettent en évidence le fait que la qualité de la relation avec les pairs lors de la scolarité, ainsi qu’avec les différents enseignants, constituent un facteur de protection majeur de l’absentéisme et du décrochage scolaire (Zettergreen, 2004) ; Galand et al., 2001).

Données épidémiologiques sur la rupture scolaire et de formation professionnelle

Un nombre non négligeable d’adolescents en Suisse ne termine pas la scolarité obligatoire. D’autres adolescents ne s’engagent pas dans une formation post-obligatoire (collège, écoles supérieures, apprentissages) une fois finie la scolarité secondaire. Selon un rapport de l’Office Fédéral de la Statistique, parmi les adolescents ayant fini la scolarité obligatoire en 2001, un an plus tard, 5 % d’entre eux ne suivent aucune formation ou l’ont abandonnée et 6 % tentent de ne pas rompre avec le système en suivant une solution transitoire12. En 2006, 9.1 % des

jeunes âgés de 18 à 24 ans, sans différence significative entre filles et garçons, se trouvent sans formation post-obligatoire et ne sont donc plus scolarisés, données en constante évolution depuis 1996 (Office Fédéral de la Statistique, 2007). Ce rapport ne donne pas les âges des adolescents mais il met en évidence l’absence de différence quant au genre des adolescents quittant prématurément l’école.

Figure 5 : Jeunes quittant prématurément l’école en Suisse, de 1996 à 2006. Pourcentage de jeunes âgés de 18 à 24 ans sans formation post-obligatoire. Source : Enquête suisse sur la population active (ESPA) Office Fédéral de la Statistique.

Figure 6 : Jeunes quittant prématurément l’école, comparaison internationale, 2005. Pourcentage de jeunes âgés de 18 à 24 ans sans formation post-obligatoire. Sources : Eurostat, Enquêtes européennes sur les forces de travail (EFT - Enquête suisse sur la population active (ESPA) Office Fédéral de la Statistique.

Cette problématique concerne plusieurs pays du monde occidental. Certains pays d’Europe sont particulièrement concernés (cf. Figure 6). En France, selon les statistiques officielles, chaque année 20’000 jeunes quittent le système scolaire (collège et lycée) sans arriver au terme des programmes et sans obtention de diplôme (Glasman, 2000).

Rupture scolaire et consommation de cannabis

La relation entre le phénomène de rupture scolaire (ou de formation professionnelle) et la consommation de cannabis a été relevée par plusieurs auteurs (Kuntsche & Jordan, 2006 ; Malhotra & Biswas, 2006 ; Butters, 2001 ; Hüsler et al., 2005 ; Compas et al., 2001). Ringel

et al. (2007) ont étudié la relation entre la consommation de drogues (alcool, cannabis et

autres drogues dures) pendant la scolarité secondaire et l’insertion professionnelle à l’âge adulte. Ils ont mis également en lien des facteurs comportementaux tels qu’une attitude contestataire avec des indicateurs mesurant la qualité de la réussite professionnelle. Les résultats de ces recherches suggèrent qu’une consommation importante et précoce de ces substances psychoactives accompagnée d’un comportement déviant est en lien avec une médiocre insertion professionnelle à l’âge adulte.

La consommation précoce et intensive (au moins 3 ou 4 fois par semaine) a été également mise en lien avec la rupture avec le système scolaire par d’autres auteurs (Fergusson et al,. 2002). L’adolescent consommateur restreint progressivement son intérêt autour des activités qui sont liées à la consommation : se procurer la substance, chercher des espaces pour en consommer, partager ses expériences avec d’autres consommateurs. Les consommateurs réguliers adoptent souvent un style de vie particulier, que certains auteurs appellent « désajusté », caractérisé par des attitudes contestataires et parfois accompagné d’un comportement délinquant (ibid.). Ainsi, un haut degré de consommation de cannabis est associé à un appauvrissement des performances scolaires, à un graduel désintérêt pour les apprentissages, à une diminution de la satisfaction envers la vie scolaire ainsi qu’à un abandon temporaire ou définitif de la scolarité (Lynskey et al., 2000, 2003).

En ce qui concerne la Suisse, des études confirment ces données. Dans une étude réalisée auprès d’adolescents scolarisés, plus de 50 % des enseignants interrogés sur le comportement de leurs élèves en relation à la consommation de substances psychoactives affirment que la quantité d’élèves de 8ème et 9ème (14 – 15 ans) arrivant en cours intoxiqués au cannabis, a

augmenté ces dernières années (Kuntsche & Jordan, 2006). De même, une étude longitudinale sur 4 ans, effectuée en Suisse auprès d’une centaine d’adolescents âgés de 13 à 19 ans (scolarisés ou non), consommateurs de cannabis et d’autres substances montre une évolution caractérisée par un mauvais investissement de la scolarité chez les consommateurs ainsi qu’un risque de rupture scolaire (Bolognini, Plancherel, Laget, Chinet, Rossier, Cascone, et al., 2001).

Il est important de signaler que la consommation de cannabis a déjà été mentionnée comme cause ainsi que comme conséquence de la rupture scolaire. En effet, le désinvestissement scolaire, suivi d’une situation de rupture peut conduire l’adolescent à une situation d’exclusion et à intégrer des groupes de pairs consommateurs qui vont l’initier à ce comportement.